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Envolées, les ZAPA ?

Publié le 12 juillet 2012
Par Romain Baly
5 min de lecture
Après le renoncement officieux de Nice, l’application des Zones d’Actions Prioritaires pour l’Air – dont la grande mesure est d’interdire la circulation des véhicules les plus polluants – semble de plus en plus compromise et pose de nombreux problèmes aux sept villes encore volontaires. Une spécificité toute française sur le Vieux Continent. Eléments d’explication.
Après le renoncement officieux de Nice, l’application des Zones d’Actions Prioritaires pour l’Air – dont la grande mesure est d’interdire la circulation des véhicules les plus polluants – semble de plus en plus compromise et pose de nombreux problèmes aux sept villes encore volontaires. Une spécificité toute française sur le Vieux Continent. Eléments d’explication.

Quarante millions d’euros. Voila le montant de l’amende que devra payer la France si elle n’atteint pas les objectifs fixés par l’Union européenne en matière de baisse des émissions de particules fines dans l’air. Pour atteindre ce résultat, le précédent gouvernement de Nicolas Sarkozy, via la loi Grenelle II, a prévu l’expérimentation de Zones d’Actions Prioritaires pour l’Air (ZAPA) dans des communes ou des groupements de communes de plus de 100 000 habitants. Le principe est simple : inspirées des “Low Emission Zones” expérimentées depuis plusieurs années par nos voisins européens, les ZAPA visent principalement à réduire l’accès de certains espaces urbains aux véhicules les plus polluants. Lorsque l’on sait qu’en centre-ville, les émissions des véhicules peuvent représenter plus de la moitié des émissions totales des polluants dans l’air, cette mesure permettrait d’atteindre de manière significative les objectifs de l’UE. Précurseur du genre, la Suède a été le premier pays du continent à les tester dès 1996. Depuis, l’Italie (2005), l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni (2008) ont suivi. Aujourd’hui, plus de 180 villes de l’UE disposent de ZAPA, la dernière en date venant d’être déployée à Lisbonne, au Portugal. Dans certaines d’entre elles, une réduction allant jusqu’à 12 % des particules polluantes a été constatée.

Nice renonce, les autres doutent

En France, à l’issue d’une étude nationale, huit villes (Aix-en-Provence, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Paris, Nice et Saint-Denis) se sont déclarées volontaires pour expérimenter le dispositif. Si, sur le principe, toutes se déclarent motivées à l’idée d’améliorer leur environnement, dans les faits, la mise en place des ZAPA s’avère plus compliquée que prévu et certains acteurs se posent beaucoup de questions à son sujet. Première ville à déclarer forfait : Nice et son maire Christian Estrosi. Début juin, et sans le reconnaître de vive voix, ce dernier déclarait que “les véhicules anciens ne seront pas bannis du centre de Nice”. Si l’édile laisse la porte ouverte au projet, en réalité, Nice se dirige tout droit vers son abandon pur et simple. Mais au lieu de parler d’abandon, M. Estrosi a évoqué le désir de sa ville de se recentrer vers un projet plus large et plus efficace. Celui-ci pourrait voir la Promenade des Anglais –particulièrement congestionnée aux heures de pointes– dotée notamment d’un tramway.

Si, dans ce cas précis, cette décision peut résulter d’un savant calcul politique (rappelons que le maire niçois ne fait plus partie du gouvernement et qu’il n’a plus le même intérêt politique à défendre), pour les sept villes volontaires encore disposées à tester le dispositif, de nombreux problèmes demeurent. Alors que des études de faisabilité sont toujours en cours, le périmètre des zones, les dérogations pour certains véhicules et l’application des interdictions sont autant de questions difficiles à résoudre. Sur ce dernier point, deux moyens de contrôle existent en Europe. Un contrôle visuel, par des vignettes, réalisé par les forces de l’ordre (comme à Berlin), ou un contrôle automatisé, par vidéosurveillance par exemple (comme à Londres).

Une mesure antisociale

Au-delà de ces aspects techniques, plusieurs voix se sont élevées ces dernières semaines pour dénoncer le caractère antisocial de la mesure. A Grenoble, une enquête sur les impacts des ZAPA a été réalisée. Selon Jacques Chiron, adjoint au maire en charge des transports, celle-ci a montré que “ce sont surtout les ouvriers et les jeunes qui seraient touchés par une mesure d’interdiction. Or, nous n’avons pour l’instant aucune alternative à leur proposer”. En effet, d’après l’arrêté ministériel publié le 8 mai établissant une classification des véhicules en cinq groupes, si les villes choisissaient le scénario le moins contraignant, toutes les voitures immatriculées avant le 1er janvier 1997 seraient interdites de circulation. Concrètement, plus de trois millions de véhicules seraient concernés au niveau national. Une situation dénoncée par l’association “40 millions d’automobilistes”, pour qui les “ZAPA créent ainsi une véritable discrimination par l’argent dans la mesure où les véhicules les plus anciens sont le plus souvent la propriété de personnes ou de familles aux revenus modestes, qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir un véhicule neuf”.

