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L’amortisseur fait dans le détail

Publié le 24 avril 2015
Par Romain Baly
7 min de lecture
Après avoir bouclé un nouvel exercice morose, le marché de l’amortisseur tente de trouver des solutions et les fournisseurs axent de plus en plus leurs efforts sur des familles de produits peu ou mal travaillées depuis plusieurs années.
Après avoir bouclé un nouvel exercice morose, le marché de l’amortisseur tente de trouver des solutions et les fournisseurs axent de plus en plus leurs efforts sur des familles de produits peu ou mal travaillées depuis plusieurs années.

Sans être vertigineuse, la chute se poursuit pour tous les acteurs de l’amortisseur. Si ce secteur n’est pas le seul dans ce cas de figure, ni le plus mal loti d’ailleurs, il n’en demeure pas moins bloqué dans une spirale négative difficile à enrayer, nonobstant un contexte économique plus favorable qu’en 2012 ou en 2013. Après un premier semestre de hausse, bien aidé par des conditions climatiques favorables et des campagnes de promotion efficaces, le marché s’est effondré dans le second et voit finalement ses volumes régresser de 6 % à 8 % sur l’ensemble de l’année, selon les statistiques de la Fiev (Fédération des industries des équipements pour véhicules), pour un total d’environ 1,4 million de pièces. Un chiffre aux antipodes de ceux enregistrés dans les années 90, mais qui tend, malgré tout, à se stabiliser, comme le souligne Roland Mensa, directeur marketing de TRW : “Il est vrai que la décroissance est très importante entre 1997, par exemple, où nous avions écoulé 3,3 millions de pièces, et aujourd’hui. Mais il faut noter que, depuis deux à trois ans, le marché s’est stabilisé aux alentours de 1,3 et 1,5 million d’unités. Nous pourrions qualifier la situation actuelle de “stabilité décroissante”.” Un contresens loin d’être insensé, qui met en exergue ce paradoxe d’un marché qui réussit à trouver son rythme de croisière dans un contexte baissier, là où d’autres subissent des trous d’air plus importants. Une petite prouesse, d’autant plus réalisée dans un environnement loin d’être favorable à l’amortisseur. C’est bien connu, sur une voiture, l’invisible a tendance à être oublié et l’amortisseur n’échappe pas à la règle. Si les causes de cette baisse sont multiples, le manque de considération des automobilistes s’avère plus que jamais d’actualité. “L’amortisseur a toujours connu d’importantes évolutions, dont personne ne parle. C’est une pièce invisible et sa technologie n’évoque rien chez les automobilistes”, regrette Didier Meyer-Warnod, directeur commercial de Record, l’un des derniers spécialistes français du genre. “Les amortisseurs n’apparaissent même pas dans les trois premiers éléments de sécurité cités par les automobilistes, se désole de son côté Arnaud Pénot, responsable marketing de Bilstein Group France. Or, un amortisseur usé ou défaillant présente un gros danger, allongeant les distances de sécurité, mais diminuant également la tenue de route.” Un danger d’autant plus grand qu’il est bien souvent possible de continuer à rouler avec une pièce défectueuse, ce qui laisse l’automobiliste dans l’ignorance ou dans le déni. Une situation renforcée par de multiples éléments structurels consolidant malgré eux cette tendance. Dans une logique volonté d’amélioration, les fabricants ont ainsi été les premiers à desservir le marché de l’après-vente en rendant leurs produits plus résistants. Autres éléments fondamentaux, la baisse de la vitesse sur nos routes et l’amélioration de ces dernières ont eu pour effet de ralentir la dégradation des amortisseurs, mais aussi les mauvaises sensations en cas de défaillance.

