Filtration : l'habitacle en chef de file
S'il n'y avait qu'une gamme de pièces auto mobiles que l'on pourrait qualifier de résiliente, ce serait peut-être la filtration. Dès 2021, elle a enregistré un rebond conséquent après un exercice marqué par le début de la crise sanitaire. Et 2022 a confirmé la tendance. Selon les différents acteurs du secteur, l'ensemble des familles de filtres a progressé, en valeur comme en volume.
L'explication majeure semble toute trouvée. "Plus le parc automobile vieillit, plus les automobilistes doivent entretenir leur véhicule, et donc leurs filtres. C'est d'autant plus vrai en ce moment, avec les délais d'attente pour un véhicule neuf", résume Riadh Abdelkefi, directeur commercial export du groupe Misfat et directeur général de Solaufil France. L'équipementier a vu son chiffre d'affaires lié à ce produit bondir de 18 % en 2022, passant de 90 à 106 millions d'euros.
Forcément, l'impact inflationniste est à prendre en compte dans l'analyse de ce genre de chiffres. Outre les problèmes de disponibilité et d'approvisionnement, les équipementiers ont subi la hausse des coûts des matières premières, notamment l'acier (dont le prix a doublé) et le papier.
Hausse des tarifs inévitable
La logique a voulu que les tarifs des filtres augmentent en conséquence. Du côté de Mann+Hummel, Julien Volpi, directeur commercial aftermarket France et Benelux, estime que "c'était nécessaire pour assurer la pérennité du groupe, et donc la pérennité de la fabrication et la fourniture des produits".
Pierre-Henri Tinet, directeur marketing aftermarket de Sogefi, observe que "certains acteurs ont pu profiter de la situation pour refaire leurs marges, compte tenu de cette inflation, et cela a pu engendrer d'importantes difficultés pour les clients. De notre côté, nous avons procédé à des augmentations légères et graduelles." Solaufil a opté pour des hausses calquées sur l'inflation. "Si nous subissons une hausse de 30 centimes, nous augmentons de 30 centimes, pas plus", précise Riadh Abdelkefi. Ce qui a représenté une augmentation d'environ 5,5 % des tarifs en 2022.
Autre acteur, autre stratégie : MGA, en raison de son statut d'outsider sur le marché de la filtration, a pris le parti de geler ses tarifs l'an dernier. "Cela nous a permis de nous repositionner et de gagner des parts de marché, affirme le directeur général, Yvon Granier. C'est facile de se gargariser en augmentant ses prix de 15 % pour dire ensuite que tout va bien. Nos 5 % de hausse sur la filtration, c'est du volume." Regarder les volumes apparaît, en effet, comme la meilleure solution pour faire état du marché. Si elle est forcément moindre qu'en valeur, la hausse est réelle. Mais elle n'est pas tout à fait égale selon les types de filtres.
Les filtres à huile gardent la main sur le nombre de ventes, et les filtres à carburant semblent encore avoir de belles années devant eux (voir plus bas). Mais les hausses les plus conséquentes concernent les filtres d'habitacle. "Ils sont désormais fournis en série pour 97 % des voitures neuves vendues en Europe. En France, il y a eu une augmentation progressive des ventes, due à la présence de l'aménagement intérieur sur presque toutes les nouvelles voitures", détaille Giuseppe Cofano, directeur commercial aftermarket France et Benelux d'UFI Filters.
Pour cette catégorie, MGA connaît une augmentation des volumes 2 fois plus rapide que pour les autres : + 10 % en 2022. Elle atteint à présent 15 % des ventes totales de filtres de la marque française. "C'est un marché porteur pour nous, qui peut nous permettre de grappiller des parts de marché", affirme Yvon Granier, qui apporte une première explication à cette hausse : "Avant, ce filtre ne se changeait qu'avant les départs en vacances, au printemps. Désormais, si nous en vendons toujours plus en juin qu'en décembre, cette saisonnalité est beaucoup moins vraie, notamment en comparaison avec d'autres produits."
