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“Un pôle technologique doit être ouvert à tous, allant au-delà des enseignes”

Publié le 23 mai 2013
Par Clotilde Chenevoy
8 min de lecture
Jacques Rifflart, P-dg de Génélec et président de la région Feda Nord-Picardie - Issu d’une famille d’inventeurs, Jacques Rifflart cherche sans cesse à anticiper les tendances du marché. Interrogé sur sa vision du secteur, il s’alarme face à une chaîne de distribution trop longue, à la course aux chiffres des équipementiers, et à la croissance non maîtrisée de certains distributeurs.
Jacques Rifflart, P-dg de Génélec et président de la région Feda Nord-Picardie - Issu d’une famille d’inventeurs, Jacques Rifflart cherche sans cesse à anticiper les tendances du marché. Interrogé sur sa vision du secteur, il s’alarme face à une chaîne de distribution trop longue, à la course aux chiffres des équipementiers, et à la croissance non maîtrisée de certains distributeurs.

Vous avez présenté dernièrement votre Pôle Haute Technologie. Quelles sont les premières retombées de ce projet ?

Les premiers retours se trouvent être extrêmement positifs, mais il nous reste désormais un gros travail à effectuer pour prolonger l’événement. Cette opération de communication se révélait nécessaire car, malgré notre notoriété particulièrement forte localement, la perception de notre niveau de technologie restait sous-estimée. Les professionnels ont gardé une vision un peu ancienne et réductrice de l’activité de Génélec. Nous devons faire connaître notre offre globale, pour élargir notre clientèle et accélérer l’amortissement de nos investissements : un banc Diesel et son environnement représentent tout de même la valeur d’une Ferrari ! La formation demande également un budget conséquent, et nous faisons face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, particulièrement dans le Diesel. Nous revenons à l’autoformation interne et accompagnée, pour des jeunes motivés, niveau BTS, n’ayant pas peur de se salir les mains. Cette formation est complétée par leur envoi régulier en stages chez les équipementiers. Mais l’essentiel repose sur l’envie du jeune à se former et à évoluer, ce qui est loin d’être la motivation principale de la majorité de la génération actuelle.

Tous les distributeurs doivent-ils se mettre aux opérations techniques ?

La hauteur des investissements limite le nombre des acteurs, et cela nous amène à réfléchir sur la structure des circuits de distribution et de maintenance. Je reste perplexe quand je vois l’attitude de certains équipementiers et autres structures qui, pour la culture du chiffre, estiment qu’en s’installant anarchiquement dans tous les circuits de distribution, ils augmenteront leurs résultats. S’il peut induire une réflexion dans le domaine du consommable, ce raisonnement trouve rapidement ses limites dans le domaine technique, et encore plus dans la haute technologie. Un centre hautement technologique par région, pour trois à quatre départements, permet d’allier service et rentabilité. Au-delà, cela devient problématique. Si on multipliait les centres, les marges s’effondreraient, et cela remettrait en question notre capacité à investir pour suivre l’évolution des technologies. Nous sommes à l’aube d’une révolution dans le domaine de la motorisation automobile. Il est important que les entreprises qui se sont engagées dans la maintenance technologique de pointe conservent leur capacité de financement pour accompagner cette mutation.

Mais chaque enseigne veut son réseau technique…

Il faudrait peut-être faire la part des choses entre le commerce personnalisé, managé par les grandes enseignes et ouvert à la libre concurrence, et l’activité hautement technologique, qui devrait être centralisée bien au-dessus des “drapeaux”. Le management de la maintenance technologique de pointe, en raison de l’importance des investissements, est beaucoup plus proche du processus industriel que du marketing commercial de base. Cette réflexion de fond risque de bousculer l’ego et de perturber la stratégie de certains, mais, à mon sens, c’est la seule solution viable dans le temps. Plus largement, quand on regarde la structure de la distribution actuelle, on ne peut que constater l’anachronisme du système et sa totale inadaptation à la société contemporaine. Quand vous partez du point de production pour aller vers le point de consommation, j’ai recensé six niveaux de rupture sur la chaîne de distribution. Or, en Allemagne ou au Benelux, comme pour le Web, on en comptabilise trois, voire quatre. Si on persiste dans ce système, on fait la part belle à tous les francs-tireurs du Web, plateformes ou équipementiers, et à ceux qui seraient tentés par “l’action directe !”.

Au final, quelle issue voyez-vous à ce schéma ?