Un contrôle aléatoire

Il revient donc en premier lieu aux professionnels de tirer la sonnette d’alarme le moment venu et de réaliser ce travail de sensibilisation. Soit. Il n’empêche que, même dans les garages, le message peine à passer. Ces dernières années, les garagistes ont trop souvent eu tendance à limiter le coût des factures face à des clients soucieux de leur pouvoir d’achat. Plutôt que de s’acharner à vendre des prestations relativement coûteuses, les professionnels ont préféré se concentrer sur des opérations plus faciles à intégrer chez les automobilistes, quitte à réaliser un travail incomplet. “C’est d’autant plus dommageable que les garages comptent essentiellement une clientèle de fidèles avec qui il serait aisé de réaliser cet effort de sensibilisation”, note Eric Le Gall, directeur général France et Benelux de KYB. Loin d’être systématique, le contrôle global des amortisseurs constitue donc un frein majeur pour le marché, mais évolue pourtant progressivement. Face au déclin des volumes, fabricants, distributeurs et réparateurs tentent de trouver des solutions, dans un contexte budgétaire restreint où chaque dixième de part de marché vaut désormais de l’or. Réussir à croître à moindres frais, tel est le défi de tous ces spécialistes qui, pour le relever, recommencent depuis plusieurs années à s’intéresser aux éléments secondaires. “Accessoires”, “produits périphériques” ou “pièces additionnelles”, le terme ne revêt pas la même définition pour chacun, mais tous font état d’un marché “autre que celui de l’amortisseur” en plein développement. Hormis des ressorts en net retrait chez la plupart des fabricants et distributeurs, tous les éléments annexes ont d’ailleurs progressé l’an dernier. “Il faut encourager les réparateurs à réaliser des ventes additionnelles et les éduquer en ce sens, car il existe de réelles opportunités de croissance”, estime Pierre-Henri Tinet, Category Manager à l’Autodistribution. Semelles, coupelles ou soufflets, constituent autant de niches jusqu’alors laissées de côté, pour les raisons précédemment évoquées, à présent reconsidérées avec un certain succès au vu des résultats. Du côté de l’AD, par exemple, là où les amortisseurs stagnaient, les semelles affichaient une progression à deux chiffres en 2014. Une tendance équivalente accompagne les coupelles, elles aussi plébiscitées lors du dernier exercice. Chez Bilstein, Arnaud Pénot avance une progression de “50 % sur un an au niveau des accessoires”. Des chiffres flatteurs, offrant aux pièces annexes le statut de nouvelle poule aux œufs d’or du secteur, mais un succès qu’il convient toutefois de relativiser. Comme le souligne encore une fois Arnaud Pénot, “ce sont des produits peu bataillés qui offrent des marges plus importantes, mais qui restent des niches avec des volumes restreints”. Ainsi, Pierre-Henri Tinet avance une répartition de 70 % pour les amortisseurs, de 20 % pour les semelles, et donc de 10 % pour tous les autres éléments. Des chiffres loin d’être négligeables, mais qu’il convient bien de mettre en perspective du marché.

Une couverture inférieure à 60 % à 70 %

D’autant que, tel un chat qui se mord la queue, leur développement a pour effet d’alourdir la facture. On en revient là. “Cela fait très longtemps que nous travaillons ces produits, qui constituent un levier de croissance pour les réparateurs. Mais cela ne peut fonctionner qu’en expliquant aux consommateurs qu’il est nécessaire de changer l’amortisseur mais aussi toutes ses pièces périphériques selon l’état constaté”, estime quant à lui George-Henry Descos, directeur marketing et communication de Tenneco Europe. De là à en conclure que le travail de sensibilisation commence à porter ses fruits, il n’y a qu’un pas. Une autre explication prend du sens. De nombreux témoignages font état d’un marché longtemps déréglé, où ni le réparateur ni le distributeur ne faisaient leur travail jusqu’au bout. Résultat, pendant que les garagistes inspectaient de manière partielle l’amortisseur, les plus consciencieux devaient aussi faire face à l’absence de certaines pièces. “Il est vrai qu’à un moment, même les commerciaux de nos distributeurs ont arrêté de vendre des accessoires, partant du principe que ça se changeait peu”, étaye Arnaud Pénot. Un sentiment confirmé par Romain Laporte, directeur marketing de ZF Services France : “Réparateur et distributeur ne peuvent être dissociés. Il est primordial que le premier contrôle toutes les pièces, mais aussi que le second les lui mette toujours à disposition. Il faut impliquer ces deux acteurs dans cette démarche.” Quitte à complexifier l’activité de ce duo, amené à gérer et à avoir sous la main un nombre de références en constante évolution, et surtout en constante augmentation. De par leur manque d’intérêt supposé, ces pièces annexes accusent un déficit en termes de couverture, que les fabricants tentent de combler au plus vite. Aussi, il convient à chacun d’appréhender rapidement une quantité de nouveaux produits. Pour ce faire, KYB a mis au point des outils d’aide, comme le détail Eric Le Gall : “C’est avant tout un travail de sensibilisation et d’éducation, nous avons donc fait le choix d’envoyer des notices d’information pour permettre aux professionnels de développer ces niches. La couverture du parc sur ces pièces peut être inférieure de 60 % à 70 %, c’est pour cela que nous avons investi dessus depuis trois ans.” Une donnée bien éloignée des 90 %, 95 % ou même 98 % de couverture présentés en amortisseur, ce qui donne une idée des progrès possibles.

