Un second souffle pour l’apprentissage ?
Que faire pour enrayer la chute ? Telle est la question qui agite les esprits aux plus hauts sommets de l’Etat. Après une inédite baisse de 8 % en 2013, le nombre de primo-apprentis a encore diminué de 3,2 % l’an dernier pour un total de 265 000 jeunes. Un chiffre bien loin de l’objectif des 500 000 désirés d’ici 2017 par le président François Hollande sitôt arrivé à l’Elysée. Secteur historiquement propice au placement et à l’épanouissement de ces jeunes talents, l’automobile n’échappe pas à la règle avec, selon l’Association nationale pour la formation automobile (ANFA), des effectifs en régression de 7 % en 2014 pour un total de 19 500 étudiants, soit 7,3 % des ressources totales. Un recul qui prend racine dans un contexte économique défavorable depuis la crise de 2009 et que l’automobile, malgré un léger redressement des ventes depuis plusieurs mois, peine encore à dépasser. Spécialiste du genre, le patron du cabinet Auto Consultant, Stéphane Gomez, met ainsi en lumière ce paradoxe entre une main-d’œuvre reconnue et pourtant laissée sur le banc par des chefs d’entreprise soucieux comme jamais de leur trésorerie. “L’alternance en général et l’apprentissage en particulier demeurent un excellent moyen d’intégrer la filière automobile, et le niveau de formation des jeunes, aussi bien technique que commercial, est vraiment bon, estime ainsi ce dernier. Le problème est que les entreprises n’ont plus le temps ! Prendre un apprenti, c’est faire un investissement sur deux à trois ans. Or, aujourd’hui, les patrons ont des besoins immédiats et souhaitent un retour quasi instantané.” Une frilosité plutôt sensée, signe d’une gestion saine et rigoureuse de la part de ces derniers, qui pèse pourtant lourd dans la balance et que tente de limiter l’ANFA par la voix de Dominique Faivre-Pierret, adjointe au délégué : “Si les petites entreprises ont toujours recours à l’apprentissage, leur approche est désormais totalement différente. Avant, elles y avaient recours par habitude alors qu’aujourd’hui, elles analysent davantage leurs besoins avant de se lancer. Face à cela, il nous revient de dire aux patrons, qu’un apprenti, dès son troisième ou quatrième mois de formation, va pouvoir contribuer à l’activité de l’entreprise et devenir rentable.” Reste que, derrière cette apparente corrélation entre la crise économique, le manque de ressources qui en découle et la baisse des budgets de formation qui en résulte, le secteur paie aussi une série de mesures aux objectifs discutables et aux résultats désastreux, à en croire les principaux intéressés.
Des erreurs qui coûtent cher
Premier sujet de controverse : le bac professionnel. Réformé en 2009 et allongé à trois ans, celui-ci se substituait alors à un cursus sur quatre ans qui comprenait deux années pour arriver à un premier diplôme (BEP ou CAP) et deux autres pour obtenir un bac pro. Le gouvernement de l’époque espérait ainsi revaloriser ce mode de formation en l’alignant sur les diplômes des voies générales et technologiques, tout en réalisant des économies via la suppression du BEP et la réduction d’une année de formation. Plutôt inattendu fut le retour de bâton, comme le souligne le président de l’Aforpa (organisme dédié à l’apprentissage par alternance en Ile-de-France), Claude Schneider, par la voix de sa directrice générale Corinne Crespin : “Cette réforme du bac pro sur trois ans pose un gros souci car les chefs d’entreprise se retrouvent face à des adolescents qui sortent tout juste du collège et qui découvrent l’univers professionnel en même temps que la vie.” “C’est d’autant plus problématique, renchérit Stéphane Gomez, que l’une des premières qualités recherchées, c’est la maturité. L’apprenti idéal, on le veut le plus âgé possible.” En marge de ce grief, d’autres initiatives, propres à la branche ou prises par le gouvernement, censées relancer ce mode de formation ont eu l’effet inverse. Valorisation financière accrue des jeunes, prime de réussite, prime de signature de CDI (contrat à durée indéterminée) couplées, un temps durant, à la suppression des aides de l’Etat en faveur de l’apprentissage et des avoirs fiscaux en cas de dépassement des obligations de formation, ont participé à la désaffection actuellement combattue. Président du Conseil national des professions de l’automobile (CNPA), Francis Bartholomé ne fait pas mystère des erreurs passées : “Tout ceci a été mis en place dans le but de capter des jeunes en y mettant les moyens. En période de crise, cela s’est avéré contre-productif puisque le coût en hausse des formations ne correspondait pas à la volonté des entreprises de réaliser des économies. Elles ont donc supprimé une partie de l’apprentissage au prétexte que le coût financier et social défini par la branche leur posait un réel problème.”
