Automechanika Dubaï : l’étoile magique
Capitale de l’un des 7 émirats qui constitue les Emirats arabes unis, Dubaï dépasse en notoriété et fréquentation la capitale fédérale, Abu Dhabi. Connue pour sa démesure, la ville valait bien un salon de pièces automobiles de belle envergure, ne serait-ce que pour satisfaire les propriétaires des véhicules de luxe qui sillonnent la ville comme autant de Renault ou Citroën chez nous. Automechanika Dubaï (24 000 visiteurs professionnels l’an dernier) remplit son rôle grâce à la force de Messe Frankfurt, cette grosse machine qui exploite déjà une quinzaine d’Automechanika dans le monde sous la houlette de Michael Johannes. Celui de Dubaï “dessert” en premier lieu les Etats arabes du Golfe et la croissance de l’aftermarket (pièces, batteries, et pneus) de l’ordre de 15 % par an (l’Irak n’est pas comptabilisé) pour atteindre les 14 milliards de dollars à l’horizon de 2017. Mais l’Afrique, surtout ses pays de l’Est, est aussi fortement concernée et représentée. Entre Moyen-Orient et Afrique, les demandes et les attentes sont bien différentes, les parcs de véhicules également, ce qui rend beaucoup plus riches les échanges et les opportunités de placer ses produits et services. Avec une augmentation de 20 % en volume en 2014, Automechanika Dubaï présentait quelque 1 600 exposants venus de 59 pays dont la France, avec une douzaine de représentants sur quelques m2. Une hérésie compte tenu des potentialités de ce marché tant du Moyen-Orient que de l’Afrique. Pour mieux comprendre, citons la participation de l’Allemagne dont les 83 exposants en font la plus grande délégation allemande des salons Automechanika. Mais promouvoir l’export en France, c’est comme prêcher dans le désert, félicitons donc ceux qui portent les couleurs du pays comme Accor Lubrifiants, Cogefa – Soeximex, Jura Filtration, Ital Express, Record France, Sam Outillage, Samko France, Seld Mecatech Performances, SRI France et Unil Opal, pour la plupart, des entreprises que l’on retrouve sur les grands salons internationaux.
Une plaque tournante énorme
“Dubaï est un gigantesque hub qui dessert de nombreux pays, et qui s’est doté de tous les moyens d’assurer son développement”, commente Jean-Michel Selles, directeur général de KYB Middle East FZE, en donnant quelques exemples : “Toutes les infrastructures nécessaires sont présentes, à commencer par le port de Jebel Ali, l’un des 10 premiers au monde sachant que dans la liste, figurent trois chinois, ou par l’aéroport (un second est en construction !) grâce auquel je rends visite à tous mes clients en vol direct avec Emirates (3 sur la seule Arabie Saoudite) ou encore via les facilités des “Free Zone”, qui exemptent de taxes douanières l’importation et l’exportation des produits”. Jean-Michel Selles reconnaît qu’aujourd’hui, Dubaï ne se contente plus du Moyen-Orient mais a intégré l’Afrique de l’Est et de plus en plus l’Afrique Centrale. Dans les allées du salon, on voyait même pléthore d’importateurs algériens ! Exposer au “Dubaï International Convention and Exhibition Centre” et sa douzaine de halls revient donc à offrir une image de son activité à 360 ° sur cette zone géographique. Et même quand on est petit, il y a du grain à moudre, comme l’explique Didier Meyer Warnod, le patron de Record France : “Plus on se diversifie, plus on a intérêt à aller sur ces marchés qui reviennent progressivement à des produits de qualité après avoir goûté à des pièces plus exotiques. Le pays où nous avions des distributeurs était l’Iran et nous attendons de voir comment cela se passe, car en termes de parc, c’est plutôt porteur pour nous”. Pour revenir aux taxes, “les “free zone” accueillent toutes les marchandises qui transitent. Si celles-ci entrent dans Dubaï pour être vendues sur le marché local, une taxe de 5 % est appliquée, dont 80 à 90 % sont récupérés si les produits sont réexportés dans les six mois” explique Jean-Michel Selles qui ajoute que “de plus en plus de sociétés constituent des stocks dans ces zones comme les constructeurs automobiles, Volkswagen, Audi, Ford, GM, etc. La “free zone” est une zone franche avec un statut de pays étranger qui ne paie pas de taxes sur ce qu’il réexporte”. Un vrai “hub”, disions-nous ! Le patron de KYB confiera également que des grands groupes (hors filiales) installent leur service export mondial à Dubaï vu sa configuration géographique. Bruno Gauthier, directeur des ventes aftermarket monde pour NTN-SNR précise que “nombre d’Européens et d’Américains en profitent pour s’arrêter à Dubaï lorsqu’ils vont en Asie, en Chine, en particulier”. L’Europe n’est décidément plus le centre du monde !
