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Distribution

“Dématérialiser la pièce pour en faire un produit financier est inacceptable”

Publié le 21 septembre 2015
Par Hervé Daigueperce
9 min de lecture
Fort en tempérament et en gueule, celui qui n’était pas le premier en thème à l’école s’est bien rattrapé depuis, en menant une politique inébranlable, celle de l’indépendance, voire de l’autonomie, exfiltrant les contraintes et les hiérarchies comme autant de démons malfaisants. Autodidacte, Jean-Louis Bégard ne s’en laisse pas conter, lui qui traque les coûts cachés dans les comptes voisins et dénonce des politiques tarifaires d’un autre âge. Volontiers intransigeant, prompt à claquer la porte, il sait aussi être droit dans ses bottes, et est reconnu pour sa fidélité et ses engagements.
Jean-Louis Bégard, P-dg du groupe Safa +, du groupement ID Rechange et membre du board de Nexus Automotive International SA

Comment se structure ID rechange ?

ID Rechange s’articule autour de trois groupes, Safa +, Codifa et G2A, et regroupe quelque 180 adhérents sur 220 points de vente, pour un chiffre d’affaires supérieur à 300 millions d’euros. Ce qui ne veut pas dire grand-chose au regard des chiffres communiqués à droite et à gauche, mais permet aux uns et aux autres de se représenter un peu ce que nous sommes. Nous ne communiquons que le chiffre d’affaires réalisé, et uniquement en pièces automobiles, puisque nous sommes spécialisés dans ce secteur. Nous ne sommes pas dans la finance, mais dans les affaires en nom propre, sans conseil d’administration, sans reporting, sans levée de fonds ni participation de fonds d’investissements. Cela apporte une réelle stabilité à nos fonds de commerce. Notre développement prend, évidemment, plus de temps puisque nous le faisons en autofinancement, et que nous réinvestissons en permanence, mais cela nous apporte un confort et une pérennité inégalables.

Vous insistez sur votre spécialisation en pièces automobiles quand, partout ailleurs, la diversification est prônée ?

A mes débuts, j’étais entouré de gens qui ont ajouté de la peinture, du PL, etc. Ils ne sont plus là. Ce qui m’amène à penser que j’ai fait le bon choix. Je préfère être un bon spécialiste qu’un très mauvais généraliste. Et le monde de la pièce auto est déjà si vaste…

En ce qui concerne vos propres affaires, comment êtes-vous organisé ?

Chacun des magasins est autonome et le responsable gère ses affaires et sa politique commerciale de manière séparée. Leur seule obligation concerne, bien sûr, les achats. Le fait que j’ai acquis les magasins en fonction d’opportunités, et non d’une politique d’acquisition forcenée, facilite leur indépendance actuelle. En outre, tout mon encadrement est associé à l’entreprise, ce sont eux les patrons des boîtes. Au final, tout repose sur les hommes. Et cela fonctionne plutôt bien puisque nous atteignons un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros avec 100 personnes pour les 11 magasins, et 15 millions d’euros avec 22 salariés pour les deux plates-formes de Carpentras et de Toulouse pour ID Rechange.

Lorsque vous avez adhéré à un groupement, vous recherchiez juste des conditions d’achat ou d’autres services. Pourquoi avoir choisi Sapia, puis créé Safa ?

En 1988, je n’avais pas d’autre choix puisque personne ne voulait m’accueillir, et la seule solution, en quittant Sapia, était de créer autre chose. Au départ, nous l’avons conçu pour nos propres affaires, puis nous l’avons dupliqué pour les autres. Je n’ai pas démarré avec les ténors de l’équipement, mais avec des fournisseurs plus petits qui sont toujours référencés chez nous aujourd’hui. Le premier était AP Lockheed, puis se sont ajoutés Corteco, Fren J… La distribution était encore plus cloisonnée à l’époque qu’aujourd’hui ! Les barons des années 60 maîtrisaient tout…

Quels sont les critères qui président au choix de vos fournisseurs ?

