Peinture : une guerre de positions
Marché 2012 : “passe encore”…
Avec un niveau d’activité inquiétant, les premiers mois de l’exercice 2012 avaient fait craindre le pire, plusieurs fabricants plaçant des “warning” sur leurs objectifs dès la fin du 1er trimestre. Mais in fine, si le millésime ne restera certes pas gravé dans les annales, le marché n’a pas totalement dévissé. “Le marché s’est révélé difficile, c’est un fait avéré, mais il n’y a pas eu pour autant un décrochage de l’ampleur de 2009”, confirme Laurent Oliveras, country business manager chez Axalta Coatings Systems, ex-DuPont Performance Coatings. Tous les acteurs s’accordent à dire que le marché, en volume, a enregistré un retrait de l’ordre de - 8 à - 10 %, selon le périmètre retenu, ce que valident les données du CEPE. Une baisse significative qui s’explique par des éléments désormais récurrents : baisse de la sinistralité, baisse du kilométrage annuel moyen, tension sur le pouvoir d’achat ou encore diminution des effets dits “météorologiques”. Cependant, il convient aussi de ne pas prendre pour argent comptant cette valeur de - 8/ - 10 %, car via les augmentations de tarifs, la baisse en valeur a été plus contenue, de l’ordre de - 4 à - 5 %. “C’est donc tout de même une mauvaise année”, tranche Laurent Oliveras, relayé par Jean Papachryssanthou, manager technique CR EMEA chez Akzo Nobel Car Refinishes : “Pour Sikkens comme pour Lesonal, l’année n’a clairement pas été bonne en volume”. Directeur des ventes de R-M France, Philippe Huet tient un discours légèrement différent : “Vu le contexte, nous estimons avoir réalisé un bon exercice, même si nous n’avons pas atteint nos objectifs initiaux”.
2013, encore une année “stress-test”
Les années se suivent et se ressemblent car à l’aune du 1er trimestre 2013, c’est encore un exercice compliqué qui se profile. “C’est délicat et le taux moyen d’occupation des carrosseries est en baisse. La sinistralité reste faible et même les épisodes neigeux n’ont pas eu d’effet significatif, mais surtout, on voit que la situation économique se contracte, beaucoup de Français ne déclarant plus les petits sinistres afin de ne pas payer la franchise, cette dernière ayant de surcroît eu tendance à augmenter ces temps derniers”, indique Philippe Huet. Bernard Lanne, président de PPG Industries France SAS, enfonce le clou : “Inutile de se plaindre, mais l’espoir de rebond est réduit à peau de chagrin tant les éléments macroéconomiques sont défavorables. Le marché se caractérise par une incroyable frilosité ! De nombreux distributeurs sont notamment confrontés à des problèmes récurrents de cash et ont tendance s’arc-bouter”. En fait, pour reprendre une expression en vogue, on est en mode “stress test” et la capacité de certaines entreprises intermédiaires à résister et la problématique du pouvoir d’achat en berne sont au centre de toutes les inquiétudes. Par rapport à ce dernier point, la carrosserie rapide n’apparaît d’ailleurs plus vraiment comme une variable d’ajustement susceptible de générer des marges additionnelles. “Si les gens hésitent face à une franchise, on peut imaginer que le marché du hors assurance ne va pas être prometteur”, indique Bernard Lanne. Propos Philippe Huet tient à modérer : “En fait, c’est toujours le même problème : si l’entreprise travaille sérieusement cette offre, cela peut payer. Autrement, ça ne sert à rien”. Jean Papachryssanthou abonde dans ce sens en rappelant que son groupe a formé le réseau Citroën et PGA à la réparation rapide, avec des résultats parfois très probants. De par le positionnement de Lechler, Emmanuel Delorme, responsable des ventes France de la marque, veut voir l’ombre qui vient cerner le pouvoir d’achat comme une opportunité : “Même si rien ne sera aisé, nous devons pouvoir en bénéficier car notre argument central est le bon rapport qualité/prix. D’ailleurs, nous en avons déjà récolté les fruits l’an passé en progressant légèrement”. Malgré cette exception, tout le monde s’attend donc à une année 2013 encore chahutée, ce qu’illustre parfaitement cette confidence de Bernard Lanne : “J’ai présenté mon business-plan 2013 au groupe et pour la première fois de ma carrière, les dirigeants américains ont revu mes objectifs à la baisse !!! Cela traduit bien le degré de confiance vis-à-vis de l’Europe et surtout de l’Europe du Sud… Beaucoup craignent que la France ne suive le chemin de l’Italie et de l’Espagne où c’est déjà à feu et à sang”.
