Réseaux de carrosserie : de l’artisanat à l’entreprenariat
Depuis les années 80 et la baisse constante de l’accidentologie, le marché de la réparation-collision connaît une érosion qui semble ne plus vouloir s’arrêter. Ainsi, d’après l’Anfa et la FFC, entre 2000 et 2010, le marché de la carrosserie a diminué de – 16 %, passant de 4,9 à 4,1 millions d’opérations. Et les prévisionnistes ne sont guère plus optimistes puisqu’ils évaluent à 3,5 millions le nombre d’opérations effectuées en carrosseries en 2020.
Si les automobilistes ont tout à gagner à voir le réseau routier national s’améliorer, à pratiquer l’éco-conduite ou encore à bénéficier des technologies liées à la sécurité active et passive des véhicules, les carrossiers, eux, un peu moins. Car qui dit baisse des sinistres, dit baisse de l’activité en ateliers. C.Q.F.D. De fait, pour Fabien Guimard, responsable national de l’activité carrosserie pour le Groupe Autodistribution : “La fragilité économique des entreprises est avérée. Il est de plus en plus courant d’assister à des cessations d’activité, des dépôts de bilan ou encore des liquidations… A titre d’exemple, sur les 30 adhérents que nous avons perdus en un an, 40 % ont cessé leur activité pour des raisons économiques”. Alors, pour réussir à jouer des coudes et à marquer le pas sur la concurrence, tous les réseaux de carrosserie s’organisent. L’idée ? Trouver des subterfuges permettant de contourner les pertes d’activité liées à la baisse de la sinistralité. Comment ? En aidant leurs adhérents à raisonner en chefs d’entreprises qui s’assument et non plus seulement en artisans carrossiers soumis aux diktats des assureurs.
“Nous sommes sur tous les fronts. Il ne faut rien lâcher et saisir toutes les opportunités qui peuvent être génératrices de flux dans les carrosseries”, insiste Alain Bessin, président du GIE Five Star.
Le bris de glace a ouvert la voie
Or, pour passer de l’atelier traditionnel confidentiel à la “super structure”, rien de mieux, au regard des réseaux, que de diversifier les activités. Pour Benoît Tanguy, directeur général de Centaure : “La carrosserie traditionnelle telle qu’elle existait, n’existe plus. Le métier entre désormais dans une logique où la marge additionnelle devient une nécessité et où la multi-activité tend à se développer. En d’autres termes, nous incitons et nous aidons nos adhérents à réagir en véritables chefs d’entreprise”.
Un revirement de situation qui s’est amorcé, il y a quelques années, avec le marché du bris de glace. En effet, tandis que les volumes de réparation liés aux collisions allaient en s’amenuisant, les opérations sur le bris de glace, elles, enregistraient une progression non négligeable tant en volume (+31 %), qu’en valeur (+ 67 %). Si la communication massive de Carglass est pour beaucoup dans l’augmentation du marché en volume, sa hausse en valeur résulte davantage du bond technologique qu’ont connu les pare-brise ces dernières années. De simples vitrages dotés aujourd’hui de capteurs, de matériaux plus résistants, et dont les dimensions ont, elles aussi, été revues à la hausse. Par ricochets, le coût moyen par intervention a donc évolué… Et l’arrivée du fameux pare-brise connecté devrait encore encourager cette évolution. Ainsi, pour Anouare Boularouah, manager marché carrosserie-peinture pour Renault : “Nous constatons que la principale demande de notre réseau consiste en une aide au développement d’activités annexes. Nous intervenons donc auprès d’eux pour leur permettre de multiplier leurs activités, au niveau de la miroiterie par exemple, parce qu’il s’agit d’opérations simples et rentables”. Ainsi, pour l’ensemble des réseaux de carrosserie français, l’avenir de la carrosserie réside dans la multi-activité. Et ladite multi-activité ne s’arrête évidemment pas aux opérations de bris de glace.
