Le vitrage, transparent et si secret
La Manufacture des glaces de Saint-Gobain (02) a été créée en 1665 par Colbert, qui souhaitait ainsi concurrencer les verriers italiens de Murano. Ce site constitue également le berceau du groupe Saint-Gobain, qui emploie aujourd’hui près de 190 000 personnes à travers 64 pays du monde. Pour la petite histoire, la galerie des glaces du château de Versailles ou même le vitrage de la pyramide du Louvre ont été réalisés par Saint-Gobain…
Le groupe dispose notamment d’une usine basée à Thourotte (60), qui fabrique, entre autres, des vitrages automobiles (glaces latérales, lunettes arrière ou encore pare-brise). Un site qui a accepté de nous ouvrir ses portes pour suivre le process de fabrication hautement confidentiel de ses composants.
Les vitrages automobiles se révèlent très techniques, presque autant que des verres de lunetterie. En effet, ils doivent à la fois présenter des qualités optiques et mécaniques particulièrement pointues, fixées par la réglementation ou par les clients constructeurs. C’est la raison pour laquelle peu de fabricants se disputent le marché mondial. Tout part de la matière première, le verre, fabriqué dans une unité de production tout à fait singulière, baptisée “float”. Tous les sites de production de verre automobile ne disposent pas de leur propre float, compte tenu de la complexité de mise en œuvre et des coûts engendrés. Il s’agit d’un immense bâtiment dans lequel on fabrique le verre en plaques, selon l’épaisseur désirée, pour toutes les applications possibles. Par campagne, on peut donc y trouver du vitrage automobile, mais également du verre pour le bâtiment ou autre.
A Thourotte, le float est un gigantesque four à gaz alimenté en continu avec de la silice (du sable) fondue à environ 1 000 °C (voir photo 1). A cette température, le sable se liquéfie et devient du verre (2). Bien entendu, selon les applications, on rajoute dans la recette des additifs, comme des oxydes, pour colorer le vitrage par exemple. Un float ne s’arrête jamais. Il tourne jour et nuit pendant quinze ans, avant sa première maintenance !
A la sortie du four, le verre en fusion coule sur un bain d’étain, qui assure la parfaite planéité. Dans le même temps, des rouleaux latéraux permettent de contrôler la largeur du flux, donc l’épaisseur des plaques qui vont sortir du process.
Ces plaques sont alors acheminées vers l’unité de production des vitrages automobiles, ici à quelques dizaines de mètres, mais qui peut parfois nécessiter un transport par camion ou train. Livré sur de larges chevalets (3), le verre est alors chargé par un robot sur une première machine de découpe qui va le débiter en tronçons.
Une fabrication très robotisée
Toutes les opérations de coupe du verre s’effectuent sur le même principe. On ne tronçonne pas. Une molette au diamant crée une microfissure à l’endroit désiré. Puis l’on rompt cette fissure en lui appliquant une contrainte de flexion par le dessus ou le dessous, selon les cas. La coupe est instantanée, et nette.
A partir de ces bandes de verre (4), sur le même principe, les machines ébauchent un “primitif”, c’est-à-dire une forme géométrique simple, qui se rapproche de la surface utile définitive de la vitre recherchée, en optimisant au mieux le verre disponible (5). Là encore, c’est une table de découpe utilisant une molette au diamant qui se charge de l’opération, gérée par l’informatique. L’ensemble des chutes est renvoyé au float pour se voir refondu.
Les primitifs alimentent alors les lignes de découpe en forme, qui vont donner leur véritable dessin définitif, avec les courbes et autres subtilités géométriques inhérentes au dessin voulu par le constructeur (6). Toute l’expertise du verrier est nécessaire lors de cette étape, car les constructeurs livrent un cahier des charges en 3D, c’est-à-dire une vitre définitive, galbée à souhait ! Or, notre plaque est, à ce stade, toujours plate, en 2D. Il faut donc parfaitement connaître la déformation du verre afin de transcrire ces informations à plat, tout en étant absolument certain qu’après avoir été formée, la vitre aura bien la dimension requise… Une meule diamantée vient ensuite façonner les bords, ici, de la vitre latérale, et leur donner leur aspect définitif arrondi, poli et non coupant (7).
