“Aujourd’hui la réalité de la consommation, c’est la proximité”
Comment définiriez-vous la force de BigMat ?
En tout premier lieu, elle se définit par la proximité client et la réactivité. Le pouvoir de décision est en face du client et cela sert énormément quand le marché est mouvementé. Lorsqu’il est tranquille, les grosses machines peuvent avoir l’avantage, mais en cas de crise, de dérapages du marché, ce sont les structures de proximité qui s’en sortent le mieux, prennent des parts de marché grâce à la réactivité locale. Ce qui n’empêche pas dans une structure comme BigMat d’associer les deux, comme nous pouvons le faire sur le numérique, qui est à la fois extrêmement local et stratégique au niveau national. Chaque point de vente a son site Internet dédié, sans compter les bornes numériques les applis, etc. Mais décider d’une infrastructure sur ces systèmes-là, en revanche, relève de décisions nationales voire internationales. Je continue donc à dire chez BigMat ce dont je faisais la promotion chez Intersport : une organisation d’intégrés au service de l’indépendant.
Quelle est la typologie des adhérents, la taille moyenne des entreprises ?
Ce n’est pas la moyenne qui compte dans les réseaux, c’est l’écart type. C’est ainsi que j’apprends à gérer d’un côté les grands adhérents, qui ont beaucoup de demandes parce que leur organisation est déjà très sophistiquée, et les plus petits, qui ont d’abord besoin des fonctions de base. Mon rôle est de faire en sorte que chacun trouve son compte dans le groupement face à une concurrence forte. Il existe, aujourd’hui, trois grosses coopératives dans la distribution de matériaux, Gedimat, Tout Faire et nous. Récemment, BigMat a intégré une centrale de référencement fournisseurs, la CMM (Centrale Multi-Enseignes des Matériaux), une centrale devenue, pour les fournisseurs, le premier portail d’entrée au marché.
Est-ce l’entrée d’un “gros” du marché comme BigMat qui a donné ce positionnement à CMM ?
Avec l’arrivée de quelques autres acteurs et de BigMat (numéro 2 français), CMM a acquis une place plus importante que Saint-Gobain Distribution, qui détient un tiers du marché. Nous pesons donc à nous deux, deux tiers du marché, il faut néanmoins tempérer cette situation, puisque dans CMM, coexistent plusieurs enseignes, et BigMat réalise un quart de ce tiers, Tout Faire venant derrière. CMM comptant également une vingtaine de groupements d’indépendants, mais qui, par leur structure même, ne peuvent offrir les mêmes services qu’une grande enseigne.
En revanche, ce qui vous unit, c’est le commerce de proximité ?
J’ai coutume de dire depuis des années, “I think local, I act global” et non l’inverse. La réalité de la consommation aujourd’hui, c’est la proximité. Je vais là où c’est facile et où tout a été fait pour bien me recevoir et me répondre utilement. Il est inutile qu’une grande enseigne dispense des discours merveilleux si, sur le terrain, on ne sait pas dire bonjour. Dans les matériaux de construction, c’est évident, vous ne vendez pas les mêmes ardoises en Bretagne que dans le sud-est de la France. Cela nous amène à faire très attention dans le référencement national de fournisseurs, référencement qui doit tenir compte de ces spécificités régionales.
Avec une telle disparité d’offres, comment établir une communication qui serve chaque besoin ?
En termes de communication, chez BigMat, nous avons distingué quatre niveaux de communication : “que dit l’enseigne ?”, “Que dit l’adhérent indépendant, l’entrepreneur ?”, “Que dit le point de vente” ? (les points de vente d’un adhérent ne disent pas tous la même chose), et “Que dit le collaborateur ?” parce que c’est lui qui parle au client. Dans notre charte de communication, nous travaillons de façon pointue sur le bon niveau de communication dans la relation client. Nous partons d’une communication globale pour faire connaître la marque au niveau national et les entreprises prennent le relais parce que leur nom propre est connu jusqu’au point de vente, qui a aussi des choses à dire au consommateur de sa zone de chalandise.
C’est le thème de “Mais que se passe-t-il chez BigMat”, votre dernière publication ?
Ce document exprime le plan stratégique, en effet, qui m’a été demandé par les adhérents, alors qu’ils étaient désorientés par la crise de 2008, les mutations de ce métier, etc. Ils voulaient quelqu’un qui sache animer les indépendants plus qu’un grand maître du négoce. Et pour moi, cela ressemble au management ultime, parce qu’on arrive chez eux, ils sont patrons de leur entreprise et donc très exigeants. Il faut d’abord convaincre dans le système coopératif et recueillir l’adhésion avant de mettre en place. Mais c’est un travail commun, et c’est ainsi qu’au-delà du plan stratégique, j’ai demandé à chaque adhérent d’examiner sa zone et d’écrire son PSP, Plan Stratégique du Point de vente. Dans la distribution, quand on nous demande de développer les qualités d’un distributeur, il faut bien savoir où est son terrain de jeu, bien comprendre les attentes des consommateurs (clients, partenaires), et savoir qui est en face. Parce que nous avons des forces nationales, mais aussi des forces locales, et lorsque le service client est majeur, la formation des personnels est primordiale, l’organisation du point de vente, sa signalétique… Tout est important et dépasse les contenus nationaux. On apprend ainsi à construire sa force locale à partir de ce que propose le groupement : si le groupement déploie des actions, il faut qu’elles soient utilisées, sinon tout cela ne sert à rien.
