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Recyclage des pneus, 10 ans déjà

Publié le 20 novembre 2014
Par Frédéric Richard
6 min de lecture
Dix ans après la mise en place de la filière, l’anniversaire des deux opérateurs historiques nous offre l’occasion de revenir sur leurs accomplissements, ainsi que sur la professionnalisation de toute une population, qui est parvenue à faire du cycle de vie du pneu, un cercle vertueux.
Dix ans après la mise en place de la filière, l’anniversaire des deux opérateurs historiques nous offre l’occasion de revenir sur leurs accomplissements, ainsi que sur la professionnalisation de toute une population, qui est parvenue à faire du cycle de vie du pneu, un cercle vertueux.

Depuis une décennie, dans le cadre du décret portant sur la responsabilité élargie du producteur, chaque manufacturier, importateur de pneus et d’engins équipés de pneus, vendeur de pneus, est tenu de proposer des solutions pour le recyclage de ses produits. Si, aujourd’hui, les filières de valorisation privées sont bien structurées et remplissent les objectifs, leur mise en place a nécessité de nombreux changements de culture de tous les acteurs impliqués. Retour sur dix ans d’efforts et de projets, pour aboutir à un équilibre homogène que tout le monde salue, mais qui vient de se voir bouleverser par l’ingérence récente de l’état. Pour comprendre, il convient de revenir sur la genèse du concept.

Avant le décret “pneus usagés” n° 2002-1563 de 2002, c’était le far west ! Les collecteurs se disputaient les marchés de plus en plus durement, à tel point qu’au fil des années, certains d’entre eux choisissaient la facilité… Parmi les pneus collectés, une part de l’ordre de 20 % pouvait encore rouler, et se révélait donc revendable. Certains professionnels indélicats triaient donc les pneus en bon état pour en tirer le meilleur, et se “débarrassaient” des autres, plutôt que de s’ennuyer à leur trouver une seconde vie. Une situation qui a directement conduit à l’émergence et la multiplication de dépôts sauvages, aujourd’hui appelés stocks “historiques” ou “orphelins”.

Situation grave

L’inventaire de ces stocks sauvages, pratiqué en 2005, a montré que 215 000 tonnes de pneumatiques jonchaient nos campagnes, soit 29 millions d’enveloppes sur le territoire, disgracieuses et dangereuses. C’est en partie pour éviter que cette situation dangereuse ne s’aggrave que l’Etat a étendu le concept de responsabilité du producteur au secteur du pneumatique, demandant à tous ceux qui mettent des pneus sur le marché français (fabricants ou importateurs) de financer leur collecte ainsi que leur recyclage.

Les manufacturiers Bridgestone, Michelin, Goodyear, Dunlop, Continental et Kléber ont donc créé conjointement l’organisation Aliapur pour se charger de cette mission. Puis, en juin 2004, en réaction à la création d’Aliapur, quelques prestataires de collecte et producteurs (l’Association française des Importateurs de Pneus) créent un GIE (Groupement d’Intérêt économique) nommé “FRP” pour prendre en charge leurs propres obligations réglementaires. “Nous ne souhaitions pas entrer dans un système géré par des manufacturiers, en situation de quasi-monopole”, reconnaît Jean-Louis Pech, ex-président de FRP.

Deux organismes, une mission

Le rôle des deux organisations consiste à garantir l’exécution des obligations réglementaires de leurs clients, en gérant donc en tout premier lieu les relations entre collecteurs détenteurs et valorisateurs, pour faire en sorte que l’ensemble de la chaîne aboutisse à des solutions économiquement et écologiquement viables, pour la seconde vie des pneumatiques.

La première piste explorée n’est pas nouvelle, mais se développe. Il s’agit du réemploi pur et simple. En moyenne, 1 pneu collecté sur 5 peut se voir réutilisé. Le tri de ces pneus est d’une importance capitale et les collecteurs investissent massivement pour s’équiper de lignes plus modernes afin d’isoler ces “précieuses” enveloppes. En dix ans, le taux de collecte des pneus réutilisables s’est nettement amélioré, passant de 15 % à près de 20 %. Cette progression est aussi liée à la croissance de la demande internationale de pneus réutilisables, du fait de la crise économique, y compris en Europe de l’Ouest, Espagne, Portugal, et même France. En marge de la réutilisation en occasion, la piste du rechapage se développe. Elle concerne essentiellement les pneus poids lourds, génie civil, TP, agraires, et les pneus d’avion en raison de leur valeur unitaire. Les transporteurs font désormais rechaper tous leurs pneumatiques jusqu’à trois fois.

La valorisation, de bonnes et rentables idées

Outre l’utilisation en cimenterie et les terrains de sport, on construit régulièrement des digues, des roulettes de manutention, des aires de jeux… avec des vieux pneus ! FRP travaille beaucoup sur les applications de travaux publics pour l’utilisation des pneumatiques usagés. En témoignent des exemples particulièrement représentatifs tels que les remparts de La Rochelle. Mais le GIE a aussi récemment soutenu la première unité européenne de vapo-thermolyse, portée par un de ses adhérents, Alpha-Recyclage. “Nous espérons créer une nouvelle voie de valorisation, puisqu’elle produira du noir de carbone recyclé et recyclable, ainsi que du fioul de thermolyse, deux produits à forte valeur ajoutée”, détaille Jean-Louis Pech. Pour simplifier, il s’agit de faire fondre le pneu, puis d’opérer une sorte de distillation, afin d’isoler une fraction liquide et une fraction solide. L’avenir dira si le concept peut fonctionner au plan industriel.

