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“La rechange indépendante gagnerait à mieux structurer ses circuits”

Publié le 19 février 2015
Par Clotilde Chenevoy
7 min de lecture
Spécialiste de l’après-vente automobile, Eric Devos apporte un éclairage sur le marché de la rechange indépendante avec une approche Europe et monde. La France reste bien un village gaulois !
Eric Devos, président-directeur général, Gipa Groupe

Pouvez-vous nous présenter Gipa Groupe ?

Notre entreprise a installé sa holding en Espagne, et sa direction commerciale en France. Nous sommes implantés dans le monde soit directement avec des filiales (Chine, Russie, Argentine, Brésil, Mexique, Italie, Royaume-Uni…), soit avec des bureaux (Pologne, Portugal, Allemagne…), soit, depuis peu, via des partenaires locaux. Mais cela ne change, en aucun cas, l’offre que nous proposons à nos clients. La spécificité de Gipa, en dehors d’être spécialiste du secteur de l’après-vente automobile, deux-roues et poids lourd, consiste à avoir un ancrage local. Pour réaliser une étude, nous travaillons avec des gens dont c’est la langue, qui connaissent le pays et sa culture, et qui sont capables de valider et contrôler la méthodologie choisie, tout en ajoutant des commentaires qualitatifs pertinents sur le marché.

Qui sont vos clients ?

Nos clients se révèlent extrêmement variés : équipementiers, constructeurs automobiles, manufacturiers, pétroliers et prestataires de services (comme les réseaux). Gipa Groupe travaille avec plus de 160 clients dans le monde entier. Au périmètre France, 53 clients nous ont fait confiance en 2014. Notre potentiel de croissance reste désormais lié à notre capacité à développer des études sur mesure. Nous sommes d’ailleurs très connus pour cette offre dans le monde, alors qu’en France, les acteurs pensent que nous commercialisons uniquement des études en multi-souscriptions (Annual Trends Observatory). Le Gipa se révèle capable de mener toutes les études voulues dans le secteur après-vente, en mettant en place un système de collecte adapté aux besoins de l’enquête (téléphone, Internet, face à face, visite mystère, etc.). Nous menons aussi beaucoup d’études qualitatives, pour comprendre les comportements, par exemple du consommateur ou du réparateur. Souvent, quand on nous soumet une problématique, nous intégrons d’abord une phase qualitative pour comprendre, avant d’aborder les données quantitatives. Nous sommes tellement conscients de la qualité de la collecte d’informations, que Gipa a investi, en rachetant ou créant, des sociétés spécialisées dans ce métier. Pour mener des enquêtes en face-à-face, par exemple, il faut une certaine expertise. En France, nous avons acheté un de nos prestataires, IRS, sur Rennes (35), qui ne travaille cependant pas uniquement pour nous. Au total, nous possédons trois instituts de sondage (Portugal et Espagne, en plus de la France) et nous avons vocation à en rajouter un à deux chaque année. L’objectif consiste à disposer d’un vivier d’enquêteurs formés aux problématiques de l’après-vente.

Et quels sont vos tarifs ?

Concernant l’étude en multi-souscriptions, les onze sociétés membres du conseil d’administration de Gipa Association (Bosch, Federal-Mogul, Valeo, Renault, Volkswagen Group, Total, Continental, Autodistribution, Mobivia Groupe, Speedy et Feu Vert) fixent chaque année la grille de prix, qui se divise en cinq catégories (Constructeurs – Manufacturiers et pétroliers – Equipementiers – Réseau et distribution – Autres). Le prix varie par exemple en fonction du pays considéré, du prix de l’enquêteur, de la taille de l’échantillon, etc. Ensuite, pour chaque catégorie, il existe des critères pour classer les entreprises sur un niveau de cotisation S, M ou L (taille de la société, parts de marché, nombre de produits ou de points de vente, etc.). Quant aux études sur mesure, la tarification dépendra de la méthode utilisée et de la largeur de l’échantillon. Toujours est-il que nous sommes capables d’offrir des solutions en fonction du budget fixé.

La Rechange indépendante prend-elle suffisamment le temps d’analyser le marché ?

