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Recyclage, dix ans déjà…

Publié le 19 août 2014
Par Frédéric Richard
9 min de lecture
Dix ans après la mise en place de la filière, l’anniversaire des deux opérateurs historiques nous offre l’occasion de revenir sur leurs accomplissements, ainsi que sur la professionnalisation de toute une population, qui est parvenue à faire du cycle de vie du pneu, un cercle vertueux.
Dix ans après la mise en place de la filière, l’anniversaire des deux opérateurs historiques nous offre l’occasion de revenir sur leurs accomplissements, ainsi que sur la professionnalisation de toute une population, qui est parvenue à faire du cycle de vie du pneu, un cercle vertueux.

Depuis une décennie, dans le cadre du décret portant sur la responsabilité élargie du producteur, chaque manufacturier, importateur de pneus et d’engins équipés de pneus, vendeur de pneus, est tenu de proposer des solutions pour le recyclage de ses produits. Si, aujourd’hui, les filières de valorisation privées sont bien structurées et remplissent les objectifs, leur mise en place a nécessité de nombreux changements de culture de tous les acteurs impliqués. Retour sur dix ans d’efforts et de projets, pour aboutir à un équilibre homogène que tout le monde salue, mais qui pourrait bien se voir bouleverser avec la possible mise en place d’un éco-organisme, demandé par deux récents amendements déposés par le groupe écologiste de l’Assemblée et le gouvernement, afin de gérer la filière. Pour comprendre, il convient de revenir sur la genèse du concept.

Avant le décret “pneus usagés” n° 2002-1563 de 2002, la France devait faire face à une situation des plus archaïques en matière de traitement des pneumatiques en fin de vie. Les derniers détenteurs, le plus souvent les garages ou les déchetteries, faisaient appel au collecteur de leur choix et le rémunéraient individuellement pour la récupération et la valorisation des enveloppes usagées. Pour être tout à fait clair, c’était le far west ! Les collecteurs se disputaient les marchés de plus en plus durement, à tel point qu’au fil des années, certains d’entre eux choisissaient la facilité… Parmi les pneus collectés, une part de l’ordre de 20 % pouvait encore rouler, et se révélait donc revendable. Certains professionnels indélicats triaient donc les pneus en bon état pour en tirer le meilleur, et se “débarrassaient” des autres, plutôt que de s’ennuyer à leur trouver une seconde vie. Une situation qui a directement conduit à l’émergence et la multiplication de dépôts sauvages, aujourd’hui appelés stocks “historiques” ou “orphelins”.

Situation grave à l’époque

L’inventaire de ces stocks sauvages, pratiqué en 2005, a montré que 215 000 tonnes de pneumatiques jonchaient nos campagnes, soit 29 millions d’enveloppes sur le territoire. Et, même si l’on oublie leur simple aspect disgracieux, ces amoncellements constituent de remarquables nurseries pour les moustiques, de nature à propager nombre de maladies infectieuses. C’est aussi un habitat de choix pour les rats et les reptiles. Mais, par-dessus tout, ces pneumatiques sont hautement inflammables, et génèrent en cas d’incendie des fumées toxiques et des résidus huileux qui affectent les nappes phréatiques.

C’est en partie pour éviter que cette situation dangereuse ne s’aggrave que l’Etat a étendu le concept de responsabilité du producteur au secteur du pneumatique, demandant à tous ceux qui mettent des pneus sur le marché français (fabricants ou importateurs) de financer leur collecte ainsi que leur recyclage. Depuis juillet 2002, il est donc interdit de mettre en décharge des pneus usagés.

La loi les autorisant à se regrouper pour assumer collectivement ces obligations, les manufacturiers Bridgestone, Michelin, Goodyear, Dunlop, Continental et Kléber ont créé conjointement l’organisation Aliapur pour se charger de cette mission. Puis, en juin 2004, en réaction à la création d’Aliapur, quelques prestataires de collecte et producteurs (l’Association française des Importateurs de Pneus) créent un GIE (Groupement d’Intérêt économique) nommé “FRP” pour prendre en charge leurs propres obligations réglementaires. “Nous ne souhaitions pas entrer dans un système géré par des manufacturiers, en situation de quasi monopole”, reconnaît Jean-Louis Pech, président de FRP. En effet, si l’on se replace dans le contexte de l’époque, un collecteur travaillait sur la base d’un fonds de commerce représenté par de nombreux détenteurs de pneus. Or, l’arrivée d’Aliapur a instauré de nouvelles règles selon lesquelles l’organisme allait centraliser les besoins de la filière, et ainsi gérer le portefeuille clients des collecteurs, en lançant des appels d’offres pour répartir les volumes. En gros, celui qui gagne l’appel d’offres bénéficie d’un contrat de trois ans, durant lequel Aliapur lui assure des volumes à collecter. Pour les autres, la situation devenait alors compliquée.

