S'abonner
Non classé

“Il faut s’affranchir des assureurs et aller chercher les clients”

Publié le 19 avril 2012
Par Clotilde Chenevoy
9 min de lecture
Jean Ravier, président de la FFC Réparateurs - Le garage Ravier est une entreprise familiale. Le grand-père faisait du parking de voitures, le père a démarré la mécanique et un peu de carrosserie. Le fils, Jean Ravier, s’est attaché à développer fortement la carrosserie. Et dans ce domaine, il a acquis un savoir-faire et une expérience qui lui confèrent une vision aiguisée du métier de carrossier, particulièrement dans un marché difficile.
Jean Ravier, président de la FFC Réparateurs - Le garage Ravier est une entreprise familiale. Le grand-père faisait du parking de voitures, le père a démarré la mécanique et un peu de carrosserie. Le fils, Jean Ravier, s’est attaché à développer fortement la carrosserie. Et dans ce domaine, il a acquis un savoir-faire et une expérience qui lui confèrent une vision aiguisée du métier de carrossier, particulièrement dans un marché difficile.

Comment se porte le marché de la réparation collision ?
Le marché ne se porte pas très bien. Il est très encadré par les compagnies d’assurance, car 90 % du travail des carrossiers passe par les assureurs. Il faut savoir que les carrossiers sont comme des marchands de parapluies, ils dépendent beaucoup de la météo. Or, les conditions climatiques ne leur ont pas été favorables en 2011. Et rien ne s’arrange depuis le début de l’année, puisqu’on note une baisse de 25 % de la sinistralité sur les premiers mois de 2012. A ce phénomène, il convient d’ajouter la crise économique. Les gens font attention, ils roulent moins. De nombreuses voitures ont été mises à la casse, avec les mesures gouvernementales, et on a ainsi supprimé des centaines de milliers d’heures de travail. Enfin, avec les élections, l’activité se ralentit. Dans ce contexte, on constate que beaucoup d’entreprises de carrosserie se trouvent en grande difficulté.

Quelles sont les clés pour encore exister demain ?
Premier problème, l’agrément par une compagnie d’assurance. Il peut garantir un certain volume de travail, mais le souci, à l’heure actuelle, est que les assureurs se trouvent incapables de réellement estimer les opérations qu’ils amèneront aux garages. Cette solution n’est pas si bonne, au final, d’autant que les marges sont très réduites. L’une des solutions consiste à se libérer de la contrainte des assureurs, et d’aller directement vers les clients. Ce n’est pas une démarche évidente pour les carrossiers, car ce n’est pas dans leur mentalité. Avec les agréments, ils attendent les automobilistes envoyés par les assurances, et ne sont pas dans une logique proactive.

Concrètement, quelles actions avez-vous mises en place dans votre garage ?
Je m’attache à réaliser un service complet auprès de mes clients. Quand un automobiliste vient d’avoir un accident, le carrossier doit s’occuper de tout. Au final, si le consommateur est satisfait, le bouche à oreille nous apporte de nouveaux clients. De plus, la “tradition”, pour un carrossier, consistait à rester cantonné à son métier, et s’il constatait que des pièces mécaniques, comme les plaquettes de frein, étaient usées, il n’intervenait pas. Cette position a été défendue pendant de longues années par les anciens responsables du syndicat. J’estime que c’est une erreur. La diversification vers la mécanique, les services, le pneumatique, permet de mieux s’en sortir en cette période de crise. Mon garage ayant cette diversité de prestations depuis longtemps, j’ai souvent remarqué que nous n’avions jamais les problèmes en même temps sur les différentes activités. Elles se compensent entre elles. De plus, cette diversification permet de multiplier les contacts avec les clients. Ainsi, avec la baisse de la sinistralité, l’atelier carrosserie n’est pas très chargé, mais je prends du coup plus de rendez-vous en mécanique, pour faire travailler les carrossiers. J’arrive ainsi à mieux rentabiliser la société.