Globalement, dans le domaine de l’après-vente en France, nous sommes sur un marché qui ne croît pas, et toutes les entreprises cherchent néanmoins des solutions pour se développer. Dans les pays du G5 (France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne), pour générer de la croissance, il faut augmenter sa part de marché. Dans cette optique, certains se donnent les moyens statistiques de le faire, quand d’autres jouent davantage la carte de l’intuitivité. Dans le contexte économique actuel, il devient risqué de se lancer dans de nouveaux projets sans préalablement éprouver un projet, notamment via des études scientifiques. A l’échelle Europe, la France n’est pas le pays qui investit le plus dans les études sur mesure. Nous sommes certains que la nouvelle organisation mise en place, avec l’arrivée de Xavier Pacilly en qualité de nouveau directeur général de Gipa France (ex-BVA), couplée à l’expertise d’Odette Dantas, favorisera le développement de ces études.

Quels impacts a eu la crise sur le marché de la rechange ?

Nous avons constaté des ruptures et des changements qui impactent l’ensemble de la filière automobile après-vente. Le consommateur a modifié ses habitudes. Le nombre d’entrées atelier a brutalement chuté à 1,22 par an et par véhicule, contre 1,48 avant 2008. Il s’agit du plus bas niveau du G5, à égalité avec l’Angleterre. Et ce chiffre ne remonte toujours pas. Le fait de reculer le plus tard possible son entretien semble désormais inscrit dans les habitudes du consommateur. Et il ne faut pas non plus ignorer l’émergence de solutions comme l’autopartage et le covoiturage. Pour la filière après-vente, cela représente moins de business, et si un garage perd l’opportunité d’une entrée atelier, il a encore moins de chance de la voir revenir. A titre de comparaison, en Chine, Indonésie et Malaisie, le marché compte 3,2 entrées par voiture par an, alors que l’âge moyen du parc est inférieur à 5 ans. En Allemagne, le chiffre dépasse deux entrées grâce à la réglementation sur le pneu hiver, qui impose de changer ses gommes. Cette législation a généré chez le consommateur allemand une habitude de passage chez le professionnel et, au-delà du changement de pneu, le réparateur vérifie également l’état du véhicule.

Et que devient le Do it Yourself ?

Nous n’avons pas constaté d’évolution croissante du Do it Yourself (DIY) avec la crise, plutôt une diminution de ces opérations, et ce, malgré la baisse du pouvoir d’achat. Les voitures deviennent de plus en plus techniques et technologiques. Le passage chez un garagiste devient incontournable car il faut disposer des bons outils pour pouvoir accéder aux informations. Et le développement des ventes en ligne ne change rien. Le canal Internet n’a pas créé de marché, il a récupéré des ventes faites auparavant par les centres-autos, les grossistes et les concessionnaires. Le Web représente un nouveau circuit qui arrive à s’inscrire sur marché à long terme, d’autant que les réseaux traditionnels n’ont pas apporté de véritables solutions pour reprendre ces ventes. La rechange indépendante, en laissant d’autres qu’elle stocker des pièces, a rendu possible les prix pratiqués par les purs Web players. En Allemagne, les grossistes n’ont jamais cessé de stocker et le concept des plates-formes n’existe pas. Ce maillon dans la chaîne reste uniquement franco-français. D’ailleurs, la rechange indépendante gagnerait à mieux structurer ses circuits (traditionnel, Internet) pour permettre une meilleure compréhension de la chaîne de valeur et des structures de prix accessibles au consommateur. Car cela favorise également l’émergence de jobbers qui viennent challenger les grosses structures avec des charges d’exploitation faibles. Ce schéma reste perturbant. La rechange indépendante en France manque parfois de vue à moyen et long termes !

L’attachement aux grossistes est-il plus fort que l’attachement du réparateur à une marque ?

Toute la clé est là ! A part quelques garages qui peuvent avoir un contrat moral avec un équipementier, comme Bosch Car Service, les réparateurs épousent les marques stockées par leur distributeur. Quand le grossiste change de fournisseur, il convertit l’ensemble de sa clientèle. Après, pour le garage, il se révèle important de pouvoir citer des marques Premium pour vendre sa prestation au client. Les équipementiers qui communiquent auprès des réparateurs font le pari que ceux-ci seront demandeurs, mais ils ne peuvent pas se passer des distributeurs.

Relation client et CRM, la rechange indépendante utilise-t-elle bien ces leviers ?

