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“Atteindre une taille critique pour conserver notre indépendance”

Publié le 19 août 2014
Par Clotilde Chenevoy
7 min de lecture
Très discret sur sa communication, le groupe Laurent n’en reste pas moins très actif. Et avec l’arrivée de Vincent Laurent à la tête de la société familiale, épaulé par son frère Benjamin, une nouvelle ère s’ouvre, avec un management revisité.
Vincent Laurent, P-dg, Groupe Laurent

Vous avez rejoint l’entreprise familiale en 2005. Comment s’est passée votre arrivée ?
Mon père, Alain Laurent, a toujours été très clair. Nous ne pourrions, mon frère et moi, rejoindre la société familiale – si elle existait encore le temps venu – qu’après avoir acquis une expérience significative à l’extérieur, et après nos 30 ans. J’ai donc passé plus de dix ans chez Honeywell, pour rejoindre le groupe en 2005, à 33 ans. J’ai alors opéré un parcours d’intégration de dix mois, visitant nos agences, les services centraux et nos entrepôts. Plusieurs objectifs à cette démarche : me présenter à nos associés (c’est ainsi que l’on nomme les collaborateurs au sein du Groupe, chacun est “associé” à son succès), me familiariser avec les environnements et comprendre les problématiques du Groupe. Celui-ci agit à l’échelle nationale et régionale, sur deux métiers, l’automobile et le poids lourd, avec des attentes clients et des solutions très diverses.

Pourquoi choisir de filialiser vos activités ?
Le groupe Laurent a fait le choix de ne pas être un groupe généraliste de négoce mais bien un groupe de spécialistes qui s’est donné les moyens de l’être au travers de différentes filières d’activités. Ces filières transverses sont la peinture et les consommables, le matériel et l’outillage, le lubrifiant, les systèmes d’injections et la formation. Notre groupe a donc dédié pour chaque filière des moyens techniques, matériels, et des compétences pour proposer des expertises métiers à nos clients. Ce choix d’être un groupe de spécialistes se justifie d’autant plus dans un contexte où les demandes clients sont de plus en plus précises et rigoureuses et les produits spécifiques.

En 2013, vous prenez la tête du groupe. Quelles ont été vos premières décisions ?
Dès mon arrivée, je me suis attaché à faire évoluer nos modes et nos rythmes de travail. Concernant nos modes de travail, nous avons fait le choix de constituer des équipes d’encadrement véritablement co-responsables des priorités mises en œuvre dans le Groupe. Ce travail en équipe permet de favoriser les prises d’initiatives et garantit l’implication de chacun dans le pilotage. Concernant nos rythmes, nous travaillons par projets, qui représentent véritablement le fil rouge de l’année et qui donnent lieu à un suivi quasi continu. Les cinq thématiques que nous avons retenues dans notre démarche projet sont de mettre le client au cœur de nos préoccupations, d’intégrer nos activités transverses au sein de nos filières de distribution, d’identifier des leviers pour optimiser le cash et la trésorerie, de renforcer nos synergies, et de revoir nos instances d’appartenance et de gouvernance.

Plus globalement, pouvez-vous nous présenter le groupe Laurent ?
Le groupe Laurent est un acteur de référence sur le marché de l’automobile et du poids lourd. Nous disposons de quatre filières de distribution, avec la société Exadis (Automobile) et la société Cap V.I (Poids Lourd) sur le plan national, et la société Laurent Père et Fils avec les agences Laurent Automobile et Laurent Poids Lourd au niveau régional. Pour chacune de nos filières de distribution, nous avons besoin d’experts métiers, ce sont nos activités spécialisées dans un domaine.