Quel est l’apport d’un réseau pour un garage ?
L’intérêt d’appartenir à un réseau, c’est justement d’apprendre à se commercialiser. Un carrossier n’est pas commerçant puisqu’il compte sur les accords avec les assurances. Il s’attend d’ailleurs à ce que son réseau lui en apporte d’autres. Pour autant, il convient de distinguer les accords. Il y a d’un côté ceux avec les flottes et de l’autre ceux avec les assureurs. Le premier cas représente un véritable atout pour le carrossier : les contrats sont multiples et variés, et vous traitez directement avec le client. Dans le deuxième cas, l’accord est temporaire et très difficile à négocier tous les ans, c’est épouvantable. Mais, aujourd’hui, les enseignes vont bien plus loin que la gestion des accords et tentent aussi d’insuffler à leurs adhérents une dynamique commerciale.

Au final, où en est la relation des carrossiers avec les assureurs ?
Le problème des carrossiers, c’est qu’ils veulent tous absolument obtenir l’agrément pour avoir du travail. Mais ils ont tendance à confondre chiffre d’affaires et marges. On se retrouve avec des professionnels qui opèrent une remise globale sur leurs prestations par rapport à leurs prix publics, une remise qui est de l’ordre de 30 %. Or, je suis curieux de savoir qui, parmi les carrossiers, dispose d’une marge brute de 30 % ! Un garage peut très bien bénéficier de tous les agréments des assureurs et finir la clé sous la porte.

Concernant le règlement des services, quelle est la position du syndicat ?
Tout service doit être rémunéré, et la loi le précise bien. Ainsi, les carrossiers proposent gratuitement, sous la pression des assureurs, une voiture de courtoisie. Or, de nombreux carrossiers ont eu des redressements fiscaux à cause de cette pratique, car aucune TVA n’était payée. Résultat, l’Etat a jugé qu’il s’agissait d’une fraude. Le point de loi existait depuis longtemps, mais les assureurs suivent une politique de fait accompli, et imposent leurs conditions. Les réparateurs ont tellement envie de travailler avec eux qu’ils se plient à cette discipline. En cas de contrôle, le carrossier se tourne vers le syndicat et demande alors de l’aide, mais il est trop tard. Toutefois, sur ce sujet, la loi se trouve favorable au carrossier puisqu’elle précise que, si le professionnel a été dans cette situation à cause d’un assureur, ce dernier est aussi pénalisable. Conséquence, depuis le début de l’année, les choses évoluent.

Vous avez évoqué les experts, quel est leur rôle ?
Un expert, dans le passé, avait un rôle d’arbitre entre trois parties : l’assureur, le réparateur et le consommateur. Ainsi, il garantissait à l’automobiliste une juste réparation de son préjudice, à l’assureur, qu’il allait payer le prix normal, et au réparateur que la prestation se passait dans de bonnes conditions. Mais les choses se sont gâtées. Les experts n’ont pas su défendre leur profession. Ils se sont retrouvés otages des compagnies d’assurance et sont désormais agréés par celles-ci. Or, on a assisté à une concentration des assureurs, où 6 à 7 grands groupes détiennent 80 % du marché. Les experts ne peuvent donc se fâcher avec une assurance, au risque de perdre une partie importante de leur chiffre d’affaires. Au final, les assureurs leur donnent des consignes, les jugent, les mettent en concurrence, et les consommateurs se retrouvent avec des réparations qui ne sont pas toujours à la hauteur du préjudice. Les réparateurs ne peuvent même pas appliquer les temps constructeurs, puisqu’on leur impose des barèmes inférieurs aux temps constructeurs, et avec des tarifs très tirés. On arrive même à des situations où l’expert va voir nos fournisseurs et demande des remises sur les pièces car il les juge trop chères. Aujourd’hui, pour justifier cette démarche, les experts veulent changer de titre, pour devenir régulateurs économiques. En fait, les choses pourraient s’améliorer s’ils n’étaient plus missionnés par les assurances, mais par l’automobiliste qui vient d’avoir son sinistre.

Qu’est-ce que les adhérents attendent de la FFC branche réparateurs ?
Ils attendent que nous défendions leurs intérêts vis-à-vis des assureurs, des experts automobiles, des pouvoirs publics, que nous les aidions et les informions sur toutes les nouvelles mesures et réglementations. Nous mettons aussi en place des services. Ainsi, nous venons récemment de créer Tribu, un logiciel accessible en ligne, qui permet aux carrossiers de gérer les cessions de créance. La cession de créance est une vieille notion de droit français. Concrètement, elle permet au client de céder la créance qu’il a sur son assurance au profit du carrossier. Il s’agit d’un document officiel, que nous faisons signer aux clients, et nous, nous nous faisons ensuite payer par l’assureur. Ce dernier n’a aucune possibilité d’échapper à cette démarche. Il doit faire face à ses obligations. Cet outil permet donc au client de choisir librement le garage dans lequel il souhaite faire faire sa réparation. En effet, majoritairement, les assureurs tentent d’orienter l’automobiliste vers l’un des centres agréés, précisant que, dans le cas contraire, les frais devront être avancés par l’assuré. Avec Tribu, ce problème est réglé, le particulier ne doit payer que le montant de sa franchise, s’il en a une.