La question consiste à partir du besoin du consommateur pour mieux servir ?
Le rôle principal du distributeur consiste à créer de la valeur. Et cela passe inévitablement par la sociologie de la consommation. Si l’on ne détermine pas pourquoi les gens achètent, on ne peut pas créer cette valeur et on disparaît. C’est pourquoi, le service est majeur, quel que soit le produit, du matériau ou de la pièce automobile. Il faut savoir que nos clients sont constitués à 80 % de professionnels, et de 20 % de particuliers, lesquels disposent déjà de solides compétences dans nos métiers. Ces pourcentages varient bien entendu en fonction des zones géographiques (urbain/rural).
BigMat possède-t-il des filiales ?
BigMat est composé à 100 % d’indépendants, à la différence de son principal concurrent, Gedimat qui dispose de 20 % de magasins intégrés. Intersport n’en avait pas alors que Sport 2000 en avait, c’est donc une organisation et un contexte concurrentiel que je connais bien et qui me fait dire qu’il est difficile de mélanger les systèmes, même si je respecte les autres modes de fonctionnement. Le fait que l’on soit concurrent de l’enseigne me semble délicat à gérer. Chez BigMat, je suis totalement dédié au service des adhérents qui sont leurs propres patrons. Maintenant, la question des grandes villes par exemple devient problématique parce qu’un adhérent devant veiller à la rentabilité de chaque point, il n’installera pas de magasin dans certains grands centres urbains en raison des coûts.
Il n’existe pas de plateformes de distribution au niveau régional ?
Parce qu’ils ont une taille suffisante, trois adhérents disposent de plateformes logistiques en propre, mais ce n’est pas la réunion des plateformes qui fait la force d’une plateforme nationale. Dans certains cas, il nous faut donc raisonner nationalement. Nous pouvons faire un parallèle avec Internet, pour lequel chaque point de vente dispose de son site Sur les 450 sites que nous avons, 350 sont dédiés aux points de vente et 100 aux adhérents, qui portent les valeurs de l’enseigne et de l’entreprise.
Combien de personnes composent un point de vente et quel est son chiffre moyen ?
Un point de vente moyen réalise environ 3 millions d’euros et tourne autour des 15 personnes (commerciaux, administratifs, chauffeurs…). Rappelons que la moitié de notre chiffre d’affaires est livré par nos propres camions, nous sommes champions du dernier kilomètre et le e-commerce, nous le pratiquons depuis 30 ans, par fax ! L’autre moitié se fait par téléphone, et on vient le chercher, c’est le “drive”. Les camions appartiennent aux entreprises adhérentes, la centrale n’en possède pas, elle en référence comme d’autres produits.
Au final, vous ne disposez pas de centrale d’achat mais bien d’une centrale de référencement, ce qui est différent de l’automobile ?
C’est ex act, bien que nous venions de créer “Gabi”, une entité pour acheter en commun. Mais c’est très récent et notre structure d’achat en est à ses balbutiements. Notre rôle premier reste le référencement. Nous avons référencé 400 fournisseurs (15 fournisseurs font le tiers du chiffre) mais nous avons relevé dans les balances adhérents quelque 4 000 fournisseurs. Les 400 fournisseurs représentent, pour un adhérent, un tiers du volume mais - et c’est pourquoi les moyennes nationales ne veulent rien dire, le plus petit adhérent travaille avec 70 fournisseurs référencés et une trentaine de fournisseurs non référencés, quand le moyen travaille avec 100 référencés et 50 non référencés, et le plus gros avec 200 de chaque !
Le référencement est-il toujours suivi par les adhérents ?
Les adhérents sont totalement indépendants. Ceci dit, notre plus grande force en termes de fidélisation, c’est la transparence. Cela a constitué l’une de mes priorités, montrer aux adhérents ce que chaque fournisseur leur rapporte personnellement, à l’aide d’un état détaillé. Cette transparence fait beaucoup dans la prise de décision et constitue un facteur de regroupement des adhérents vers les fournisseurs référencés ! C’est valable chez nous, cela ne l’est pas forcément partout.
Et vous n’avez pas de projets de plateformes logistiques communes ?