Les constructeurs comptent beaucoup sur le suivi des leads. Cela rentre d’ailleurs dans les standards de qualité du constructeur, où il s’agit non seulement d’utiliser les lead, mais aussi d’obtenir des taux de performance des leads qui cadrent avec les performances de la marque. Les accompagnants des MRA se révèlent moins sensibilisés sur le sujet, bien que des solutions existent. Pour autant, est-ce pénalisant pour eux aujourd’hui ? Peut-être pas, car leur relation avec le client se révèle différente que celle que les constructeurs peuvent avoir. L’automobiliste ne s’étonne pas de ne pas recevoir un SMS de la part de son MRA pour lui dire que sa voiture est prête. En revanche, il sera moins enclin à pardonner à un concessionnaire qui ne répond pas tout de suite à son e-mail, par exemple. Le niveau d’exigence n’est pas le même. C’est d’ailleurs “raccord” avec le profil de consommateurs qui fréquentent les réparateurs indépendants. En revanche, les centres-autos ou les fast fitters savent utiliser ces outils, et communiquer avec leurs clients par ce biais. Après, même les constructeurs, où la sensibilisation se révèle forte, s’adressent à une population pas forcément technophile. En Chine, il n’y a pas une semaine où le concessionnaire n’envoie pas un message à tous ses clients par SMS. Mais le Français moyen pourrait trouver cela trop intrusif. C’est une question de culture.

Quels sont les atouts de la rechange indépendante ?

Ils sont énormes ! Preuve en est, la rechange indépendante gagne des parts de marché sur les entrées atelier. Les réseaux constructeurs, en cinq ans, ont perdu huit points en PDM d’entrées atelier. Et cette érosion n’a pas encore été enrayée. Plusieurs facteurs expliquent cette montée des MRA, comme le vieillissement du parc, la proximité des ateliers ou encore la compétence. Car nos études révèlent que, si le prix prend de l’importance dans le choix du garage, le critère numéro un reste la proximité, suivie de la qualité. Le MRA a su établir une relation de confiance avec l’automobiliste. Néanmoins, les réseaux constructeurs réalisent leur meilleure performance grâce aux réseaux secondaires, qui apportent cette notion de proximité, ainsi que les réseaux RA3. Beaucoup d’automobilistes ne savent pas que, derrière Motrio ou Eurorepar Car Service, se trouve un constructeur.

Quels sont les prochains relais de croissance pour l’après-vente ?

On constate une sous-exploitation du règlement 461-2010, qui permet aux concessionnaires de se fournir en pièces en dehors du constructeur. Les groupes de concessions se sont fortement diversifiés, avec une forte appétence pour la pièce multimarque. Parfois, ils disposent même d’un centre logistique, et peut-être que les indépendants peuvent leur apporter des solutions. Autre axe de développement, le digital. Il reste des innovations dans ce domaine que l’on n’a pas encore vu naître, par exemple autour des big data. Le dongle (connecté sur la prise EOBD) va changer les choses, mais les applications tardent sur le sujet. Or, celui qui fournira la bonne application et qui collectera les données mettra la main sur une mine d’or ! Avoir la vision sur l’état du véhicule en temps réel permettra d’inventer de nouveaux services et de mettre en place une autre relation avec le client.

Que pensez-vous de la Feda ?

La Feda joue un rôle important, j’ai apprécié les actions prises ces dernières années. On vient de connaître un changement à sa présidence et cela est sain, car Alain Landec apporte de nouvelles méthodes et idées. Il dispose d’une grande crédibilité dans le secteur, avec une ouverture d’esprit forte et une proximité terrain réelle. Son mode de fonctionnement participatif fait que beaucoup de gens aiment travailler avec lui.

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Bio express

Il fait ses premières armes dans le garage familial, s’occupant d’opérations mécaniques, et de la vente de VN et VO. Il crée ensuite un centre de contrôle technique avec son frère.

En 1989, il monte sur Paris et rejoint l’équipementier Bosch en tant que chef de secteur Nord pour l’équipement d’atelier, puis chef de produit contrôle technique. Il devient très vite responsable du marketing équipement d’atelier.
En 2000, il prend en charge le développement du réseau Bosch Service, et il participe en 2003 au lancement de Bosch Car Service.
En janvier 2005, il prend la tête de la direction générale française de Gipa.
Dix ans plus tard, il est nommé président-directeur général de Gipa Groupe, afin de chapeauter le développement international.

 

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