Pièce de réemploi, l’inéluctable poussée
La pièce d’occasion est, tout d’abord, avantageuse par son prix de revente, au moins 50 % inférieur à celui du neuf. Et elle finance également l’obligation réglementaire de recyclage imposée aux constructeurs automobiles. Au plan social, qui plus est, le marché de la pièce de réemploi permet de maintenir des emplois non délocalisables, pour des gens qui n’ont pas forcément des formations très élevées, et dans des zones géographiques parfois sinistrées… Dans le même ordre d’idée, la pièce d’occasion participe à l’allongement de la durée de vie des véhicules. Et maintient en état de marche les voitures des moins aisés. En effet, les démolisseurs, qui détruisent chaque année une partie du parc, prolongent la vie d’une part plus importante ! Tout ceci montre que la filière du réemploi fait sens, bien au-delà des seules considérations écologiques.
Et personne ne s’y trompe. La demande croît, de la part des particuliers comme des professionnels. Dans le cadre de la récente loi autorisant les assureurs à chiffrer des réparations avec des pièces de réemploi, Caréco et la Maif ont mené une expérience sur la région niortaise, dans le but de vérifier l’appétence des sociétaires face à la pièce d’occasion. Le projet a impliqué les 120 carrossiers agréés Maif de la région Poitou-Charentes, les dix cabinets d’experts et le plus important démolisseur de la région (Genève Occasions).
Pour tous les sinistres intervenus sur des véhicules de plus de 6 ans, il s’agissait de proposer systématiquement à l’assuré la réparation de son véhicule avec des pièces de réemploi, et ce, juste sur la base d’un discours environnemental, sans aucune incitation financière (pas de bonus ni de réduction de franchise). Les résultats, édifiants, ont montré que 66 % des assurés ont accepté la proposition…
Si l’utilisation de la pièce de réemploi devait suivre cette tendance partout en France, la pénurie de pièces d’occasion serait évidente et critique… Le gisement provenant des sinistres ne serait pas suffisant. La question se pose alors, pour les assureurs, de savoir s’ils doivent continuer d’alimenter la filière des vendeurs d’épaves, ou ne vendre qu’aux spécialistes du recyclage pour générer de la pièce de réemploi…
Un métier complexe et multi-activités
Le marché est donc là, les magasins des démolisseurs ne désemplissent pas. Pourtant, plusieurs écueils entravent leur développement. Tout d’abord, le métier de recycleur automobile se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, dans sa gestion basique… La réussite d’une entreprise repose sur une harmonie entre les flux entrants et les flux sortants de véhicules. Là se trouve la plus grosse difficulté, puisque c’est l’un des seuls métiers où le client ne maîtrise pas la teneur de ce qu’il achète… Un démolisseur, en effet, ne sait jamais à l’avance quelles automobiles vont avoir des accidents et lui seront revendues par les compagnies d’assurance… Ce gisement n’est, qui plus est, pas forcément en adéquation avec la demande en aval en pièces de réemploi…
Pour bien comprendre la problématique des recycleurs automobiles, il convient de décomposer l’activité. Le métier se répartit en trois vecteurs. La vente de pièces neuves, relativement simple à gérer grâce à l’assistance des groupements, des catalogues électroniques. L’activité regroupe aussi une partie liée au négoce des VHU, consistant à revendre à des professionnels de la réparation, en France ou à l’étranger, des VHU provenant des assureurs. Enfin, le troisième volet de l’activité des démolisseurs touche à la déconstruction, incluant le démontage des VHU, le référencement et la vente de pièces de réemploi. C’est la partie la plus complexe, car gourmande en frais généraux (espaces de stockage, personnel, camions, publicité, informatique…).
Dans cette dernière catégorie, de nombreuses entreprises, souvent anciennes et familiales, peinent à se structurer pour présenter un taux de service en adéquation avec la demande.
La diversité de l’offre de pièces est un véritable écueil… On estime à 60 000 le nombre de voitures différentes qui ont roulé sur le parc au cours des douze dernières années. Le problème consiste donc à trouver des pièces, à gérer les compatibilités entre elles, et ce n’est pas simple. Cela nécessite des systèmes informatiques dispendieux et complexes… Sans parler de la formation du personnel.
Et la partie émergée de l’iceberg cache une problématique sous-jacente bien plus préoccupante ! En effet, les nombreuses mutations subies depuis quelques années par le métier et les futures réglementations ne vont pas améliorer les choses.
Rappelons que, désormais, les constructeurs ont l’obligation de justifier d’un certain taux de recyclage de leurs véhicules. Ils doivent donc s’entourer d’un réseau de partenaires démolisseurs fiables, capables de présenter une traçabilité de leurs activités.
Concentration annoncée
Le métier de démolisseur automobile est donc à transformer, à industrialiser, bref, à professionnaliser pour satisfaire à ces exigences. Et, quelques années après la révolution environnementale qu’a subie le secteur, ce chantier va se révéler fort complexe…
Le profond changement à venir sera le nouvel arrêté d’agrément de la directive européenne de 2001. Il complétera le récent arrêté réseau, qui déterminait le maillage à mettre en place par les constructeurs, et déterminera comment les recycleurs doivent travailler, et comment on vérifiera leur travail.
Demain, le maintien de l’agrément sera donc conditionné à l’atteinte du taux minimum de recyclage. Mais les investissements nécessaires vont sans doute freiner et pénaliser les petites entreprises… L’Ademe devrait ainsi sous-traiter des audits et, fin 2013, les acteurs qui n’auront pas atteint le taux pourraient voir leur agrément retiré. Ceux qui surnageront seront ceux qui ont déjà intégré et débuté le changement il y a plusieurs années. Tout faire d’un coup serait impossible. Sur les 1 600 démolisseurs agréés du terri-toire, une concentration s’opérera sans doute, faisant place à des entreprises plus importantes.