L’avenir avec les amortisseurs ­pilotés

En marge de ce vaste chantier, d’autres opportunités à plus ou moins longues échéances permettent à ce secteur d’espérer des lendemains plus chantants. Implémentée dans chaque élément mécanique ou presque, l’électronique constitue une belle piste de croissance. A moyen terme toutefois. Arrivés récemment, les amortisseurs pilotés ne sont pour le moment que l’apanage des modèles Premium de dernière génération et de leur réseau constructeur. A en croire Eric Le Gall, “d’ici trois à cinq ans, cette technologie arrivera en après-vente et permettra de dégager de l’activité avec des produits à forte valeur ajoutée”. Si tous l’attendent de pied ferme, l’électronique se réserve encore à la première monte, tout en suscitant l’envie de la seconde. Bilstein parle ainsi d’un travail “plus préventif que concret” sur la question, contrairement à Monroe qui, en début d’année, au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, a ainsi mis en avant sa propre gamme d’amortisseurs pilotés, annonciatrice d’ambitions bien réelles. Autre piste de développement avec les sempiternelles campagnes de promotion. Un phénomène adopté par tous, notamment par ZF qui met en place une vaste campagne d’avril à juin à l’attention des distributeurs et des garagistes qui se verront également proposer un kit de communication pour mettre en avant l’opération, tout autant que leur savoir-faire en matière d’amortisseur. Même son de cloche du côté de Tenneco, qui compte sur sa communication pour booster ses ventes. Face aux pratiques de ses concurrents, Roland Mensa, de TRW, fulmine : “Nous galvaudons ce secteur en offrant deux amortisseurs en échange de deux achetés. Au niveau marketing, quelle bêtise !” Sous-entendu que ces produits ne se bradent pas, compte tenu de leur prix initial, de leur importance, notamment en matière de sécurité, mais aussi de leur technicité. A tort, en effet, s’est répandue l’idée que les constructeurs avaient la mainmise technologique en la matière. “C’est peut-être vrai… mais uniquement sur leur propre gamme, note Roland Mensa. Les indépendants sont des multimarquistes capables de maîtriser chaque référence. La différence, c’est que ces derniers n’ont pas les mêmes budgets communication que les constructeurs pour le faire savoir…” D’où l’intérêt de ne pas brouiller le secteur dans un message promotionnel qui, bien que commercialement porteur au premier abord, s’avère destructeur en matière d’image.

Réviser les règles du contrôle technique

Plus que de communication, de promotion ou d’innovation, le secteur de l’amortisseur compte également beaucoup sur une révision prochaine des règles du contrôle technique pour pouvoir croître. Proche du néant en la matière, l’action des organismes de CT se limite aujourd’hui à vérifier s’il y a ou non une fuite d’huile sur la pièce. La technique du coup de chiffon passé avant le rendez-vous pour dissimuler celle-ci n’a que trop duré pour la Collective des Amortisseurs, qui se démène, entre autres combats, depuis de nombreux mois pour que les pouvoirs publics complexifient le processus de contrôle. Mené avec l’Utac, le projet de la Collective prévoit de faire reconnaître le test de l’amortisseur sur des bancs permettant d’analyser la dégradation de ces derniers, mais aussi des correcteurs de trajectoire. “Si les résultats sont probants, l’ESP étant pris en compte par le contrôle technique, il y a de fortes chances que la réglementation évolue”, explique Eric Le Gall, son président. Sachant, comme le rappelait ce dernier dans nos colonnes il y a peu, que 40 % du parc français roulerait avec des amortisseurs usés, on prend conscience des débouchés potentiels qu’offrirait cette réforme du CT. D’ici là, chaque acteur devra sans doute faire face à une nouvelle année morose. Entre stabilité et légère décroissance, tous comptent renforcer leur action pour tenter de présenter le meilleur bilan possible. Chez Bilstein comme chez Tenneco, l’animation réseau revêt une importance majeure, alors que TRW mise davantage sur le développement d’outils et, à ce titre, lancera prochainement TechCorner, un nouveau catalogue électronique destiné aux distributeurs. Pour en voir davantage, il faudra attendre. Arnaud Pénot, comme d’autres, regrette que le secteur de l’amortisseur soit “davantage dans la réaction que dans l’action. Nous prenons ce qu’il y a à prendre et quand vient une nouvelle problématique, nous nous demandons comment y répondre”. Incapable d’avoir un coup d’avance, ce marché s’en remet donc à ses valeurs sûres, en attendant que le futur lui permette de rebondir. 

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