Multiplier les compétences
En effet, le carrossier bénéficie d’un avantage non négligeable puisqu’il est le seul réparateur automobile duquel le client automobiliste accepte une immobilisation de son véhicule durant plusieurs jours. “Autant profiter de ce laps de temps relativement long pour vérifier l’état général de la voiture”, conseille Serge Boillot, en charge du secteur carrosserie pour Alliance Automotive. De fait, les réseaux lisent aujourd’hui l’avenir des carrossiers dans la mécanique liée à l’entretien courant des véhicules ! “Nous travaillons à développer, chez Top Carrosserie en particulier, l’activité mécanique chez nos adhérents. Et personne n’est mieux placé que nous puisque nous avons une organisation centre auto qui nous permet d’amener vers nos carrossiers ces opérations de réparation rapide. Or, si nous restons concentrés sur l’entretien courant tels que le font les centres auto, alors nos carrossiers n’ont aucune nécessité à recruter du personnel ultra-qualifié, puisque dans l’équipe d’une bonne carrosserie il y a toujours un mécanicien…”, poursuit Serge Boillot. Mieux, à côté de la mécanique, le réseau AD a, quant à lui, mis en place, avec AD Expert, un accompagnement de ses adhérents carrossiers pour le développement d’activités complémentaires telles que la location courte durée, la vente de véhicules d’occasion, etc.
Travailler le hors assurance
Enfin, le marché du hors assurance, lui aussi tend à se développer. Et pour cause. Les dirigeants de réseau voient d’un très bon œil les petits bobos des carrosseries automobiles tels que les petits chocs ou les éraflures. Un marché d’autant plus prometteur que la location longue durée se démocratise, tant pour les entreprises que pour les particuliers. “Nous avons récemment lancé le concept Easy Back, illustre Alain Bessin. Le but est de proposer aux flottes d’entreprise la remise en état des voitures avant leur restitution aux loueurs. Car si les véhicules sont restitués cabossés, cela entraîne une surfacturation. Avec Easy Back, nos carrossiers adhérents remettent ces véhicules en état, selon le cahier des charges du constructeur, avant leur restitution”. Et ce qui vaut pour les flottes d’entreprise, vaut pour l’automobiliste lambda qui, lui aussi, a de plus en plus recourt à la LLD. Même son de cloche chez Top Carrosserie et Précisium : “Je crois beaucoup au fonctionnement “hors assurance” du carrossier, car il permet ainsi aux gens de maintenir en état leurs véhicules afin d’anticiper une éventuelle revente en VO ou la restitution à une société de location… Il y a je pense un marché hors assurance très important à saisir, seulement, il faut communiquer sur le sujet”, insiste Serge Boillot. Un marché de l’éraflure qui ferait également sens dans les réseaux “spécialistes”, à l’instar d’Acoat Selected par exemple qui, historiquement est davantage versé dans la peinture et qui a, en l’occurrence, toute légitimité à développer le marché hors assurance au sein de son réseau. A l’instar, également, du réseau Ixell : “Il y a un véritable accroissement du marché hors assurance donc il est nécessaire de développer une offre pour parler à ces clients-là. Nous sommes passés d’une activité de carrossier qui travaille sur un marché tendu, à une activité d’entrepreneur qui doit développer des offres annexes”, analyse Anouare Boularouah. Joignant le geste à la parole, Ixell a d’ailleurs mis en place un plan produit répondant parfaitement aux exigences de productivité du hors assurance, à savoir une gamme de vernis qui sèche à l’air libre ainsi qu’une cabine de peinture mobile, capable de traiter 80 % des entrées peinture dans ses carrosseries.
De formations techniques et managériales en accompagnement administratif et marketing, les réseaux analysent, creusent, vont sur le terrain réaliser des audits et attendent leur heure. L’heure où tous leurs adhérents auront élargi leur savoir-faire de carrossier à d’autres cœurs de métier… Avec une seule et même idée en tête : faire de l’atelier de carrosserie traditionnelle une entreprise, et du carrossier, un manager à part entière.
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ZOOM - La longue bataille du Libre Choix du réparateur
Il aura fallu attendre le 31 décembre dernier pour que l’arrêté d’application sur le Libre Choix (article 63 de la Loi Hamon du 17 mars 2014) soit publié. Or, si, aujourd’hui, le code des assurances a été modifié afin que le libre choix d’un réparateur par l’assuré apparaisse clairement à toutes les étapes de sa relation avec son assureur, la notion même de Libre Choix, elle, n’est pas une nouveauté.