En chiffres, comment se traduit cette organisation ?
Le groupe compte aujourd’hui 730 personnes, réparties sur plus de 100 sites. Ainsi, Exadis compte 9 entrepôts et Cap V.I 7, Laurent Automobile rassemble 66 agences et Laurent Poids Lourd 14. Le chiffre d’affaires consolidé est de 135 millions d’euros, en progression de 4 % par rapport à 2012. Le marché automobile représente environ 96 millions d’euros, et le marché poids lourd 35 millions d’euros. Exadis pèse 38 millions d’euros et Cap V.I 18 millions d’euros. Il s’agit d’un bon équilibre en termes de pertinence et de réponse au marché, avec une complémentarité forte. Chaque marché suit sa propre courbe de progression, la croissance n’est pas isotrope, et nous avons progressé sur toutes nos activités en 2013.
Au-delà des infrastructures et de notre organisation, nous nous sommes toujours attachés à tenir nos engagements vis-à-vis de nos clients. Nous sommes un véritable interlocuteur sur lequel ils peuvent compter. Nous travaillons beaucoup sur cette proximité client au travers de notre schéma de distribution et de nos activités transverses. Quand l’environnement se révèle compétitif, avec des acteurs plus gros que vous, avec des moyens financiers plus importants, il convient de se différencier.

En avril dernier, vous avez cédé votre filiale industrie, Fica. Pourquoi cette opération ?
Nous souhaitons nous développer et investir encore davantage dans les prochaines années sur nos activités stratégiques : l’automobile et le poids lourd. Dans ce cadre, nous avons décidé de céder l’activité industrie pour renforcer notre cohérence et réussir notre développement sur ces 2 marchés “core business”. Quand on conduit une stratégie de société, il faut que les choses soient cohérentes. La filière industrie, la société Fica, réalisait un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros. En réfléchissant aux synergies possibles entre les différentes entités et en s’interrogeant sur la valeur ajoutée que nous apportions sur le marché, nous avons conclu que Fica ne rentrait plus dans notre stratégie. Nous avions peu de synergies clients, peu de synergies fournisseurs, et aucune synergie métiers. Les gains provenaient juste d’un amortissement des coûts de fonctionnement, mais ce point ne justifiait pas une stratégie. Et dans un environnement de plus en plus compétitif, contracté et sous tension, nous devions nous recentrer sur nos cœurs d’activités. Après, nous avons tenu à mener à bien la reprise de Fica, en préservant l’intérêt de la société, notamment par respect pour nos associés. L’offre de Brammer nous a semblé la plus cohérente. Nous leur avons d’ailleurs demandé de venir se présenter dans nos locaux. Et nous avons profité de ce recentrage pour redéfinir notre identité et refondre nos plaquettes et autres outils de communication.

Avez-vous des ateliers ?
Nous possédons 7 ateliers automobiles, qui n’interviennent qu’en support de nos clients, pour une aide sur le diagnostic moteur, les interventions réglementées et normées (taximètre et AG OPA) et quelques opérations mécaniques. Pour le poids lourd, en revanche, chacun des 14 sites Laurent Poids Lourd dispose d’un atelier pour intervenir en mécanique et sur les activités réglementées et normées (chronotachygraphe, éthylotest anti-démarrage et taximètre). Nous avons également créé notre réseau de garage, Isocar, il y a 3 ans et qui compte une cinquantaine d’adhérents. Ce réseau a du sens dans l’accompagnement de nos clients pour faire face aux mutations technologiques.

Vous disposez d’une activité formation, qui vient de prendre ses quartiers dans un nouveau bâtiment. Que représente cette activité ?
EGS Formations est un organisme agréé qui illustre notre volonté d’aller au-delà des produits pour offrir un accompagnement client complet qui garantit leur montée en compétence et leur permet de sécuriser et d’améliorer leurs savoir-faire. Dans ce cadre nous avons deux formateurs intégrés qui dispensent une large palette de formations automobile et poids lourd. Tous les modules sont conçus par nos équipes et en logique de sur-mesure pour coller aux attentes de nos clients. En effet, nous dispensons de la formation pour les associés du groupe Laurent, nos clients Isocar, mais également pour tous nos clients externes. Les sessions peuvent se dérouler dans notre nouveau centre, ouvert depuis plusieurs mois sur Taluyers, au sud de Lyon, ou bien directement en délocalisé chez nos clients.

