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Distribution

“Je ne me fais aucun souci pour la distribution indépendante !”

Publié le 17 août 2015
Par Hervé Daigueperce
8 min de lecture
Aussi à l’aise comme meneur de jeu en rafting à l’autre bout du monde, avec, comme coéquipiers, des gamins trentenaires, qu’aux commandes du groupement “alternatif” Agra ou d’Autolia, André Brutinel se joue des images dans lesquelles on a tenté de l’enfermer. Homme libre, il revendique un esprit d’entreprise que la perspective d’un nouveau challenge aiguise, tout en assénant que seules les relations humaines, finalement, méritent qu’on s’y attarde.
André Brutinel, président de l’Agra et d’Autolia Group.

Depuis 1966, vous avez témoigné de l’intérêt et de l’attachement au groupement Agra, qu’est-ce qui a motivé cet engagement, quand vous étiez débutant ?

Lorsque nous avons décidé de nous lancer, mon frère et moi, j’étais persuadé que notre petite entreprise ne pouvait fonctionner, que si nous trouvions des solutions en termes d’approvisionnements et de facilités de paiement. Dès le départ, des représentants m’ont conseillé de voir du côté de cette amicale, l’Agra, qui correspondait à ce que je cherchais. Il me fallait des parrains que j’ai trouvés (comme Debas à Chambéry) et je n’ai jamais regretté. L’Agra m’a beaucoup aidé à me développer et c’est pourquoi, aujourd’hui, je prête une grande attention aux petits distributeurs qui souhaitent nous rejoindre. Nous avons tous des besoins, certes différents que l’on soit petit ou grand, mais tout aussi nécessaires pour nos entreprises. J’ajouterais que les petits apportent beaucoup en termes d’idées et de réactivité.

Comment se définit un groupement de distribution pour André Brutinel ?

Un groupement doit effectivement porter ses adhérents comme je l’évoquais, mais c’est surtout un lieu dans lequel nous pouvons laisser libre cours à beaucoup d’échanges dans nombre de domaines. A l’Agra, nous faisons en sorte que chacun ait beaucoup d’espace autour de lui, dans sa zone de chalandise, ce qui permet de nous rencontrer tous les deux mois, sans souffrir de situations concurrentielles délicates. C’est un état d’esprit, très humain, autour duquel les gens partagent en toute transparence. Cela nous pose parfois des problèmes en termes de développement, mais nous préférons préserver l’esprit qui préside au groupement et qui mêle des entreprises d’1,5 million d’euros de chiffre d’affaires à d’autres réalisant 10 millions !

Par rapport aux deux géants du secteur, comment vous positionnez-vous ?

L’Agra s’est constituée de chefs d’entreprise qui se connaissent, qui s’adoubent et qui compte une quarantaine d’associés dans son capital. Il ne s’agit pas d’un groupe piloté par un fonds d’investissement, mais d’un groupement de personnalités différentes qui partagent leurs expériences, veulent des réponses rapides et correspondant à leur métier, en privilégiant la convivialité. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de discussions fortes, mais ce sont les rapports humains qui priment. Lorsque nous traversons des moments difficiles, c’est la valeur humaine qui nous permet de les dépasser. Dans un groupe financier, quand il y a des périodes de turbulences, seul l’aspect financier entre en ligne de compte, avec tout ce que cela suppose en termes de désengagement, ou de vente par appartement.

L’âme d’un groupement est nécessaire mais est-ce suffisant dans le monde d’aujourd’hui ?

Quand, comme chez nous, il y a une âme, cela fonctionne. Certes, nous sommes aussi confrontés aux problèmes de moyens financiers mais, en l’occurrence, l’Agra génère de bons bénéfices qui sont redistribués aux entreprises et le plus souvent réinvestis dans les projets de développement comme ici, dans cette plate-forme de 18 000 m2, dont nous commençons déjà à occuper le second niveau !

Pour revenir à vos concurrents, ne craignez-vous pas que l’Agra ait atteint une taille critique ?

Aujourd’hui, nous pouvons considérer que notre logistique s’impose comme l’une des meilleures existantes, tant en largeur de stock, qu’en organisation et en automatisation. Ce qui constitue la force de la distribution, ce n’est pas autre chose, c’est le stock, la largeur de gamme, la capacité à livrer rapidement et bien sûr les conditions financières. Et sur ce point, nous nous débrouillons très bien : à l’inverse des groupes financiers, nous redistribuons la totalité des RFA aux adhérents ou à l’élargissement du stock. Quant aux bonus, nous les obtenons par Temot International. Nous n’avons donc pas de soucis de taille.

Comment réagissez-vous par rapport aux ventes par Internet ?