La question du tutorat
Face à cela, le rétropédalage semblait donc inéluctable. Si la profession a consenti une hausse de 0,2 % de cotisation dans le but de “préserver le futur des formations” (Francis Bartholomé), celle-ci a accueilli avec satisfaction le retour à des rémunérations basées sur le Smic, comme la plupart des apprentissages, et la suppression de la prime de réussite. Une manière de rendre l’apprentissage plus attractif tout en limitant les effets néfastes d’un taux de charges toujours aussi injustifié aux yeux des chefs d’entreprise. “Il ne devrait pas y en avoir sur ce type de formation, se plaint ainsi Stéphane Gomez. C’est totalement contre-productif et ça n’encourage pas les patrons à s’engager.” Il y a quelques jours, François Hollande a annoncé “une nouvelle opération pour soutenir l’apprentissage” auprès des petites entreprises, qui ne paieront plus rien sur l’emploi d’un jeune… seulement s’il est mineur. Une promesse limitée pour des patrons, qui doivent également faire face à un processus administratif extrêmement lourd qui aurait tendance à en rebuter plus d’un. “C’est ingérable pour les petites entreprises, note-t-on du côté de l’Aforpa. Nous sommes partie prenante de leur démarche et leur offrons un accompagnement total.” L’organisme y voit là une des explications de la baisse de ses effectifs, lui qui comptait 1 600 jeunes en 2008 contre 900 aujourd’hui. Une désaffection qui pourrait également s’expliquer par la difficulté, plus ou moins avouée, rencontrée par chacun pour encadrer ces jeunes. Comment les accompagner du mieux possible durant leur formation ? Si la réflexion de chaque entreprise en matière de besoins a progressé à mesure que les caisses se vidaient, la question du tutorat demeure un enjeu majeur encore mal appréhendé. “Un grand nombre de managers dans l’automobile n’a pas reçu de formation spécifique. C’est une lacune importante qui se répercute sur la gestion des hommes, et qui est même amplifiée chez les plus jeunes qui n’ont aucune expérience et qui ont tout à apprendre”, étaye Stéphane Gomez. Alors que ce dernier consent toutefois “que les choses avancent dans le bon sens”, de nombreuses sociétés s’engagent à présent davantage sur ce terrain. Renault, Bosch, Mobivia (propriétaire des centres Norauto) et bien d’autres ont saisi tout l’intérêt qui était le leur et s’efforcent de former leurs managers aux spécificités de l’accompagnement d’apprentis, tout en les impliquant toujours plus dans ce processus. Responsable recrutement et relations écoles de Norauto, Jeanne Thoor fait état d’un “engagement très important au sein de notre société entre les managers et les personnes du recrutement. Tout se construit de manière régionale, ce qui nous permet de travailler avec des écoles partenaires en local et de recruter les bons profils”. Une manière de responsabiliser chaque partie tout en minimisant le risque d’échec.
Les forums emploi de Renault
La phase d’apprentissage n’étant pas une fin en soi, certaines entreprises, telles que Bosch, vont même encore plus loin. Alors qu’il compte 7 % d’apprentis au sein de son siège français de Saint-Ouen (93), l’équipementier consent ne vouloir garder que les meilleurs éléments à l’issue de leur formation tout en acceptant, le cas échéant, d’aider les autres à s’insérer dans la vie active. “Que ce soit directement via notre direction des ressources humaines ou grâce au réseau de connaissances de leur tuteur, nous les aidons à s’insérer dans la vie active”, souligne Vincent Henry, référent aux ressources humaines. Une insertion qui peut réserver quelques heureuses surprises puisque, en tant que multinationale, Bosch offre de nombreuses opportunités à l’international, et notamment en Allemagne, un pays “qui manque d’ingénieurs et qui s’avère particulièrement sensible à la main-d’œuvre française qualifiée”. Une initiative propre à l’équipementier germanique cependant loin d’être isolée et qui réaffirme cette prise de conscience collective envers ces jeunes. Confronté comme l’ensemble des constructeurs aux affres de la crise, Renault a dû se résoudre, jusqu’à la fin de l’année dernière, à limiter ses embauches aux postes clés. Un choix particulièrement difficile pour un groupe engagé depuis très longtemps dans la formation et l’insertion des jeunes, et qui devrait, logiquement, se répercuter sur ses effectifs. Pourtant, comme l’explique Didier Réthoré, chef du service emploi, formation et compétences à la DRH France, “nous avons choisi de poursuivre notre politique de formation”. Si ce dernier avoue que la démarche demeure importante pour l’image d’employeur de Renault et qu’elle permet d’entretenir un vivier de talents, il estime qu’il s’agit là du meilleur moyen de maintenir une dynamique et de soutenir la filière. Quitte à former à perte ou pour les autres. D’ailleurs, pour compenser cette abstinence, “nous avons organisé plusieurs forums emploi lors desquels nos entreprises partenaires, dans nos bassins d’activité, venaient proposer des postes aux jeunes formés chez nous”, ajoute Didier Réthoré. Fin 2014, Renault comptait ainsi 2 200 alternants, dont 1 760 dans la branche automobile, et 1 400 apprentis, chiffres qui devraient rester stables cette année.