Je travaille avec les fournisseurs qui veulent travailler avec moi. Avec certains équipementiers, qui sont sous pression, je n’obtiens pas, pour nos plateformes, les bonnes conditions, mais des tarifs destinés au grossiste Cela ne m’empêche pas d’être extrêmement exigeant en termes d’achat, de coûts, de services, parce qu’il faut, d’abord, faire vivre les points de vente. Nous sommes face à un constat : le marché s’effondre d’année en année pour de multiples raisons, à commencer par des tarifs d’équipementiers toujours basés sur ceux des constructeurs. Aujourd’hui, cela ne veut plus rien dire, ce qui m’oblige à reconstruire mes tarifs, d’autant que le marché français continue d’être le plus cher d’Europe ! Internet étant, en outre, un facteur important de la baisse du prix du marché. Le prix Internet devient, de plus en plus, le prix de référence, et nous devons nous en approcher le plus possible, au détriment du prix marché, de la marge. Si nous n’apportons pas, aujourd’hui, des compensations à l’achat, la distribution est très malade. Comment expliquer, alors, que ce soit la distribution traditionnelle qui alimente Internet ? Ce sont les grands groupes qui l’approvisionnent. Le double langage devient insupportable.

Cela suppose donc aussi aller “à la pêche” sur d’autres marchés pour dénicher d’autres fournisseurs ?

Cela fait vingt ans que nous travaillons comme cela. Nous avons développé une gamme MDD, pour laquelle nous emballons nous-mêmes et pratiquons des achats “low cost” depuis longtemps. Ce n’est évidemment pas notre cœur de gamme, mais un complément de gamme (7 à 8 % du volume global) générateur de marge pour le distributeur et le réparateur. Mon métier consiste à défendre la filière, c’est-à-dire défendre un bon rapport qualité/prix pour le distributeur, pour que le réparateur puisse obtenir également un bon rapport qualité/prix. C’est un travail de fond et c’est mon métier. Ce choix m’attire des critiques, on laisse entendre que je ne travaille qu’avec des jobbers alors que 73 % de mon chiffre d’affaires est en compte. Et si je n’ai pas d’atelier, c’est pour ne pas détourner du chiffre d’affaires de mes clients garagistes. Ce qui ne nous empêche pas de disposer des spécialistes capables d’établir des diagnostics à leur profit, bien au contraire. Pour être clair, je pense être le seul en France, comme distributeur national, à ne pas vendre la moindre goupille sur Internet. L’arrivée de Yakarouler dans l’environnement de l’Agra me semble ahurissante.

Ne pensez-vous pas que vous vous isolez en vous éloignant d’Internet de la sorte ?

Si, bien sûr, mais il faut être cohérent. Ce que je reproche surtout à notre métier, c’est la dématérialisation de la pièce pour en faire un produit financier. Les acheteurs de ces gens-là ne se préoccupent que de ce que cela rapporte, et non de la valeur réelle de la pièce. Comme ce sont des salariés des structures financières, cela ne pose pas de problème. Mais la structure financière se doit de réaliser 14 % de taux de rentabilité, de revendre cinq ans après en faisant la culbute, etc. Nous ne sommes plus dans le même monde. Je n’ai pas forcément l’ambition d’être plus fort, mais d’être serein ! Je préfère faire 10 % de progression tous les ans. Cela n’exclut pas pour autant d’assurer notre développement en investissant sur les équipements et services, comme aujourd’hui en marketing. Nous sommes dans le commerce et nous nous donnons les moyens de bien le faire. Tout projet d’alliance doit être lié à un projet commercial.

Pour revenir sur ID Rechange, quel est le profil type de l’adhérent ?

Nous sommes prêts à accueillir tout dissident qui ne supporte plus de voir disparaître sa marge au profit des grands groupements. D’ailleurs, les 15 nouveaux adhérents qui nous ont rejoints depuis le 1er janvier viennent de chez eux… Il faut dire qu’il ne reste plus beaucoup d’indépendants. En clair, nous ne sommes pas plus mauvais que les autres et mettons les services adéquats chez nos adhérents, comme l’informatique ou les actions de marketing, sur lesquelles nous portons tous nos efforts. Je n’oublie jamais que la rentabilité doit être chez le distributeur et nulle part ailleurs. Tout ce que l’on a mis en place pendant des années, l’a été pour que le distributeur ait encore une raison d’exister.

Justement, quelles sont les nouveautés que vous lancez actuellement en ce domaine ?