Une zone sous tension
Quiconque aura jeté un coup d’œil à sa mappemonde ou regardé les informations télévisées se sera rendu compte de l’instabilité de cette région du monde. Faut-il renoncer à miser sur un commerce dans le secteur, utiliser des intermédiaires comme Soeximex ou se lancer ? Nous avons rencontré l’importateur-distributeur de NTN-SNR sur la région, Hassanein Alwan, directeur des ventes et du marketing de Mineral Circles Bearings, qui fêtait ses trente ans d’existence dans la distribution de roulements dans plus de 20 pays (de base) ! Et qui reconnaît sans détours la difficulté de travailler dans “un marché sensible tant au niveau économique que politique”. Sa stratégie pourrait, si l’on osait quelques idiomes bien de chez nous, à se résumer à “ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier” et “ne dormir que d’un œil”. C’est ainsi qu’il commente les échecs de certains : “Le problème des fabricants tient dans la définition du ciblage. Beaucoup ont échoué parce qu’ils s’étaient concentrés sur un seul marché, sur un seul pays alors que la sécurité repose sur la diversité et l’écoute des marchés.” Pour Mineral Circles Bearings qui ne commercialise que des roulements, le conseil pourrait paraître curieux, pourtant, c’est la donne politique qui lui rend raison. “Compte tenu de l’instabilité des pays qui nous entourent, comme l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Koweït, etc. nous devons surveiller chaque marché en permanence, en nous appuyant sur les éléments fournis par nos distributeurs dans chaque pays. Nous discutons avec eux, comparons les informations, et adaptons alors notre politique commerciale. Il est inutile de poursuivre une activité dans un pays qui se ferme pour une raison ou une autre, mais le plus difficile consiste à arrêter à temps, avant la fermeture. L’échange avec nos clients est primordial et le travail de nos commerciaux également. En peu de temps, nous changeons de zone géographique et ciblons un autre marché qui redevient porteur. Il faut être dynamique, évaluer vite et porter nos efforts ailleurs”. Il en va de même pour les produits, le problème pouvant arriver en amont. C’est pourquoi, Hassanein Alwan comprend la décision des distributeurs (comme lui, d’ailleurs) de disposer de plusieurs marques au cas où l’une tomberait, et de citer le problème des batteries en Algérie qui a coûté cher à bien des acteurs alors qu’eux étaient sortis depuis 4 ans.