Tout le secteur automobile se trouve en surproduction. La culture du chiffre, appuyée sur une croissance qui n’est plus au rendez-vous, conduit à la catastrophe. Les constructeurs prennent des mesures extrêmes en termes d’emploi pour réduire leur capacité de production, au risque d’engendrer le chaos. Or, la distribution est un corollaire du VN. La distribution à six niveaux se révèle complètement anachronique. Il serait souhaitable qu’équipementiers, groupements et distributeurs s’assoient à la même table pour construire ensemble un nouveau modèle de distribution optimisé, intégrant tous les nouveaux supports et en particulier le Web. La LME permet à tous de maintenir une concurrence ouverte et équilibrée, contrairement à la situation actuelle. Et sur mon échelle à six niveaux, le point le plus menacé est le distributeur de base, qui fait du négoce pur et qui a de plus en plus de mal à réaliser ses équilibres.

Pour un distributeur, la fidélisation des garages représente-t-elle une solution pour pérenniser ses résultats ?

C’est une des voies qu’il faut absolument maintenir et développer. Et la gestion des réseaux revient aux groupements, car il y a des services nationaux à mettre en place, qui ne sont pas du ressort du distributeur en local. Cela permettra de revaloriser l’image du distributeur auprès de ses clients garagistes. L’autre voie de réflexion consiste à faire prendre conscience aux distributeurs, englués dans leurs problèmes de rentabilité liés à l’alourdissement des structures qu’ils n’ont pas maîtrisées, qu’ils se trouvent menacés par des structures plus légères et beaucoup plus réactives, comme le Web ou les plateformes régionales ayant de plus en plus tendance à redécouvrir le métier de distributeur… Le grossiste doit se demander pourquoi il y a une telle éclosion de plateformes régionales, alors que son rôle de distributeur consiste à stocker très largement, de la pièce, en offrant un service rapide aux garages de sa zone de chalandise. On travaillerait alors sur un circuit direct entre équipementiers, distributeurs et garages, soit trois niveaux. Or, les grossistes ont, pour la plupart, abandonné leur rôle de stockiste par souci d’équilibre, choisissant la facilité en baissant les stocks. Mais on s’aveugle avec cette logique, qui réduit le distributeur à stocker le 20-80, alors que sa vocation est de servir en instantané les 96-4.

Le Web a donc pu exister suite à une défaillance des distributeurs ?

Totalement ! On retombe dans le même scénario qu’il y a une trentaine d’années, quand les centres-autos se sont installés. La distribution traditionnelle n’a pas daigné prendre en compte cette nouvelle forme de services qui correspondait à un besoin des consommateurs, créant un terrain inattendu pour l’éclosion des Norauto, Midas, Speedy ou autres Feu Vert. C’est une erreur stratégique fondamentale et on est en train de refaire la même chose avec le Web. Au niveau de Partner’s, avec certains de mes collègues, nous avions commencé en 2007 et 2008 à amorcer une réflexion autour de la distribution de pièces en ligne. Le rachat du groupement a mis en sommeil les travaux entamés par cette commission. Et, aujourd’hui, aucune solution n’a été proposée ; on répète le scénario ayant présidé à l’arrivée des centres-autos. Toutefois, le Web ne devrait pas dépasser 10 à 15 %, et devrait concerner essentiellement les produits d’entretien courant. Dès que l’on aborde les produits techniques, les professionnels rencontrent déjà des difficultés pour identifier les pièces, alors pour l’internaute non expérimenté, ça devient une loterie ! Cela renforce d’ailleurs la nécessité des relais techniques régionaux, qui seront indispensables à l’ensemble des acteurs de la distribution de demain.

Comment voyez-vous le rapprochement entre Alliance et Précisium ?

Dans le contexte actuel, je vois mal comment faire autrement. Je pense, pour l’avoir vécu avec la reprise de Partner’s, que cette nouvelle structure a la capacité de gérer intelligemment les différentes cultures présentes dans chacun des anciens groupements. L’intérêt immédiat réside dans l’optimisation des structures et la consolidation des volumes d’achat, ce qui devrait permettre, pour un temps, de maîtriser le tassement économique actuel et d’avoir un effet bénéfique pour les adhérents. Mais les équilibres des groupes sont généralement atteints aujourd’hui par des croissances externes, qui masquent la récession dans laquelle la profession se trouve engagée. Il arrivera un moment où cette stratégie ne sera plus possible, faute de candidats à la cession. Il faudra alors réapprendre à gérer positivement l’acquis et à le maintenir dans un contexte à croissance nulle, voire négative. Cela ne pourra se faire sans une remise en cause profonde des structures actuelles de distribution.