Nous lançons, en septembre, notre enseigne de réseaux de garages “Nexus Auto”. Depuis mars 2014, comme vous le savez, nous avons rejoint Nexus International et ID Rechange représente ce groupe en France, un groupe qui m’a demandé de développer l’enseigne dans notre pays. Le 15 septembre sera ouvert le premier garage, auquel nous fournirons l’ensemble des prestations qui sont toutes prêtes, comme les logiciels, les catalogues électroniques (ETAI) interfacés avec le distributeur, les packagings, les outils de promotion, etc.

J’oserai dire, encore une enseigne de garage, que va-t-elle apporter de plus ?

La grande particularité de ce réseau est que j’ai voulu qu’il soit totalement différent des autres. Tout d’abord, le contrat s’établit entre le garage et son distributeur, et non entre un groupement et le client de son distributeur. Le groupement n’intervient en rien dans la gestion du garage et dans la mise en place de l’enseigne Nexus Auto. C’est capital. Un contrat de licence liant ID Rechange et le distributeur stipule que nous prêtons l’enseigne Nexus Auto et ce qu’elle contient au distributeur. Le déploiement de l’enseigne dépendra du distributeur qui gérera son garagiste. Par ailleurs, nous ne voulons pas nous positionner en apporteur d’affaires comme le font tant de groupes, en amenant cet élément comme source de profit et de rentabilité, et non comme un service. En fait, cela coûte cher au distributeur et au réparateur. ID Rechange ne prendra donc aucune rémunération sur l’enseigne de garage, mais offrira à son distributeur les moyens de fidéliser son client, c’est très différent. Chaque garage apporté coûtera même 1 500 euros à ID Rechange, qui assure donc les investissements. Pour le garagiste final, ce sera la plus petite cotisation du marché, de 59 euros par mois à 99 euros pour la totalité des prestations.

Pour l’enseigne Nexus Auto, la France est pays pilote, comment va-t-elle être dupliquée ?

Nous commençons en France, nous y testons l’ensemble des éléments. Mais cela sera partout pareil, à part le catalogue électronique, qui changera en fonction des accords. Le Maghreb l’attend avec impatience, la Pologne et la Roumanie aussi. En parallèle, Nexus Truck va démarrer en Espagne, etc. Tout va s’enchaîner. Je commence doucement avec un petit objectif de 50 garages à fin décembre et nous présenterons cette nouvelle enseigne sur Equip Auto dans le cadre d’un stand partagé avec Nexus International. J’ajoute qu’effectivement, tout cela a un coût, que j’assume totalement, comme lorsque je propose les prix les plus bas à mes distributeurs. Mes bonus internationaux se retrouvent investis à 100 % dans le marketing, et plus généralement dans la notoriété et le développement d’ID Rechange. Notre schéma s’avère ainsi bien différent des autres…

Comment Nexus International vous a-t-il séduit ?

Les autres groupements ne me proposaient pas de projets commerciaux, seulement des massifications d’achats, et pour cela je n’avais pas besoin d’eux. Ce qui m’a intéressé, c’est de sortir de l’axe franco-allemand, et la vision mondiale, vraiment internationale et non pas seulement européenne de Nexus m’a attiré. La valeur ajoutée pour le fournisseur s’avère véritable. On parle vraiment d’apporteur d’affaires, comme en témoignent les pays qui sont membres et que personne ne pouvait aller voir parce que pays difficiles. D’ailleurs, les plus gros fournisseurs mondiaux sont désormais chez Nexus International. En outre, Nexus formation a démarré, Nexus Auto et Nexus Truck également, et cela en très peu de temps, cela aussi fait sens. Comme je fais partie des fondateurs et suis membre du conseil d’administration, je participe aussi aux différents choix.

Nexus France, c’est pour quand ?

Lorsque j’aurai des partenaires avec qui nous pourrons lancer un beau projet commercial, nous créerons la structure. Pour l’instant, ce n’est pas le cas et nous n’avons pas encore les volumes, cela viendra. Nous développons Nexus Auto dans le cadre d’ID Rechange adhérent de Nexus International. C’est tout ce qu’il y a à dire, si ce n’est que nous pouvons accueillir tout nouveau distributeur en lui faisant bénéficier de tout ce dont il a besoin aujourd’hui.

Et comment voyez-vous l’avenir d’ID Rechange ?