Chez Aliapur, les solutions et les perspectives se révèlent encore plus larges. L’organisme propose notamment une solution de substitution au sable pour le sol des centres équestres. Moins abrasif pour les fers du cheval, et moins dangereux en cas de chute d’un cavalier. Enfin, dernière création, une piste d’athlétisme. De couleur noire bien entendu, elle draine mieux l’humidité, accroche mieux et présente un meilleur rebond pour les athlètes, qui la plébiscitent.

Concernant les perspectives plus lointaines, Aliapur prépare des projets de compounds, pour intégrer des pièces dans l’automobile. Il s’agit de mélanger des résidus de pneus avec du polyamide ou d’autres composites. “Nous avons pratiqué les premiers tests sur des protections moteur, qui sont d’ordinaire en pur polyamide à 1 200 euros la tonne. Avec notre solution, nous parvenons à un résultat à 200 euros la tonne seulement”, explique Eric Fabiew, président d’Aliapur.

Mise sous tutelle étatique

Un bras de fer sans égal a agité la filière du recyclage des pneus ces derniers mois. En effet, les pouvoirs publics souhaitaient encadrer la filière pour éviter les dérapages, la crise de la collecte de 2010 pour ne pas la citer, tandis que les acteurs du secteur s’élevaient contre les contraintes qui pèseraient sur eux dans le cadre d’un agrément étatique… On parlait de la possible mise en place d’un éco-organisme (société de droit privé, à laquelle les pouvoirs publics délèguent la mission de prise en charge d’un équipement en fin de vie), c’est finalement un agrément auquel seront soumis tous les acteurs de la chaîne, afin de valider leurs compétences et résultats.

Mais Aliapur et FRP ne décolèrent pas. Depuis près de trois ans, ils échangeaient régulièrement avec les pouvoirs publics sur l’évolution du décret initial. Une nouvelle mouture était même récemment partie à Bruxelles pour validation, après la fin de la consultation publique. Selon les termes de cette révision, il avait finalement été convenu qu’un agrément n’était pas nécessaire. “Le ministère avait alors proposé de nous encadrer par le biais d’un arrêté, nous fixant des objectifs. Nous étions donc d’accord sur cette obligation de résultat”, rappelle Eric Fabiew.

La décision de mettre en place un agrément apparaît donc comme un “scandale” pour une filière, dont tous les acteurs sondés saluent les qualités, et qui fonctionne normalement, seule. Aliapur et FRP s’insurgent. “On ne comprend pas bien, car malgré les bonnes relations et les échanges que nous avions avec les pouvoirs publics, personne ne nous a consultés pour la rédaction des amendements concernant cette initiative. Pour nous, cette situation est inacceptable. Nous ne voulons pas que l’on nous dise comment faire notre travail”, rappelle une fois encore Eric Fabiew. Même constat chez FRP, “Nous venons de clôturer un processus de travail dans lequel nous avions défini une position quasi unanime, et d’un coup, on fait passer un amendement qui balaie tout ça, sans aucune consultation ! Et ça, dans le seul souci d’harmoniser les filières REP. Mais c’est un non-sens ! Les filières ne traitent pas des mêmes sujets et on ne peut pas comparer le recyclage des pneus avec celui des emballages. Restons pragmatiques. Aujourd’hui, la filière pneus a rempli l’ensemble des objectifs fixés en termes de collecte et de valorisation. C’est l’essentiel. Pourquoi tout remettre en question ?”, regrette Jean-Louis Pech, ex-président de FRP.

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FOCUS - Recyvalor, sus aux stocks historiques !

Le décret initial ne précisait en aucune manière comment traiter les stocks historiques de pneumatiques, amoncelés pendant plusieurs décennies dans l’Hexagone. Dès sa création, Aliapur a identifié 114 sites concernés par ces nuisances et a proposé au ministère de l’Environnement de prendre en charge et d’éliminer à ses frais 26 000 tonnes de pneus, bien que ce ne soit pas dans ses missions initiales. Douze stocks, choisis par le ministère, ont été évacués entre 2005 et 2009.

Cette première initiative a ouvert une négociation réunissant toute la filière. En 2008, un accord a été signé au ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durable, rassemblant toute la profession : fabricants, distributeurs, constructeurs automobiles, organisations professionnelles, ainsi que des professionnels du déchet. Il prévoit l’élimination, en huit ans, de 80 000 tonnes de pneus usagés, dont les derniers détenteurs n’ont pas pu être identifiés par les services préfectoraux et qui constituent ainsi des stocks dits “orphelins”. C’est cet accord qui a donné naissance à l’association Recyvalor, chargée d’en exécuter les termes. Le coût total de l’évacuation des stocks orphelins a été estimé à 7 millions d’euros. Le financement est assuré par l’ensemble des signataires de l’accord – Etat inclus –, pour un montant annuel de plus d’un million d’euros, dont un tiers pour les manufacturiers. Depuis 2008, l’association Recyvalor a permis de supprimer 50 stocks orphelins du territoire, mais il en reste encore de très conséquents. Or, avec la mise en place d’un agrément, il y a fort à parier que l’action volontariste des organismes sur le sujet sera remise en question. “Nous nous sommes donné beaucoup de mal pour créer Recyvalor et obtenir que l’Etat s’y engage, alors que nos actionnaires, les manufacturiers, n’avaient aucune responsabilité dans ces stocks. Nous avons choisi de nous engager financièrement, mais également de gérer l’ensemble de la collecte. Mais cela coûte un temps et une énergie fous”, conclut Eric Fabiew. Et FRP fait également partie du consensus ! “Certains de nos membres participent à Recyvalor. Par le passé, nous avons également utilisé des capacités excédentaires de collecte pour participer à la réduction de ces sites. Si les pouvoirs publics nient le travail collaboratif réalisé depuis des années en imposant un agrément et un éco-organisme, nous ne jouons plus sur les mêmes bases de confiance mutuelle”, martèle Jean-Louis Pech.
 

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