Et que pensez-vous de l’expertise à distance ?
Le seul souci de l’expertise à distance, c’est que le réparateur se retrouve à faire le travail qui incombe à l’expert, des photos à l’envoi du dossier chez l’assureur en passant par le chiffrage, et cela sans rémunération. En revanche, le principe en lui-même n’est pas critiquable car, pour des petits sinistres, le client gagne du temps, particulièrement dans les zones rurales. Dans les grandes villes, l’expert passant régulièrement, le traitement des dossiers mettra le même temps avec une expertise classique qu’à distance. Mais ce service devrait être payé par les assureurs.

Pouvez-vous revenir sur la composition de la FFC ?
Le syndicat s’organise autour de trois branches – le GNCR (réparateurs), le Carcoserco (constructeurs), et le Giac (équipementiers) –, chacune adhérente, avec des statuts indépendants. Nous avons décidé de fusionner les statuts de ces trois branches, pour les réunir sous la bannière FFC (Fédération française de la carrosserie), avec toujours des spécificités réparateurs, constructeurs et équipementiers. Ce changement permet de donner plus de poids au syndicat. En effet, nous nous sommes aperçus que chaque branche effectuait des démarches séparément vis-à-vis des assureurs, des constructeurs, des pouvoirs publics. En valorisant les actions sous le nom FFC, nous sommes plus facilement connus et reconnus, d’autant qu’il y a un effet de taille pour traiter avec ces organisations. La fusion de tous les statuts doit s’opérer dans le deuxième trimestre de l’année. Nous avons déjà procédé à quelques changements, notamment avec les salariés de chaque branche, dont le contrat de travail a été repris par la FFC. Nous avons également embauché une directrice générale, Sandrine Marcot, qui a commencé en novembre dernier et qui développe des synergies entre les branches, par exemple au niveau des services.

Et la FFC Réseaux de carrosserie ?
Régulièrement, la FFC réunissait les réseaux pour leur expliquer ce que le syndicat faisait pour leurs adhérents. Nous ne faisons pas de commerce, et parfois, certaines initiatives commerciales prises par les réseaux, contraires à ce que nous défendons, nous ont mis dans des situations complexes vis-à-vis de nos adhérents (eux comme nous). Pour éviter ce genre de problème, ils ont voulu prendre leur autonomie, et ont donc quitté la FFC, sans conflit.

Où en est le développement du label Eurogarant ?
L’objectif du label était de revaloriser la profession, les professionnels devaient respecter un référentiel, et pour valider la bonne application, il fallait passer par un audit, qui demandait donc un effort financier aux carrossiers, de l’ordre de moins de 400 euros par an. Les carrossiers n’ont pas saisi l’intérêt du label, et n’ont pas voulu débourser d’argent sans savoir combien cette opération pouvait leur rapporter. Nous n’avons donc pas réussi à lancer Eurogarant en France. Nous avons choisi de travailler sur une norme de service avec l’Afnor, qui reprend le référentiel Eurogarant. Une commission, nouvellement créée, s’est déjà réunie deux fois pour travailler sur la norme. Théoriquement, elle sera prête et publiée fin 2012 ou au premier trimestre 2013. Plusieurs acteurs travaillent à son élaboration : les constructeurs automobiles, les experts, les réseaux, les organisations de consommateurs et les réparateurs. Les assureurs ont, quant à eux, refusé d’y participer, mettant en avant qu’il s’agissait d’une affaire de carrossiers.