La qualité des services, des informations, alliées à la disponibilité de la pièce, soit en stock chez le distributeur de proximité, soit en largeur chez nous, constituent la meilleure réponse à la vente par Internet. Certes, le distributeur affiche des coûts plus élevés, parce qu’il doit tenir compte des infrastructures et du personnel mais, par ailleurs, il donne les informations techniques, il aide le professionnel en termes d’identification, et il aura une disponibilité de pièce qui fera la différence, sans le problème du retour…

Cependant, les “pure players” dans le domaine, prennent des parts de marché…

Internet est incontournable dans notre monde. Le seul problème auquel nous sommes confrontés est né de ce modèle de vente conçu avec des marges insuffisantes par Oscaro. Des marges trop courtes appauvrissent mécaniquement le marché et empêchent tout autre site de vendre des pièces détachées. La seule solution consisterait à ce qu’Oscaro comprenne qu’il est préférable de gagner de l’argent, et que le marché deviendra ainsi plus lucratif pour tout le monde ! On pourrait lire, d’ailleurs, comme une fuite en avant, le fait d’aller chercher les professionnels, pour gagner des parts de marché supplémentaires, afin de pallier le tassement des ventes de la première génération.

A propos des garagistes, comment appréhendez-vous les réseaux de garages, comme une opportunité, une mode, un mal nécessaire… ?

Nos réparateurs ont acquis le savoir-faire indispensable pour intervenir sur les véhicules mais ce ne sont pas, la plupart du temps, les meilleurs vendeurs de leur travail, ou alors ils n’en ont pas le temps. Notre rôle consiste à leur apporter de la formation, des sites Internet, de la communication et, pour nos adhérents, c’est aussi un bon moyen de fidélisation. La principale difficulté réside dans l’animation de ces réseaux, parce que la bonne volonté des débuts ne suffit pas, elle s’essouffle et c’est là que nous devons intervenir ? Nous avons la chance de disposer à l’Agra, de la bonne équipe pour cela, et nos adhérents apprécient d’être, à la fois considérés et bien traités, dans le cadre d’une relation très humaine.

Et comment définissez-vous vos relations avec les fournisseurs ?

Nos relations avec les fournisseurs ne sont pas très éloignées de celles que nous entretenons avec nos adhérents. Au départ, nous étions petits et l’on nous disait que nous n’arriverions pas à discuter avec les fournisseurs. En fait, nous traitons sereinement avec eux, négocions comme il faut et savons nous arrêter à un moment donné. Nous sommes, en outre, devenus une vraie alternative pour eux ! Nous privilégions les fournisseurs première monte pour la qualité des produits, les informations techniques, et aussi pour les marques qu’ils représentent et leur capacité à tenir le niveau de prix. S’il n’y a plus de tarifs conseillés, cela ne peut pas fonctionner.

Envisagez-vous, comme d’autres grands groupes, de filialiser, soit en créant, soit en rachetant ?

Notre vocation n’est, en aucune façon, de monter des filiales et nous ne nous porterions acquéreur d’un de nos adhérents, qu’en cas de problème de transmission et pour une durée limitée, le temps qu’on facilite l’acquisition par un autre chef d’entreprise.

Les plates-formes de distribution envahissent le territoire, vous-même vous appuyez sur le réseau Sirius, n’allons-nous pas vers une forme de saturation ?

Toutes les plates-formes qui se sont montées ont permis à de petits distributeurs sans stock d’exister, mais l’excès du nombre de ces plates-formes et des longueurs de gammes va aboutir à la disparition de certaines d’entre elles. La diminution des marges en sera la cause. En nous associant avec Sirius, nous avons opté pour un service de dépannage via des plates-formes indépendantes, dans les zones où nous n’étions pas, pour un maillage plus complet et donc plus de service.

A l’ombre des géants, l’Agra a donc toute sa place ?

Agra continue sa route avec une progression à deux chiffres et son principal souci consiste à gérer la croissance. Nous avons 18 000 m2 de stockage, ici, et nous attaquons déjà le deuxième niveau alors que l’on m’avait pris pour un fou, quand j’ai décidé de construire aussi grand.

Vous êtes aussi président d’Autolia, comment se porte le groupement ?

Notre groupement se porte plutôt bien malgré les vicissitudes qu’il a subies, comme le départ de Starexcel, et il s’est bien développé, en s’appuyant sur des membres actifs. Flauraud après un passage un peu délicat suite à son déménagement, constitue un vrai soutien, TVI et A.R.E nous ont rejoints et TF s’agrandit.

A ce propos, il a été beaucoup question de TF ces temps derniers…

Beaucoup d’erreurs, surtout, ont été diffusées. TF regroupe plusieurs membres qui sont Autoban, Barrault, D2 Alliance (recycleurs), PADR (recycleurs) et Océane, une émanation de PADR, destinée à accueillir des entreprises plus petites. Chacune de ces entités est indépendante, et l’une d’entre elles a accepté comme l’un de ses adhérents, le site Yakarouler.com. Ce site n’est, en rien, adhérent à Autolia Group.

Autolia est, sauf erreur de ma part, le seul groupement de distribution à accueillir des recycleurs, est-ce que cela correspond à une stratégie, en vue de doter les distributeurs d’une deuxième gamme moins onéreuse ?