Côté producteur, on peut également comprendre que certains n’aient pas souhaité s’engager avec un organisme unique, et déclarer leurs volumes. Cet acte de résistance au départ, s’est transformé en une véritable offre de services qui, certes, ne représente aujourd’hui que 20 % du marché (en incluant le marché des pneus issus des VHU), mais constitue un contre-pouvoir nécessaire.

Une mission, deux organismes

Le rôle des deux organisations consiste donc à garantir l’exécution des obligations réglementaires de leurs clients, en collectant et gérant leurs contributions financières, au prorata des pneumatiques neufs mis sur le marché. Mais, dès le départ, ils ont aussi très largement participé à la structuration de la filière. Le but consistant à soutenir des actions de R&D pour développer de nouvelles voies de valorisation. Enfin, Aliapur et FRP rendent régulièrement des comptes aux pouvoirs publics de l’exécution des obligations de leurs clients producteurs, puis communiquent les résultats de la filière.

Les organismes de recyclage gèrent donc en tout premier lieu les relations entre collecteurs détenteurs et valorisateurs, pour faire en sorte que l’ensemble de la chaîne aboutisse à des solutions économiquement et écologiquement viables, pour la seconde vie des pneumatiques.

La première piste explorée n’est pas nouvelle, mais se développe. Il s’agit du réemploi pur et simple. En moyenne, 1 pneu collecté sur 5 peut se voir réutilisé. Le tri de ces pneus est d’une importance capitale et les collecteurs investissent massivement pour s’équiper de lignes plus modernes afin d’isoler ces “précieuses” enveloppes.

En dix ans, le taux de collecte des pneus réutilisables s’est nettement amélioré, passant de 15 % à près de 20 %. Cette progression est aussi liée à la mise en place du Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) du tri, à laquelle Aliapur a largement contribué. S’y ajoute une croissance de la demande internationale de pneus réutilisables, du fait de la crise économique, y compris en Europe de l’Ouest, Espagne, Portugal, et même France.

En marge de la réutilisation en occasion, la piste du rechapage se développe. Elle concerne essentiellement les pneus poids lourds, génie civil, TP, agraires, et les pneus d’avion en raison de leur valeur unitaire. Les transporteurs font désormais rechaper tous leurs pneumatiques jusqu’à trois fois. Les pneus d’avion se rechapent quant à eux jusqu’à huit fois. Nous sommes bien dans le sujet, puisque détruire un produit dont la structure peut s’offrir une seconde vie serait dommageable pour le bilan global de la filière.

La valorisation, de bonnes et rentables idées

Beaucoup de solutions de valorisation matière existent dans le pneumatique, depuis des années. Outre les terrains de sport, on construit régulièrement des digues, des roulettes de manutention, des aires de jeux…, avec des vieux pneus ! FRP travaille beaucoup sur les applications de travaux publics pour l’utilisation des pneumatiques usagés. En témoignent des exemples particulièrement représentatifs tels que les remparts de La Rochelle. Mais le GIE a aussi récemment soutenu la première unité européenne de vapo-thermolyse, porté par un de ses adhérents, Alpha-Recyclage. La construction a débuté et le site sera fonctionnel en fin d’année. “Nous espérons créer une nouvelle voie de valorisation, puisqu’elle produira du noir de carbone recyclé et recyclable, ainsi que du fioul de thermolyse, deux produits à forte valeur ajoutée”, détaille Jean-Louis Pech. Pour simplifier, il s’agit de faire fondre le pneu, puis d’opérer une sorte de distillation, afin d’isoler une fraction liquide et une fraction solide. L’avenir dira si le concept peut fonctionner au plan industriel.