Mais vont-ils reconnaître cette norme ?
C’est tout le problème. Assureurs et réparateurs ont signé une charte de bonne conduite sous l’égide de la CEPC (Commission d’examen des pratiques commerciales), et celle-ci doit évoluer. Un médiateur a d’ailleurs été désigné. Catherine Vautrin, présidente de la CEPC, a dernièrement réuni réparateurs et assureurs pour parler de l’évolution de cette norme, et nous lui avons fait part de notre souhait de l’annexer à cette charte, afin que les assureurs n’agréent que des carrossiers normés. Il ne s’agit pas pour autant d’agréer obligatoirement une entreprise normée. Il faut savoir que les critères pour obtenir un agrément sont majoritairement économiques. Les critères techniques n’intervenant que minoritairement dans la négociation.

Quelle est la position de la FFC sur le sujet des pièces captives ?
Nous soutenons la Feda dans cette action. Les constructeurs augmentent dans des proportions énormes le prix des pièces des voitures qu’ils ne commercialisent plus. Pour autant, il ne s’agit pas non plus de véhicules anciens. Le coût des réparations augmente donc considérablement, et certains de ces véhicules se trouvent mis en épave, faute d’une solution économique abordable. Au-delà du prix, nous nous retrouvons à acheter nos pièces auprès de nos principaux concurrents. Certains de nos membres répondent à des appels d’offres de communes, par exemple, et ils se retrouvent mis hors compétition car le concessionnaire local pratique des remises sur pièces que le carrossier ne peut pas appliquer.

Pensez-vous que la libéralisation des pièces arrivera un jour ?
Elle arrivera forcément, mais pas au niveau de la loi Lefebvre. Beaucoup de parlementaires étaient favorables à notre action. La seule crainte portait sur la perte d’emplois en France chez les constructeurs. Ces derniers ont fait un lobbying tellement fort qu’ils ont fait croire aux politiques que la majorité des pièces montées sur les voitures se trouvaient fabriquées dans l’Hexagone. Or, on sait que c’est faux, elles viennent même davantage d’Asie que d’Europe. En revanche, une nouvelle législature va se mettre en place, et nous allons donc devoir discuter du problème avec les nouveaux députés, et repartir ainsi quasiment de zéro. Je pense aussi que les constructeurs ne vendent pas leurs voitures au bon prix. Ils devraient gagner de l’argent en les commercialisant, et non en comptant sur les pièces détachées et sur l’activité de la réparation. Si les voitures se vendaient plus cher, elles conserveraient de la valeur, et il serait alors intéressant de les réparer, avec des pièces moins chères.

Libre choix du ré­­­parateur : une vraie bonne nouvelle pour les réparateurs ?
Ce libre choix représente un problème clé pour les carrossiers, puisque l’assureur fera tout pour empêcher son client d’aller dans un centre non agréé. On note d’ailleurs tous les jours des détournements de clientèle. Lors de la discussion de la loi Lefebvre sur la consommation, nous avons été appuyés par certains parlementaires, dont Mme Vautrin, pour faire valoir, entre autres, ce libre choix. Précisément, l’amendement stipule que l’assureur doit inscrire dans les contrats que le client reste libre de choisir son réparateur en cas de sinistre. Et lors du vote du texte au Sénat, celui-ci a été durci pour les assureurs, puisqu’il a été rajouté que cette liberté doit être rappelée à l’occasion de chaque sinistre. Le texte doit encore repasser devant l’Assemblée nationale, mais la période d’élections freine un peu la procédure. La loi sera bien votée au final, puisqu’elle bénéficie de la bienveillance des politiques. Et à la différence de la Feda, nous avons juste les assureurs pour nous contredire, alors qu’eux doivent faire face aux lobbies des constructeurs. Il s’agit d’un réel progrès pour les réparateurs. Nous pourrons nous appuyer sur cette loi pour communiquer auprès de nos clients.

--------------
BIO EXPRESS

59 ans, marié, un fils.
Après le Bac, il suit pendant deux ans le cursus d’ingénieur de l’Estaca. Mais il se rend compte que ce profil ne colle pas avec son projet de reprendre le garage familial.
En 1974, il part au Mans pour faire, sur un an, une école de commerce ciblée sur le commerce et la réparation automobile : l’Escra.
En 1975, il effectue son service militaire en Guadeloupe, travaillant comme secrétaire d’un responsable d’atelier.
En mars 1976, il rejoint le garage Ravier. Il prend en charge le magasin et l’approvisionnement des pièces, avant de s’occuper de la gestion et de la comptabilité.

Partager :

Sur le même sujet

cross-circle