En cela, les municipalités se montrent circonspectes. D’autant que certains véhicules extrêmement polluants ne sont pas concernés par cette classification. Comme le souligne Danielle Auroi, vice-présidente de la Clermont-Communauté, “chez nous, le problème ne porte pas sur les poussières polluantes, mais sur les émissions d’oxyde d’azote, provoquées par les gros 4x4 sur les grands boulevards et sur le périphérique”. Même son de cloche à Paris, du côté de Denis Baupin, adjoint chargé de l’environnement : “Faute de prise en compte des émissions de CO2, seuls les véhicules Diesel les plus anciens et les moins coûteux pourraient être concernés par les ZAPA, tandis qu’échapperaient à toute restriction les véhicules les plus puissants, les plus consommateurs d’énergie fossile et, au final, les moins adaptés à la ville.”

Elargir le projet

Pour tenter de résoudre ces problèmes, aucune des communes favorables aux ZAPA ne rendra son dossier ce mois-ci, comme voulu par l’Etat. Toutes ont demandé un délai supplémentaire au gouvernement –qui devrait leur être logiquement accordé–, et certaines ont d’ores et déjà annoncé leur volonté de mettre en place un système plus complet. A Aix-en-Provence, la municipalité penche en faveur d’une “combinaison de solutions” plutôt que d’une application stricte des ZAPA. Zones piétonnières, stationnement en parcs-relais, renforcement des transports en commun, covoiturage, sont autant de mesures permettant d’élargir le dispositif et de le rendre moins discriminant. D’autres, comme Grenoble, envisagent de tester les ZAPA sans contrainte (selon l’arrêté ministériel, une amende de 68 euros et une immobilisation du véhicule peuvent être envisagées) et de réétudier l’apport de cette mesure une fois que les nouvelles lignes de tramway de la ville seront opérationnelles. Par ailleurs, certaines municipalités souhaitent que l’Etat réoriente le projet dans son sens initial. Contrairement à ce que tout laisse penser, les ZAPA ne concernent pas seulement l’interdiction de circuler faite à certains véhicules. D’autres mesures viennent compléter le projet, comme des offres incitatives pour un meilleur usage des véhicules, l’amélioration du parc des appareils de chauffage à bois domestique ou encore des actions dans les secteurs industriels et agricoles.

La Suisse, le contre-exemple

A toutes ces critiques, s’ajoute un argument de poids pour tous les “anti-ZAPA”. Comme le rappelait en février dernier l’Automobile Club Association (ACA), la Suisse –pays pourtant réputé pour sa conscience environnementale développée– a renoncé l’année passée à mettre en application de telles zones. Après une longue étude du rapport coût/avantages, nos voisins helvètes ont établi qu’une telle mesure serait disproportionnée d’un point de vue financier, engendrerait une charge administrative excessive au regard de son utilité et provoquerait une inégalité de traitement. Au final, c’est bien là tout l’enjeu. A combien s’élèvera l’installation des ZAPA ? Concernant le volet français, aucun chiffre sérieux n’est fourni. On sait en revanche ce que cela a pu coûter ailleurs. Il y a seize ans de cela, à Stockholm, ces zones étaient revenues à près de 3,4 millions d’euros. Une somme conséquente, mais à relativiser puisqu’une étude a montré que 80 % de ce coût a depuis été compensé par les gains directs sur l’environnement.

Face à ce bilan plutôt encourageant, Londres affiche un résultat bien moins positif. Ainsi, en 2008, l’installation des “Low Emissions Zones” dans la capitale anglaise a coûté 15,6 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 10,5 millions d’euros pour les frais de fonctionnement. Au final, même si les revenus liés à ces zones ont rapporté près de 6 millions d’euros, la note s’avère très lourde. Si le débat actuel porte sur les conditions d’application de ce projet, il est étonnant de constater que son aspect financier n’ait été relevé par aucun de ses acteurs. D’autant plus que tous les exemples qui nous entourent montrent bien que le système ne se subvient pas à lui-même et qu’il faudra tôt ou tard trouver des sources pour le financer. Le débat n’est pas prêt de se refermer.

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