Pirelli sous pavillon chinois
Depuis près de vingt ans, la rumeur de rachat de Pirelli revenait régulièrement sur le devant de la scène, sans pour autant être fondée. D’ailleurs, certains y prêtaient tout juste attention. De là à imaginer qu’elle prendrait finalement corps de cette façon spectaculaire, il y a un pas que personne n’aurait osé franchir. Comment une marque à la culture aussi latine du fait même de ses origines, en l’occurrence milanaises, figurant par ailleurs au cinquième rang mondial du classement des manufacturiers, pourrait-elle faire l’objet d’un investissement chinois ? C’est pourtant ce scénario improbable qui vient de se réaliser, via la société China National Chemical Corporation (CNCC), propriété du conglomérat chinois ChemChina, dont le chiffre d’affaires atteint quasiment 37 milliards d’euros. En effet, CNCC va acquérir les 26,2% du capital de Pirelli détenu par la holding Camfin, son principal actionnaire, qui avait vu l’arrivée il y a un an du russe Rosneft, détenteur de 50% des parts.
Cette OPA à 15€ l’action valorise le groupe milanais à 7,1 milliards d’euros. En outre, l’accord prévoit la création d’une nouvelle société, Bidco, qui deviendra l’actionnaire de Pirelli et sera indirectement contrôlée par CNCC, en partenariat avec Camfin. Actuellement, les autres principaux actionnaires de Pirelli ont pour nom Malacalza Investimenti (7%), la famille Benetton (4,6%) et Mediobanca (4,1%). Quant à Marco Tronchetti Provera, l’actuel P-dg du groupe par ailleurs lui aussi détenteur d’une partie du capital de Camfin depuis 1987 via sa société Nuove Partecipazioni (le reste des parts revenant aux banques italiennes UniCredit et Intesa Sanpaolo), il devrait rester "administrateur délégué", c’est-à-dire patron opérationnel du groupe.
Une chose est certaine. Depuis qu’il préside à la destinée du manufacturier, fleuron de l’industrie transalpine avec un chiffre d’affaires avoisinant les 6 milliards d’euros (6,02 milliards en 2014) et un résultat opérationnel consolidé proche de 840 millions d’euros (+6,8% par rapport à 2013), Marco Tronchetti Provera s’est attaché à valoriser l’entreprise, notamment en jouant à fond la carte du Premium (+17,8% en volume en 2014, avec un rapport prix/mix en hausse de 4,2%) et des hautes performances, dont la Formule1 se veut d’ailleurs le porte-flambeau.
Dans ce registre, la zone APAC regroupant l’Asie, le Pacifique, l’Australie et la Chine n’échappait pas à la règle. Représentant 9% du chiffre d’affaires de Pirelli (+1 point sur 2013), cette zone enregistre la plus forte progression du groupe, avec une croissance organique (croissance interne hors acquisitions ou échanges) du CA de 17,5% sur les vingt dernières années. En particulier, le segment Premium enregistre une hausse de 28,3% en valeur, une progression due essentiellement aux partenariats consolidés de Pirelli avec les principaux constructeurs Premium européens présents sur cette zone.
Les perspectives 2015 demeurent d’ailleurs du même acabit. Selon Pirelli, la Chine et les marchés matures seront les moteurs de la croissance économique mondiale et compenseront la volatilité de l’Amérique latine et le contexte économique russe. Ainsi, l’Europe devrait enregistrer une croissance du PIB de 1,7%, les Etats-Unis de 3,1% et la Chine de 6,5%. Détenteur de 19 usines au global réparties dans 13 pays, avec une capacité de production de 69 millions de pneus auto et moto, et 6,2 millions de pneus industriels (PL, agraire, etc.), Pirelli n’avait pas manqué de s’implanter en Chine. Le manufacturier y possède en fait trois sites de production à Yanzhou, ville de l’ouest de la province de Shandong. L’une pour l’activité Consumer (auto/moto), principalement Premium, une pour l’activité PL et, enfin, la dernière spécialisée dans les câbles en acier. Maintenant, quel intérêt cette opération ChemChina représente-t-elle pour Pirelli ? Outre l’aspect financier, selon Camfin, le regroupement des activités propres à chacun dans le domaine des pneus industriels permettrait de doubler les volumes de 6 à 12 millions d’unités.