Chez Aliapur, les solutions et les perspectives se révèlent encore plus larges. Normal, avec un CA de 50,7 millions d’euros et environ 80 % des parts de marché du secteur…
La cellule de R&D a développé plusieurs voies de valorisation. La première touche à l’aciérie. La base de la fabrication de l’acier consiste à fondre de la ferraille. Mais ce process génère une oxydation que l’on neutralise en ajoutant du carbone au moment de la combustion. Aujourd’hui, cette opération se pratique avec de l’anthracite, bref, du charbon. “Nous sommes partis du fait qu’un pneu contient 20 à 30 % de carbone et qu’à ce titre, il pouvait sans doute se substituer à l’anthracite, et les premiers essais sont concluants. Non seulement l’acier généré présente la même qualité mais, de plus, l’aciérie récupère l’acier des carcasses (10 % de la masse) pour le recycler !”, s’enthousiasme Eric Fabiew, président d’Aliapur.

Aliapur propose également une solution de substitution au sable pour les centres équestres. En effet, le sable se révèle très abrasif pour les fers du cheval. Qui plus est, une fois tassé, ce revêtement se montre dangereux lors des chutes. Enfin, le sable est particulièrement instable et inconfortable pour l’équidé. Après un gros travail avec des vétérinaires, l’organisme est parvenu à créer des pistes en granulat de pneus. Enfin, dernière création, une piste d’athlétisme. De couleur noire bien entendu, elle draine mieux l’humidité, accroche mieux et présente un meilleur rebond pour les athlètes, qui la plébiscitent.

Concernant les perspectives plus lointaines, Aliapur prépare des projets de compounds, pour intégrer des pièces dans l’automobile. Il s’agit de mélanger des résidus de pneus avec du polyamide ou d’autres composites. “Nous avons pratiqué les premiers tests sur des protections moteur, qui sont d’ordinaire en pur polyamide à 1 200 euros la tonne. Avec notre solution, nous parvenons à un résultat à 200 euros la tonne seulement”, explique Eric Fabiew. Enfin, dernier projet, avec la Fédération française de basket, à laquelle Aliapur propose des terrains démontables sous forme de grandes plaques intégrant de la gomme recyclée, pour pratiquer des démonstrations en milieu urbain.

La valorisation énergétique, de plus en plus plébiscitée

Le pouvoir calorifique du pneumatique est identique à celui du charbon, et comparable à celui du coke de pétrole, mais avec des rejets atmosphériques bien souvent inférieurs. Le pneu usagé peut ainsi être utilisé comme combustible de substitution, notamment dans les cimenteries.
Dans certaines usines, le taux de substitution des combustibles traditionnels peut atteindre 50 % de la consommation thermique du four.
Chez un spécialiste de la valorisation, les pneus usagés sont menés dans un broyeur. Le produit de cette opération prend la forme de copeaux de caoutchouc d’environ 10 cm2. Ce produit ne doit pas être considéré comme un déchet, mais plutôt comme un vrai produit noble, que les valorisateurs (cimenteries ou autres) apprécient, et paient désormais à leur juste valeur. D’ailleurs, Aliapur s’est adapté à leurs exigences pour faire en sorte que la matière que les valorisateurs devaient auparavant payer pour voir enlevée par les cimenteries soit désormais suffisamment qualitative et normée pour mériter un paiement de la part de cette industrie très gourmande en énergie.
Afin d’évaluer et suivre la qualité du broyat, Aliapur a créé un outil baptisé “VisioPur”. C’est une machine qui prend une photo numérique d’un résidu de broyage, un logiciel calculant ensuite sa surface ainsi que la longueur des fils métalliques saillants, afin de suivre la qualité de coupe et anticiper les dérives d’un broyeur dont les lames s’émoussent.
Toujours au titre de la valorisation énergétique, les pneus usagés peuvent également être utilisés comme combustible dans des chaufferies urbaines. Dans le cadre de cette application, Aliapur expédie des broyats en Suède depuis 2008. Le géant industriel allemand E.On, l’un des leaders mondiaux du secteur énergétique, y gère en effet une centrale thermique dont le cahier des charges limite sévèrement l’utilisation de combustible fossile. La chaufferie suédoise a absorbé 8 000 tonnes de broyats Aliapur en 2013.
Avec ces nombreuses possibilités, liées au dynamisme de toute une filière, la demande en valorisation excède désormais l’offre.