Mais l’arrivée des actionnaires demande forcément de la croissance…

C’est là le problème. Faut-il persister dans le modèle actuel et continuer à ignorer la réalité des profondes modifications en cours sur le terrain ? Je ne crois pas aux mastodontes, mais davantage aux entreprises à taille humaine, très proches des points de consommation. Par exemple, avec Génélec, nous couvrons actuellement deux départements avec quatre agences. Et pour chaque point de vente, les marchés sont très différents. Il faut prendre en compte la particularité de chaque secteur et retrouver une certaine autonomie d’action dans un cadre bien coordonné. C’est ce paramètre que doivent prendre en compte les groupements, tout en limitant le poids de leur structure. Et plus les structures sont lourdes, moins la réactivité est grande. Or, sur un marché en régression, il faut être réactif. Personne n’a d’acquis ni de certitude aujourd’hui. Il faut parfois savoir prendre des virages à 180 degrés. Je pense que notre profession manque de volonté d’anticipation. C’est peut-être une déformation liée à mon passé d’industriel, où l’on ne peut pas gérer au jour le jour, mais sur du moyen et du long terme, avec une obligation de résultats au quotidien.

Vous êtes engagé dans la commission d’Eco-entretien de la Feda. Pouvez-vous revenir sur ce projet ?

Ce combat pour l’éco-entretien est mené depuis maintenant trois ans par la Feda, avec la coopération d’Agnès Legrand, d’AirBe, Spheretech ou encore de l’Ademe. L’opiniâtreté de Michel Vilatte et d’Yves Riou ont ébranlé les pouvoirs publics et bousculé leurs certitudes. Ainsi, le 6 février dernier, un dossier de presse a été publié par le ministère de l’Environnement où, dans la mesure 18, il est pris en compte l’hypothèse du développement de l’éco-entretien comme un facteur d’amélioration de l’environnement. Cependant, la stratégie écologique du gouvernement se basait uniquement sur le rejet de CO2, présenté comme un poison mortel. Or, c’est quand même le seul produit naturel non toxique pour l’homme… Son excès peut avoir des conséquences climatiques, mais la contribution des véhicules dans ce dérèglement est infime au regard de rejets industriels. Il faut dépasser la seule prise en compte du taux de CO2. A chaque fois que l’on retire des grammes de CO2, on augmente les NOx, qui eux, sont extrêmement nocifs. Point positif, cette lutte contre le CO2 dope la recherche : cela favorisera et accélérera donc l’arrivée des nouvelles énergies comme l’hydrogène.

Autre combat de la Feda, la libéralisation de la pièce de carrosserie. Où en est-on sur ce sujet ?

Depuis 2002, on évoque l’ouverture du marché et, dix ans plus tard, la situation reste identique. Cependant, les pouvoirs publics ont entendu les messages de la Feda et ont découvert qu’il existait une rechange indépendante, qui représente 50 % du marché de la maintenance automobile et plus de 100 000 emplois. Il faut continuer dans cette voie, puisque la voie juridique semble s’ouvrir plus largement, mais il faut aussi mettre en place les structures de base. Les groupements cherchent à se positionner d’ores et déjà sur ce sujet. C’est un marché qui devrait maintenant s’ouvrir assez rapidement.

Vous êtes président de région Feda. Les distributeurs ont-ils conscience du rôle de leur syndicat ?

Les distributeurs et les adhérents des Feda régionales n’ont pas suffisamment conscience du travail réalisé au niveau de leur propre fédération. Nous ne sommes pas assez proches du terrain. Nous sommes informés des actions menées avec brio auprès des autorités de Bruxelles, mais les adhérents de base se soucient peu de cela. Ils seront davantage intéressés par des solutions concrètes pour régler, par exemple, un conflit avec un salarié. Or, tout cela existe auprès de la Feda, mais généralement, les adhérents ne le savent pas. Il faudrait élargir la communication bien au-delà des présidents de région, sous forme d’un bilan annuel faisant suite à la feuille de route, en insistant sur les problèmes du quotidien et en relativisant cet environnement juridique bruxellois qui donne parfois l’impression, à tort, de monopoliser toutes les ressources de la Feda. La commission créée pour accéder aux fichiers 3A a été gérée par la Feda et a eu des retentissements colossaux. Au final, combien sont au courant ? Et pour le projet de l’éco-entretien, c’est malheureusement un peu la même chose. Au niveau des présidents de région, nous avons une réunion mensuelle pour débattre des sujets en cours traités par la Feda. Ceux qui y participent suivent ainsi les différents projets… Mais j’ai quand même le souvenir de comités de direction qui se déroulaient avec trois ou quatre responsables de région, ce qui est totalement inadmissible. Quand on accepte une charge régionale de cet ordre, il faut la prendre au sérieux. Mais ça, c’était avant ! Il y a une très nette amélioration, peut-être due à la crise, mais aussi au renouvellement des générations, moins engluées dans la routine historique, et ça, c’est maintenant !

 

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