Lorsque D2 Alliance est arrivé dans le groupement, je n’étais pas d’un enthousiasme débordant, parce que je ne connaissais pas cette profession. Depuis, j’ai découvert d’excellents professionnels parmi les recycleurs, et l’évolution se poursuit. En fait, il ne s’agit pas de proposer une deuxième gamme, mais de permettre à tous ces professionnels, qui sont dépendants des voitures qui leur arrivent, de pouvoir répondre à leur clientèle en proposant de la pièce neuve quand ils n’ont pas de pièces d’occasion, ou de fournir des pièces complémentaires. Les chocs sont moins nombreux, moins de véhicules entrent dans les centres, il leur faut vendre de la pièce neuve.

La pièce de réemploi ne vous apparait-elle pas comme une alternative tarifaire intéressante aujourd’hui, choisie par les assureurs ?

Que la qualité de la pièce de réemploi puisse être reconnue par les assureurs et utilisée, cela ne pose pas de souci. En revanche, ce qui me gêne, c’est que les assureurs fassent la promotion des pièces de réemploi, moins chère, sans baisser la prime d’assurance. Pour moi, cela n’est pas compatible, l’automobiliste ayant payé pour le remplacement par une pièce neuve.

Attendez-vous d’autres adhérents chez Autolia, ou le quota a-t-il été atteint ?

La porte est grande ouverte et nous attendons de nouveaux entrants. Nous aurons une belle annonce à faire pendant Equip Auto dans ce domaine.

On a beaucoup parlé d’IDLP, ce groupe pourrait adhérer à Autolia ?

Il faudrait lui demander. S’il le souhaite, nous l’accepterons avec plaisir et nous ne sommes pas les seuls ! Cependant, la décision appartiendra, au final, à l’ensemble des membres.

Votre adhésion à Temot International vous donne-t-elle toute satisfaction à l’heure où d’autres groupements internationaux apparaissent sur le marché ?

Nous avions besoin d’un accès à l’international et, non seulement Temot International nous l’a apporté, et ouvre aussi en plus les portes du monde en étendant son champ d’actions au Japon, en Corée, en Inde, en Afrique du Sud, etc. Nous devons adopter le même développement à l’international que les équipementiers, qui sont devenus mondiaux. De la même façon également, Temot International a subi des départs mais aussi beaucoup de nouveaux entrants, tout ceci nous donne satisfaction, d’autant que nous bénéficions d’une vision différente des marchés. Lorsque nous nous retrouvons, nous nous rendons compte combien notre marché français est atypique. Et cela nous apporte beaucoup, en termes d’informations, d’expériences, de relations clients, etc. L’échange entre nous est devenu capital.

Cela vous fournit-il des armes pour mieux affronter la concurrence ?

Tant que nous pouvons faire ce que nous voulons, nous ne craignons personne. Cela demande de se remettre en question, de travailler, d’écouter, et de ne pas avoir peur de rectifier le tir après avoir reconnu son erreur. Lorsqu’on reste en France, on finit par ne plus voir que son propre contexte, et les échanges que nous avons chez Temot International nous permettent justement d’ouvrir les yeux sur d’autres pratiques et méthodes et ainsi de nous adapter ou de mieux comprendre comment agir pour ne pas faciliter le terrain aux nouveaux entrants…

Que pensez-vous des actions d’une fédération comme la Feda ?

Le fait de remettre au centre de notre intérêt le distributeur me paraît une excellente démarche puisque, effectivement, toutes nos actions étant tournées vers le réparateur, on en oubliait notre propre rôle. Or le distributeur, ne l’oublions pas, demeure celui qui stocke, qui forme des personnels pour répondre aux questions des réparateurs, diffuse les informations techniques et des contenus spécifiques, etc. Le slogan “La Feda est là” s’avère donc bienvenu.

L’avenir de la distribution indépendante vous préoccupe-t-il ?

Je ne me fais aucun souci pour la distribution indépendante, d’autant que cela fait plus de 50 ans qu’on me pose la question. Seuls les motifs éventuels de crainte changent, entre les centres autos et la grande distribution, Internet et les plates-formes, etc. Tant qu’une voiture roulera, il faudra bien l’entretenir, réparer et changer des pièces, et nous serons là pour le faire. Bien évidemment cela n’empêche pas d’être vigilant comme avec la question de “l’e-call” et de ses dérives possibles, que nous observons de très près. Un problème sur lequel nous travaillons à l’Agra et dans Autolia, de façon à ce que nos réparateurs soient dans la boucle. Si nous avons créé le panneau “Point Repar”, c’est aussi pour permettre aux agents d’être multimarques. Notre force consiste à nous adapter à l’évolution de l’automobile. Nous voyons bien que les concessionnaires vont avoir de moins en moins de stocks, que les plates-formes, après s’être totalement dispersées vont se resserrer : en choisissant un modèle de plate-forme nationale et des plates-formes en région avec Sirius, nous anticipons la restructuration inéluctable de tous ces stocks érigés en plates-formes.

Vous êtes donc un vrai optimiste ?

Une seule chose me préoccupe, c’est le plaisir que l’on éprouvera en allant travailler dans la distribution. Mon fils est venu dans l’entreprise par plaisir, et il en faut parce que le travail est énorme. Il se débrouille très bien, et n’a pas besoin de moi. De mon côté, à 73 ans, j’ai toujours envie de relever de nouveaux défis dans ce métier…
 

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