De la mise en place ou non d’un éco-organisme

Faire passer la gestion de la filière de recyclage des pneus sous la tutelle d’un éco-organisme (société de droit privé, à laquelle les pouvoirs publics délèguent la mission de prise en charge d’un équipement en fin de vie) est un sujet qui revient régulièrement sur la table, entre le ministère et les acteurs du secteur. Les uns souhaitent encadrer la filière pour éviter les dérapages, la crise de la collecte de 2010 pour ne pas la citer, tandis que les autres s’élèvent contre les contraintes qui pèseraient sur eux dans le cadre d’un agrément étatique… Ainsi, depuis près de trois ans, FRP et Aliapur échangent régulièrement avec les pouvoirs publics sur l’évolution du décret initial. Une nouvelle mouture était même récemment partie à Bruxelles pour validation, après la fin de la consultation publique. Selon les termes de cette révision, il avait finalement été convenu qu’un agrément n’était pas nécessaire. “Le ministère avait alors proposé de nous encadrer par le biais d’un arrêté, nous fixant des objectifs. Nous étions donc d’accord sur cette obligation de résultat”, rappelle Eric Fabiew.
Or, on vient d’apprendre que deux nouveaux amendements viennent d’être déposés à l’assemblée nationale, dans le cadre d’un projet de décret sur l’économie sociale et solidaire, et provoquent un nouveau séisme chez les professionnels de la collecte. Ces deux nouveaux textes, l’un porté par le gouvernement, l’autre par le groupe Ecologiste, relancent l’hypothèse d’un agrément, et donc de l’ingérence de l’Etat. Un “scandale” pour une filière, dont tous les acteurs sondés saluent les qualités et qui fonctionne normalement, seule. Aliapur et FRP s’insurgent. “On ne comprend pas bien, car malgré les bonnes relations et les échanges que nous avions avec les pouvoirs publics, personne ne nous a consultés pour la rédaction de ces amendements. Pour nous, cette situation est inacceptable. Nous ne voulons pas que l’on nous dise comment faire notre travail”, rappelle une fois encore Eric Fabiew. Même constat chez FRP, pour qui “un éco-organisme serait dommageable pour la filière. Nous venons de clôturer un processus de travail dans lequel nous avions défini une position quasi unanime, et d’un coup, on fait passer un amendement qui balaie tout ça, sans aucune consultation ! Et ça, dans le seul souci d’harmoniser les filières REP. Mais c’est un non-sens ! Les filières ne traitent pas des mêmes sujets et on ne peut pas comparer le recyclage des pneus avec celui des emballages. Restons pragmatiques. Aujourd’hui, la filière pneus a rempli l’ensemble des objectifs fixés en termes de collecte et de valorisation. C’est l’essentiel. Pourquoi tout remettre en question ?”, regrette Jean-Louis Pech, président de FRP.

Quand on voit les contraintes imposées dans le cadre de la mise en place d’un éco-organisme, on comprend les réticences des acteurs historiques. En nous fondant sur un éco-organisme d’une autre filière, nous avons retenu, pêle-mêle :
L’obligation d’organiser un événement médiatique annuel, pour faire connaître les actions menées. Mais aussi un prélèvement de 0,5 % du CA pour la communication, budget géré par l’Ademe. L’obligation de réaliser une enquête annuelle sur la perception de la filière, à délivrer à l’Etat. L’obligation de soutenir les actions de prévention, sans toutefois avoir le droit de donner son avis. Un versement de 1 % du CA des sociétés à l’Ademe et à l’ANR, pour financer un pôle de compétitivité. La mise en place d’un organisme de coordination entre les structures concurrentes, avec un comité de conciliation pour arbitrer.

Enfin, Il y a fort à parier que le dépôt des containers deviendrait gratuit dans les garages. Ce qui représente pas moins de 6 millions d’euros de manque à gagner (5 000 bennes à 100 euros pièce sur douze mois). “J’annonce de suite que la contribution de 1,35 euro augmentera, et avec elle le prix des pneus. Le pouvoir d’achat appréciera…”, prévient Eric Fabiew.
 

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