Il faut maintenant procéder au nettoyage du verre, le débarrasser de ses huiles de découpe résiduelles, avant le “formage”. Au sortir de cette machine à laver, les vitres entrent dans un four de près de 10 mètres, dans lequel elles vont lentement avancer et s’élever en température jusqu’à 650 °C, la juste chaleur qui rend le verre viscoélastique, un état qui va permettre de donner la forme galbée définitive à notre vitre latérale (8). L’opération, très confidentielle, ne peut être montrée. Il s’agit d’un formage par calandrage, c’est-à-dire que le verre plat passe à travers des rouleaux qui le cintrent, dans les deux rayons (cylindrique et torique). C’est aussi lors de cette étape fondamentale que l’on réalise la trempe du verre pour les vitres latérales. Juste après le formage, des jets d’air frais refroidissent brutalement le verre à 400 °C. Ce procédé permet de créer des contraintes de compression sur la peau du verre et des contraintes d’extension à cœur. Ainsi, la résistance aux chocs et aux rayures est accrue. De plus, en cas d’impact, le vitrage explose littéralement en milliers de fragments de petite taille, ce qui évite les coupures. Régulièrement, un prélèvement est effectué au sortir de la trempe pour vérifier sa réussite et évaluer la taille des fragments, qui font l’objet d’une norme stricte (9). Enfin, les vitrages terminés sont conditionnés automatiquement, empilés les uns sur les autres et séparés par des feuilles de papier. Un système permettant d’optimiser l’espace disponible dans les camions.
Les lunettes arrière
Les lunettes arrière suivent les mêmes étapes de fabrication que les glaces latérales, jusqu’à leur découpe. Mais elles reçoivent ensuite une opération supplémentaire avant d’être mises en forme, visant notamment à créer le réseau chauffant permettant le dégivrage. Une étape de sérigraphie qui se fait en deux temps. Tout d’abord, le dépôt de la couche d’émail noir qui borde la lunette, puis, après cuisson et refroidissement, de la couche de particules d’argent, qui réalise le réseau chauffant. Tout cela au travers de vastes pochoirs dessinés par le constructeur, apposés sur la lunette (10). Le formage de la lunette finale s’effectue cette fois par pressage, c’est-à-dire qu’une matrice vient conformer le verre sur une forme définie, à l’intérieur du four. Puis les pièces passent à la trempe, au contrôle et, enfin, au conditionnement.
Le cas particulier des pare-brise
Les pare-brise, pour leur part, ne sont pas trempés, mais feuilletés. Ils se composent donc de deux couches de verre superposées, entre lesquelles vient s’intercaler une feuille de PVB (polyvinyle de butyral). Ainsi, après leur découpe, les deux couches de verre plat sont superposées pour être formées ensemble, afin d’assurer un appairage parfait. Petite subtilité, la mise en forme ne se fait pas par calandrage ni par pressage, mais par effondrement gravitaire. On place les verres sur un châssis à la forme désirée, puis le tout est enfourné. A mesure que la température augmente jusqu’à 650 °C, les deux couches de verre vont s’affaisser jusqu’à épouser le gabarit final, qui supporte le pare-brise sur sa périphérie.
Au sortir de cette étape, les deux parties du pare-brise sont de nouveau séparées (11) afin de recevoir, dans une salle blanche, le fameux intercalaire PVB. Insérée en sandwich, la feuille en question est blanche, le pare-brise est opaque (12). Il passe alors dans une calandreuse, qui va “presser” l’ensemble pour chasser un maximum d’air entre les éléments. Enfin, la dernière étape de constitution du pare-brise consiste à le placer dans un autoclave à 140 degrés, sous 12 bars, pendant deux heures (13), ce qui fige les trois composants ensemble et donne la résistance mécanique et la transparence définitive au PVB (14).