Avec Exadis, le groupe Laurent a été visionnaire…
Pour créer Exadis, nous nous sommes appuyés sur l’expertise de Cap V.I, qui vient de fêter ses 12 ans. L’objectif avec cette dernière société consistait à atteindre une taille critique. Nous avons toujours cette quête afin d’assurer notre indépendance, pour continuer à prendre des décisions qui suivent une logique métier et non simplement financière. Ainsi, dans les années 1990, nous avons racheté de nombreuses sociétés VL, quittant notre zone historique de Saint-Etienne. Ensuite, nous avons posé les bases de l’activité PL, suivant cette même logique de rachat. Et nous avons voulu aller plus loin dans le service il y a une dizaine d’années. Nous avons alors repris l’activité distribution Honeywell, qui se composait de 5 dépôts Jurid. Avec Exadis, la philosophie restait la même, à savoir apporter une autre offre au marché. La segmentation clients se révèle très complémentaire à notre offre régionale. Avec nos entrepôts de proximité, nous travaillons avec nos grands comptes nationaux retail, les constructeurs, les réseaux spécialisés, le marché traditionnel et certains acteurs du Web. Exadis dispose d’un fort potentiel de développement, toutefois nous restons vigilants pour éviter toute “course au chiffre d’affaires” et veillons à ce que chacune de nos décisions garantisse la pérennité de nos activités.

Quelle est votre position face au développement du canal Internet ?
Nous verrons l’impact sur le marché des grands acteurs disposant d’une puissance financière importante. Toutefois, je crois à la proximité et au relationnel humain. Nous devons trouver des solutions qui soient justes par rapport aux canaux de distribution et aux profils des clients. Le principe de “One size fits all” ne convient pas dans notre métier. Le métier évolue, et nos hommes ont changé, nos structures évoluent et nos clients sont toujours là. Nous réfléchissons à des projets de Web-to-store car notre philosophie reste toujours de bien servir notre client.

Des rumeurs d’un potentiel rachat du groupe ont couru. Qu’en est-il réellement ?
Quand des clients ou des équipementiers nous parlent de rumeurs sur le groupe, je leur réponds toujours que cela doit faire facilement soixante-dix ans que nous sommes rachetés ! Lors de notre changement de gouvernance en 2013, la question d’ouvrir le capital à un fonds d’investissement s’est posée. Nous en avons discuté avec mon père et mon frère, Benjamin, en charge du marketing pour le groupe. Je m’inscris résolument, à 41 ans, en tant que Président, dans un projet ambitieux de développement de nos activités pour les années à venir. Nous avons choisi de porter l’entreprise familiale, et de garder notre indépendance. Cela a du sens pour nous. Nous faisons partie du groupement ATR. A l’origine, ATR regroupe de gros distributeurs Allemands et s’est ouvert ensuite à l’international avec un membre par pays. Participer à ce groupement favorise notre ouverture d’esprit et s’inscrit pleinement dans un contexte de marché international et global.
Nous recherchons en permanence des synergies, partageons des savoir-faire avec des groupes internationaux tels Stahlgruber (CA environ 1,4 milliard d’euros), ou encore Inter Cars, qui approche du milliard.

Que pensez-vous du rôle de la Feda ?
J’ai découvert le syndicat quand j’ai pris la tête du groupe. Je trouve impressionnant qu’il arrive à rassembler au sein des bureaux fédéraux l’ensemble des acteurs de la profession afin d’échanger sur des sujets critiques qui touchent le métier. Par ailleurs, nous devons nous faire entendre face au lobby des constructeurs, et être présents dans les ministères et autres organes gouvernementaux pour peser dans les décisions. Michel Vilatte et Yves Riou jouent un rôle clé pour nous représenter et nous alerter sur certains sujets.

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Bio express

41 ans.
Etudes à Northeastern University (Boston, USA) puis à l’Ecole de Management de Lyon. Vincent Laurent est entré en 1996 chez Honeywell Inc. comme responsable projets logistiques et Supply Chain, pour la France, l’Angleterre et l’Allemagne.
Il devient ensuite directeur d’usine en Angleterre et directeur Europe des programmes re-engineering de la division Global Business Services.
En 2005, après plus de dix ans au sein d’Honeywell, à 33 ans, il rejoint l’entreprise familiale. Il réalise un parcours d’intégration durant dix mois afin de faire le tour de la société, et prendre ensuite la tête de la société First Equipements, filière Matériel et Outillage du Groupe Laurent.
En 2007, il arrive à la direction de la filiale Industrie, Fica, cédée en avril 2014 au groupe Brammer.
En janvier 2013, il devient président-directeur général du groupe Laurent.

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