Nous venons de passer un accord avec le groupement d’indépendants Cofaq, avec lequel nous partageons nombre de fournisseurs. Il faut savoir que la vente de matériaux et la vente d’équipements pour les artisans (outils et vêtements) se structurent différemment. Les professionnels achètent des matériaux en fonction du chantier qu’ils viennent d’obtenir, ce qui n’a rien à voir avec les équipements de la personne et l’outillage. Nous nous sommes mis d’accord avec la Cofaq, non seulement sur les achats, mais surtout sur la mise au point d’un magasin pro BigMat, un concept commercial, “Comment je vends au client final”. Comme nous sommes négociants en matériaux, nous faisons venir les clients sur le point de vente et nous nous lui vendons le reste. Sur ces produits, les plateformes logistiques présentent un intérêt et, avec cet accord, nous avons accès à leurs deux plateformes. Cela étant, BigMat disposant en Espagne et en Belgique de plateformes, nous nous appuierons sur ces modèles. Pour être complet et mettre notre activité en perspective avec l’automobile, ce que nous vendons d’abord, ce sont des matériaux (pondéreux) et ce sont nos agences qui jouent le rôle de plateformes puisque tout est local, le quart des produits qui ne sont pas référencés par nous sont justement composés de ces matériaux (venant des gravières voisines, etc.). Il vaut mieux des petites agences tous les 20 km que des plateformes puisque la tonne est notre unité de mesure. Même les prix se négocient à chaque chantier, tous les jours, le prix change, nous sommes vraiment dans le négoce et pas dans le commerce classique.
Le stock n’a pas le même rôle que dans l’automobile ?
La conception des stocks n’est pas la même que dans l’automobile, nos camions transportant essentiellement une centaine de références, qui font la grosse majorité des commandes comme les sacs de ciment, etc. Plus on est dans le gros œuvre et moins il y a de références et plus nous allons vers la “quincaillerie” ou l’outillage, et plus il y en a. Nous sommes un peu à l’inverse de la démultiplication des références automobiles. Pour aller plus loin, nos clients n’attendent pas de nous des stocks en magasin, des prix préétablis, ils attendent une documentation technique. Nous avons donc changé notre modèle économique et sommes devenus des distributeurs de contenus. L’important pour le client n’est pas le produit, puisque nous l’avons, c’est l’information technique du produit, la fiche technique, réglementaire, normative, etc. Nous avons mis en ligne une base documentaire et de plus en plus de vidéos sur les techniques de construction. Nos gros industriels nous communiquent, en outre, beaucoup d’informations que l’on intègre.
Qu’est-ce que le national prend à sa charge ?
J’ai renforcé le service R-H et nous avons créé l’Académie des bâtisseurs, qui se substitue à notre école de formation BigMat en s’ouvrant à nos clients. Notre contenu comprend cependant 15 à 20 % d’éléments spécifiques à l’enseigne BigMat, même si nous mettons tous nos efforts aux modules génériques. La relation client est partout la même, mais pas la solution ! Et nous avons multiplié par quatre le nombre de personnes que nous formons. Avec un changement de modèle, qui permet à la personne formée d’être tout de suite opérationnelle. C’est ainsi qu’un tiers des formations se font au centre, un tiers en e-learning et le dernier sur site, “la formation action”. Pour résumer R-H, communication, et bien sûr l’interface entre le fournisseur et l’adhérent dans le cadre du référencement sont au niveau national. Il faut y ajouter le financier qui est très important chez nous. Depuis des années, en effet, nous réalisons la centralisation des bilans chaque année, nous remettons l’analyse des ratios financiers à chaque adhérent personnellement en juin, c’est-à-dire son dossier personnalisé avec ses ratios de bilan et de gestion, ainsi que son comparatif par rapport aux ratios généraux.
Que faites-vous au niveau du social ?
Nous adhérons à la FNDM, Fédération du Négoce de Bois et des Matériaux de Construction (membre de la CGI), qui dispose d’un service social important et participe aux accords de branche.
Quelle est pour vous, la qualité d’un distributeur ?
Celle de très bien connaître ses clients, bien connaître son marché, et apporter les services qu’attendent les clients, bien maîtriser les produits des fournisseurs, la documentation : nous voulons monter par la compétence plus que par les prix. Notre credo c’est de mettre des gens en face des gens.
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BIO EXPRESS
53 ans, marié 3 enfants.
1984, Ingénieur diplômé de l’Ecole Centrale, Paris.
1990, MBA en “General Management” obtenu à l’Harvard Business School.
De 1984 à 1988, travaille à l’ANVAR comme ingénieur puis chez l’Oréal, à la division France Produits Publics.
De 1990 à 2002, œuvre dans le secteur du luxe, d’abord chez Guerlain à Singapour, puis, comme directeur diffusion chez Boucheron. En 1997, prend la direction générale de Cristal Saint Louis et celle de Lancel, dont il devient aussi le président.
De 2003 à 2008, devient directeur général d’Intersport et en 2009 assure les fonctions de directeur de la Supply Chain et des Systèmes d’information de Brico Dépôt.
Depuis 2011, président du directoire de BigMat.