La concentration du marché suit son cours
Un marché crispé et qui se caractérise de surcroît par un mouvement de concentration, ce que confirme volontiers Erwan Baudimant, responsable national des ventes de Glasurit France : “Ce phénomène est manifeste et la part des indépendants hors réseaux tend notamment à fondre comme neige au soleil”. Jean Papachryssanthou estime que cette tendance est inéluctable par rapport aux contraintes réglementaires et à la consolidation en œuvre chez les donneurs d’ordre, la crise ayant en fait un effet amplificateur. A ses yeux, les stratégies de tous les acteurs ont d’ailleurs largement dépassé le cap du “carrosserie par carrosserie”, à quelques rares exceptions rurales près, pour entrer dans une logique de groupe ou de plaque. Laurent Oliveras avance même quelques chiffres : “En 2000, on recensait encore près de 12 000 ateliers avec des cabines de peinture. Aujourd’hui, nous nous situons plus au niveau de 8 500 et à un horizon 2015, on peut estimer que nous serons dans une fourchette entre 5 000 et 6 500”. A dessein, Bernard Lanne force même le trait : “En raisonnant dans une logique purement économique, on peut penser que le marché se structure autour d’un nombre de 3 500 carrosseries environ. La réalité est toujours différente, mais la concentration n’est donc pas achevée, loin de là”. Dans ce contexte, comme l’indique Philippe Huet, les moyennes et grosses entreprises ont leur carte à jouer, au détriment des petites structures, souvent totalement indépendantes. Hors spécificités locales, on peut bien entendu y voir une conséquence logique de la concentration chez les donneurs d’ordre, qui cherchent à rationaliser les flux d’orientation et par extension, les coûts. Cependant, tout le monde s’accorde pour dire que cette tendance ne s’opérera pas selon un mode brutal, mais d’une façon progressive, “naturelle” serait-on tenté de dire. Le filtre se trouve à la confluence de plusieurs éléments : baisse du nombre de créations d’entreprises, départs à la retraite sans reprise et poursuite d’activité, rachats. Une concentration qui tend à bénéficier aux réseaux constructeurs. Ces derniers détiendraient près de 60 % du marché. Toutefois, les lignes ne devraient pas beaucoup bouger, les donneurs d’ordre ayant un intérêt économique évident à maintenir un équilibre dans le rapport des forces en présence.
Le culte de la performance commerciale
Dans ce panorama, pas forcément morose, mais néanmoins frappé au sceau de la rigueur, la concurrence s’exacerbe sur les détails et sous l’effet d’une professionnalisation avérée, le culte de la performance devient central. “Il ne peut pas y avoir de grands glissements de terrain et il s’agit de grignoter des parts de marché”, résume Jean Papachryssanthou. Dès lors, les approches du marché sont assez homogènes. Tout d’abord, les débats “philosophiques” sur la distribution sont passés de mode et le rôle du distributeur, quelle que soit sa nature, est plébiscité. “Le distributeur occupe une place primordiale dans la chaîne de valeur et il a un double rôle à faire valoir : grossiste et la gestion de la relation avec le client final”, souligne Vincent Delaye, chef de produit peinture/Ixell à la DCF de Renault. Sous couvert d’anonymat, un responsable glisse toutefois que le débat sur la nécessité des distributeurs redeviendra un jour d’actualité, tout simplement parce qu’il est tentant, même si ce n’est pas intelligent, d’imaginer supprimer un intermédiaire dans un schéma économique.
Plan d’action, accompagnement, suivi : le rôle clé des équipes terrain
Par ailleurs, tous les efforts se concentrent sur les services et sur le pilotage de l’activité. Jadis idée en l’air, la professionnalisation est bel et bien en marche, cadencée de surcroît. Un phénomène renforcé par une nouvelle génération de carrossiers, rompus aux techniques commerciales. Elément symptomatique chez PPG avec le module “Expertise comptable” qui se hisse sur le podium des formations les plus demandées. “Aujourd’hui, les produits sont à maturité et la clé de la réussite se situe dans l’amélioration de la productivité et de la rentabilité. Des modules de cette nature séduisent donc les distributeurs, mais aussi les carrossiers, et ça, c’est nouveau !”, explique Bernard Lanne. Pour Philippe Huet et Erwan Baudimant, c’est un travail de plus en plus précis. En effet, contrairement à ce qui était encore en vigueur il y a dix ans, il n’y a plus de grosses lacunes dans les ateliers et il s’agit d’optimiser chaque pièce du puzzle. On voit donc fleurir des programmes business et management chez tous les fabricants. Par exemple, Glasurit lancera des business seminars cette année, tandis que Lechler renforcera encore son offre de cycles à haute efficacité. On ne peut pas réinventer la roue tous les jours et on en revient donc au culte de la performance commerciale, la qualité technique devenant un prérequis. Nouveaux produits et nouvelles technologies gardent naturellement leur importance, mais toujours sous la tutelle du dogme de la productivité. La fameuse hybridation entre artisanat et industrie qui animait tant les congrès de carrosserie il y a seulement dix ans… Cette problématique nécessite beaucoup de suivi et d’accompagnement et donc des hommes. C’est le nerf de la guerre et Erwan Baudimant, Vincent Delaye, Bernard Lanne ou encore Emmanuel Delorme rappellent qu’il est essentiel de ne pas réduire ses effectifs pour faire la différence sur le terrain, le plus souvent en étroit partenariat avec la distribution. Sous-entendu : ceux qui réduisent la voilure ou qui rabotent trop cette ligne budgétaire pourraient le payer cash à l’avenir. D’autant que si le marché s’est professionnalisé, il ne s’est pas figé pour autant. C’est ce que stigmatise Erwan Baudimant : “Avec la crise, les fabricants ont dû faire des choix et aujourd’hui, nous ne sommes plus tous sur le même quai ni dans le même train. Il y a ceux qui soutiennent le carrossier avec les donneurs d’ordre et ceux qui soutiennent les donneurs d’ordre. Cet écart aura des conséquences à l’avenir”. “Nous sommes à la veille de bouleversements significatifs, surtout que les donneurs d’ordre vont accentuer l’orientation du business”, conclut aussi Bernard Lanne.