Une montée en compétence
Au-delà de ce type d’actions, l’avenir de l’apprentissage dépend aussi d’une réflexion bien plus profonde quant au sens à donner à ce mode de formation pour lui permettre de répondre aux enjeux du moment. “Clairement, à un moment s’est posé le besoin “d’upgrader” nos cursus pour les faire évoluer vers des spécialités beaucoup plus technologiques”, étaye Francis Bartholomé pour qui, “sur ce point, la profession à bien réagi”. Le président du CNPA se félicite ainsi des “BTS qui fonctionnent très bien”, des licences de gestion qui forment “de très bons techniciens pour les ateliers” ou encore des cursus en ingénierie revus avec succès, “une bonne chose car la branche a besoin de diplômes élevés pour tirer les autres diplômes vers le haut”. Une manière de coller à l’air du temps, mais aussi de casser une bonne fois pour toutes une image qui voudrait faire de l’apprentissage “une voie de garage”. Chose que regrette Florence Poivey, présidente de la commission éducation, formation et insertion du Medef. “Il devient fondamental de changer les choses et de considérer l’alternance comme une voie d’excellence et non d’insertion. Or, culturellement, c’est ainsi que nous voyons ce mode de formation en France.” Et pour ce faire, l’organisation patronale se montre ambitieuse, estimant ainsi que l’objectif des 500 000 apprentis visé par le gouvernement n’est pas suffisant, et dégaine ses arguments. “En reconsidérant la chose, nous pouvons aller beaucoup plus loin”, note Florence Poivey. Cette dernière estime qu’il est plus que jamais nécessaire de revoir l’orientation des jeunes “et pas seulement en rajoutant l’apprentissage aux présentations qui leur sont faites. Il faut leur donner envie en éclairant leur parcours et en leur présentant les débouchés”. Deuxième chantier avec la construction des diplômes, “qui doit être réalisée en impliquant davantage les patrons et les organisations syndicales, de sorte à pouvoir coller à leurs besoins”. Enfin, et sans grande surprise, le Medef souhaite que soit simplifiée la réglementation en vigueur pour qu’aucun employeur potentiel ne soit découragé face à la lourdeur de la tâche.
27 000 apprentis d’ici trois ans
Par-delà une dynamique négative, l’optimisme semble donc de rigueur auprès des principaux intéressés, sans doute bien aidé par le foisonnement d’idées et d’initiatives. “Nous avons de l’espoir pour 2015 car, après une période compliquée, les entreprises vont devoir faire face à un renouvellement de leurs effectifs et devront prendre des jeunes”, estime Dominique Faivre-Pierret, de l’ANFA, rejointe par Francis Bartholomé, du CNPA. “Je crois beaucoup en notre capacité à favoriser l’apprentissage. C’est un mode de formation historique dans nos métiers et je pense que nous pouvons raisonnablement le relancer. C’est tout de même plus simple de passer un accord contractuel longue durée avec quelqu’un que vous connaissez depuis trois ans.” Preuve du volontarisme actuel, la branche s’est d’ailleurs engagée auprès des pouvoirs publics à recruter 27 000 apprentis lors des trois prochaines années. Une façon de contribuer à l’effort national tout en se donnant les moyens de jouer à nouveau un rôle moteur dans le développement de l’apprentissage en France.