En réalité, le libre choix du réparateur a toujours existé. A ceci près que les compagnies d’assurances, qui n’étaient alors pas tenues d’informer leurs sociétaires, se gardaient bien de communiquer sur le sujet ! De fait, l’orientation des automobilistes vers des ateliers choisis par les assureurs devenait la règle. En 2006, la Fédération Française de Carrosserie décide donc de donner un coup de pied dans la fourmilière en s’adressant directement au Comité Economique et Social Européen (CESE), à Bruxelles. Mais il faudra attendre 2010 avant que la CESE n’adopte un rapport d’information au titre évocateur : “La réparation automobile en cas de collision : comment garantir la liberté de choix et la sécurité du consommateur ?”. La décision européenne fait ricochet et en 2011, l’amendement en faveur du libre choix du réparateur – déposé dans le cadre du projet de Loi Le Febvre sur la consommation – est approuvé en première lecture par l’Assemblée Nationale ainsi que par le Sénat.
Las, il faudra attendre 2013 et le projet de la Loi Hamon sur le renforcement des droits des consommateurs pour que le Libre Choix du réparateur refasse surface. Et c’est seulement en mars 2014, lors de l’adoption par l’Assemblée Nationale du projet de loi Hamon que la liberté de choix du réparateur devient une règle. Dès lors, elle doit être portée à la connaissance des assurés consommateurs lors de la souscription d’un nouveau contrat d’assurance, ainsi que sur chaque avis d’échéance des contrats en cours.
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ZOOM - La Loi Hamon va-t-elle redistribuer les cartes ?
Aujourd’hui, pour être agrémenté auprès d’un assureur, un carrossier doit en respecter, à la lettre, le cahier des charges souvent très strict : véhicules de courtoisie de même catégorie et/ou de moins de trois ans, prises de rendez-vous limitées dans le temps, pièces garanties à vie, etc. Mais dans le sillage de la loi Hamon, se profilent deux nouvelles règles qui pourraient bien modifier encore le paysage de la carrosserie Made in France. D’abord, le Libre Choix du réparateur. Puisque désormais, les assurés pourront choisir le réparateur qui se rendra au chevet de leurs véhicules, les agréments pourraient presque passer pour désuets. A ceci près qu’avec une moyenne d’1 accident tous les 6,5 ans, il est difficile, lorsque l’on est carrossier, de fidéliser une clientèle ! D’autant que les sinistrés, dans leur détresse, s’en remettent quasi systématiquement aux bons conseils de leurs assureurs qui n’auront pas manqué, au préalable, de les avertir que oui, ils peuvent choisir leur réparateur – c’est la loi – mais qu’en contrepartie, ils devront avancer les frais de réparation… ce qui n’est pas le cas lorsque le garage choisi a reçu l’agrément de l’assureur. Bref, pour que les ateliers qui n’ont aucune accointance avec les assureurs récupèrent une part du gâteau, ils n’auront d’autres choix que de se rendre visibles. En d’autres termes, de communiquer et d’offrir des niveaux de prestation qui soient au moins équivalents à ceux exigés par les assurances dans le cadre de leurs agréments. “Il faut rester pragmatique et prendre conscience que si le Libre Choix est une excellente chose, il ne va pas bouleverser soudainement le marché. Car pour qu’un indépendant arrive à capter la clientèle en s’affranchissant des assurances, il devra déployer de gros moyens en marketing et communication afin de se faire connaître au niveau national”, analyse Bruno Pourret, responsable du réseau Acoat Selected France.
Ensuite, la volatilité des polices d’assurance. Car avec la Loi Hamon, les contrats d’assurance de plus d’un an peuvent désormais être résiliés à tout moment, sans qu’il ne soit besoin d’attendre la date anniversaire desdits contrats. “Cela signifie que pour garder leurs clients, les assureurs vont vouloir proposer plus de services, comme les prestations à domicile par exemple, et cela va forcément se traduire par davantage de pression mise sur les carrossiers. Il y a aussi un risque sur les prix car à niveau de service supérieur, les prix, eux, resteront les plus ajustés possible ce qui va, de fait, se répercuter sur les réparateurs”, appréhende Benoît Tanguy, directeur général de Centaure. Certes, après un an d’existence, la loi n’a finalement pas créé de gros bouleversements sur le marché, mais il se pourrait bien, tout de même, que les relations assureurs-réparateurs se durcissent…