Le dollar comme viatique
Compte tenu du manque de renseignements officiels, dans bien des cas, il faut se débrouiller pour évaluer les besoins du marché et adapter les stocks. Pour Jean-Michel Selles, “Nous pouvons voir les grandes lignes de marché, comme la prédominance asiatique dans cette zone – ce qui n’est pas fait pour nous déplaire - et beaucoup d’Américaines, ou les différences nettes de parcs entre les divers pays d’Afrique, mais nous devons adapter notre politique en fonction des retours de nos distributeurs. Nous ne pouvons pas faire du copié-collé. Par exemple, en Afrique le marché tient à 80 % avec le VO, mais pas en Afrique du Sud ou du Nord, etc. La recherche de données est essentielle”. Un constat amplement partagé par Hassanein Alwan pour qui la quête de chiffres est un travail à part entière : “Comme nous devons nous passer souvent de “data”, nous avons passé des accords avec des consultants qui nous en fournissent, notamment sur les roulements, des informations sur le nombre de véhicules importés, et la nature des parcs. Mais dans certains pays, c’est presque impossible, alors on se débrouille avec les compagnies d’assurances car ils sont obligés de tout déclarer. Ce n’est pas facile de les obtenir mais on y arrive.” Et c’est en s’appuyant sur leurs clients distributeurs que cela est plus sûr, des clients distributeurs (comme ceux de KYB, d’ailleurs) qui doivent répondre à deux exigences : des finances stables (qui ne dépendent pas des banques) et une connaissance du marché, de son marché-produit : “Nous travaillons avec des sociétés qui ont la même philosophie que nous, ce qui fait que nous sommes prêts à investir à leurs côtés mais cela n’est pas nécessaire la plupart du temps, car elles sont financièrement solides. Leur connaissance du marché profite aux deux, et toutes les transactions se font en dollars pour éviter les fluctuations monétaires. Ce sont les bases du business” précise Hassanein Alwan. Il ajoutera que lorsqu’il y a des stocks dans un pays sensible, il ne touche pas au prix. Quand il n’y a plus de stock, les prix changent et cela repart : dynamisme en toutes choses…
Réparer pour ne pas changer…
“A Dubaï, il se vend dans les 200 000 véhicules, d’après Jean-Michel Selles, et 1,5 million de véhicules circulent. D’ici 4 à 5 ans le marché va se stabiliser”, ajoute-t-il “mais la zone croît à grande allure. En Arabie Saoudite, on comptait 800 000 véhicules en 2013 avec une croissance forte. Il faut savoir que dans tous les pays de la grande région – y compris Afrique – la croissance voisine les 5 % et l’économie croît, même si le PIB est faible. A titre d’exemple, je prendrais l’Ethiopie et l’Egypte, les deux ont une population de plus de 80 millions d’habitants mais quand on compte 3,5 millions de véhicules en Egypte, on en dénombre moins de 500 000 en Ethiopie. La petite classe moyenne est en train de se former, et à consommer. Il y a des coups de frein, mais, globalement, la croissance est en marche pour les dix ans à venir”. Ce qui fait de Dubaï un hub intéressant pour tous les acteurs, consiste en la diversité des demandes que l’on sert ici. La clientèle du Golfe achète des véhicules neufs et se définit plus par ses modèles asiatiques (en dehors du luxe), avec un plus pour Toyota qui s’octroie un 40 % de parts de marché, attaqué par les Coréens. Du côté Afrique, Dacia (badgé Renault) fait un carton… Et les disparités président aussi aux conditions d’après-vente. Quand on change sans soucis dans le Golfe (pour les véhicules de luxe), on commence par réparer en Afrique : “de manière générale, en Afrique, ce sont les garagistes qui achètent à un détaillant et bien souvent le propriétaire du véhicule lui-même apporte la pièce à son garagiste” commente Jean-Michel Selles de KYB. Pour Mineral Circles Bearings, la réparation devient un axe stratégique pour la définition des ventes, comme le rappelle Hassanein Alwan : “Nous ne vendons pas beaucoup de galets ici, parce qu’à la différence de l’Europe et de ses kits, dans la grande région, on commence par changer plusieurs courroies avant de changer les galets. Parfois même, les réparateurs changent seulement le roulement et remontent le galet, et nous sommes obligés de les faire fabriquer au Japon car ce n’est pas prévu !” En clair, le coût de la main-d’œuvre est tel que l’on préfère passer du temps à démonter qu’à changer un bloc, et même de très petites pièces, ce qui explique aussi, pourquoi les spécialistes l’emportent sur les généralistes. A ce niveau d’identification des pièces et parties de pièces, il vaut mieux connaître ses produits ! A telle enseigne, que l’on note sur la région, des livraisons en direct des usines, du producteur au consommateur ! Quoi qu’il en soit, la zone mérite qu’on s’y intéresse fortement.