Ici, à Carpentras, où nous avons une plate-forme, je n’avais pas de magasin. J’hésitais puisqu’il y avait déjà 6 distributeurs, mais j’avais des demandes que je ne pouvais pas honorer, ne livrant que des distributeurs. J’ai donc créé C2A, un magasin avec trois personnes. En un an, à ma grande surprise, le chiffre d’affaires s’est élevé à 1,2 million d’euros sur cette zone saturée (de 32 000 habitants), avec 43 % et 180 KE de résultats. Nous avons apporté du prix et du service appuyé sur un stock et une disponibilité, rien de plus. Je me dis alors qu’ID Rechange a un bel avenir.

Vous avez vos propres plates-formes, ne pensez-vous pas que le marché est saturé de toutes ces plates-formes régionales, nationales, etc. ?

Avec la LME et la diminution des stocks chez les distributeurs, les plates-formes sont devenues indispensables. Beaucoup de distributeurs ont pris l’habitude de s’approvisionner ainsi et Internet a permis à nombre de plates-formes de progresser. Au bout d’un moment, le phénomène s’essouffle et on a assisté à quelques pots cassés. Parallèlement, les groupements se sont mis sur le marché en rachetant ou en créant des plates-formes pour mieux maîtriser ce canal. Et puis on a vu un peu de tout et on peut s’attendre à ce que certaines plates-formes livrent en direct les garages ! Ce qui n’exclut pas qu’il y ait de bons professionnels, comme chez Apprau. Cependant, effectivement, le nombre de plates-formes est trop élevé et nous allons assister à une sélection naturelle.

La pièce de réemploi peut-elle être une alternative structurée à la pièce neuve, avec catalogue en ligne, et devenir une deuxième gamme pour la distribution ?

Il n’y a pas d’incompatibilité à associer pièces neuves et pièces de réemploi chez un distributeur puisque nous le faisons déjà avec les pièces en échange standard, phénomène qui s’est bien démocratisé depuis quelques années. Néanmoins, les casseurs savent très bien le faire. Maintenant, s’il y a un réseau qui est prêt à le faire, c’est le mien ! La question ne s’est pas posée et n’est pas d’actualité, mais il ne nous faudrait pas beaucoup de temps pour être opérationnels !

Pourquoi exposez-vous sur Equip Auto ?

C’est la seconde fois que nous exposons. La première annonçait le lancement d’ID Rechange et, aujourd’hui, nous y sommes pour développer Nexus Auto et accompagner Nexus International qui partage le stand. C’est important pour nous puisque nous aurons la totalité des adhérents Nexus qui viendront nous voir. Essentiellement le jeudi matin, dans 64 langues différentes au maximum !

Comment voyez-vous votre avenir, vous a-t-on approché ?

Je n’ai rien à vendre, dispose d’affaires qui se portent bien, et j’ai un fils qui travaille déjà avec moi. En outre, j’ai la particularité d’être propriétaire de tous mes murs. Donc, aujourd’hui, je ne dois rien à personne et n’ai rien à vendre. Codifa et G2A sont également totalement libres, ce qui nous rapproche, en plus de l’amitié qui nous lie. Tout va bien !

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BIO EXPRESS

Marié, 3 enfants

“Pas plus libre que moi”

Commercial en papeterie chez Japy, Wonder ou encore Sauter, formé à la vente en grande distribution dans les années 80, il entre chez un grossiste en pièces détachées automobiles, par hasard, pour être plus proche de sa famille.

Un an plus tard, il monte sa propre affaire, Orange Pièces Autos, qui existe toujours aujourd’hui, puis deux succursales dans les années qui suivent. Il quitte le groupement Sapia en 1987, en compagnie de 8 autres distributeurs, avec lesquels il crée, le 1er janvier 1988, la Safa, dont il est le président. Il poursuit parallèlement son métier de grossiste, qui se concrétise aujourd’hui par 11 magasins et 100 salariés, qu’il gère en bon père de famille jusqu’en 2008/2009, moment où il décide de se rapprocher de deux amis, eux aussi à la tête de groupements régionaux, Jean-François Leroy, dirigeant de G2A à Angers, et Philippe Le Lay, président de Codifa en région parisienne, en réponse aux fusions-acquisitions du secteur. Ils massifient ensemble leurs achats et se structurent autour de plates-formes jusqu’à la création d’ID Rechange.

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