Une prise de conscience sanitaire
Cette tendance est en partie due aux actions engagées ces dernières années par les constructeurs. "Les préconisations des constructeurs sur le remplacement de ces filtres sont de plus en plus présentes, remarque Julien Volpi. Le produit est plus mis en avant, lié à une prise de conscience de l'importance de la qualité de l'air à l'intérieur du véhicule." Cette prise de conscience est notamment venue avec la crise sanitaire, qui a poussé une partie des conducteurs à s'intéresser aux conséquences de la pollution dans l'habitacle.
L'effet Covid s'estompe, mais il a clairement renforcé la préoccupation des automobilistenote Pierre-Henri Tinet.
"Nous sommes désormais dans une problématique de santé publique. L'hospitalisation récente de 200 000 personnes en Thaïlande, suite à un pic de pollution, illustre les effets directs de celle-ci sur notre santé. De plus, la pollution dans l'habitacle peut être jusqu'à 4 fois supérieure à celle de l'extérieur de la voiture. En tant qu'équipementier premium, notre mission principale est de protéger les automobilistes."
Chez Bosch, Camille Debomy, cheffe de produit filtration, insiste sur le fait que "cette concentration des polluants toxiques augmente quand on roule en ville ou qu'on est coincé dans les embouteillages". Pour mieux "protéger", les innovations autour du filtre d'habitacle se multiplient. Bosch commercialise depuis le printemps 2022 le Filter+pro, qui agit contre les virus, bactéries et allergènes. Le filtre est notamment recommandé par l'Afpral (Association française pour la prévention des allergies).
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De son côté, Sogefi, via sa marque Purflux, a lancé ces dernières années le Cabin3Tech+, une amélioration du filtre à charbon actif, puis surtout le CabinHepa+, élu "produit de l'année 2022". "C'est une amélioration du filtre à pollen, explique Pierre-Henri Tinet. La technologie Hepa [high efficiency particulate air, ndlr], utilisée dans des milieux comme l'aviation et la santé, est un média filtrant naturel qui permet de filtrer jusqu'à 99,97 % des particules de la taille d'un virus. C'est important car plus les particules sont petites, plus elles peuvent pénétrer dans le corps humain. D'où la nécessité d'avoir la meilleure filtration dans l'habitacle."
Se développent aussi les filtres au polyphénol, un peu plus chers que les filtres à charbon classiques mais capables de stopper plus de 90 % des allergènes. UFI Filters y va aussi de sa nouvelle génération de filtres avec Argentium. "Cette gamme entraîne une amélioration importante de la qualité de l'air que l'on respire chaque jour à l'intérieur de sa voiture. Les filtres se composent d'un nouveau média filtrant en fibres synthétiques possédant une efficacité antibactérienne de 99 %, et d'une durée prolongée par rapport à la majorité des filtres", présente Giuseppe Cofano.
Outre toutes ces tendances et innovations, un autre élément joue en faveur du filtre d'habitacle : alors que les filtres à huile et à carburant sont voués, à long terme, à perdre du terrain, celui-ci va continuer d'en gagner. "Il s'agit du principal relais de croissance du marché filtration car, que le moteur soit électrique, hybride ou thermique, un véhicule aura toujours besoin d'un filtre d'habitacle", martèle Camille Debomy.
Miser sur l'habitacle… mais pas que
Pour les équipementiers, il s'agit donc de ne pas rater le coche d'une demande qui va croître au fil des prochaines années. "Sur une quinzaine de millions d'euros de bénéfices, nous réinvestissons 10 millions, confie Riadh Abdelkefi chez Solaufil. Sur notre site tunisien, nous avons recruté 400 personnes ces dernières années, pour atteindre un effectif de 1 650 salariés nous permettant de tourner 7j/7 et 24h/24. À Crépy-en-Valois (60), où nous ne fabriquons que du filtre à air et d'habitacle, nous fonctionnons avec deux équipes, pour 100 personnes au total. Nous avons investi dans une nouvelle plisseuse nous permettant de doubler notre capacité de production, à 10 000 filtres par jour. Il y a un an, si je recevais une commande de 10 000 filtres d'habitacle, j'avais peur. Aujourd'hui, non. Nos investissements nous permettent d'être plus à l'aise."
Sogefi a aussi augmenté sa capacité productive, ajoutant notamment de nouvelles lignes dans ses usines dédiées au filtre d'habitacle, comme en Slovénie et au Maroc. Se tourner vers l'avenir peut nécessiter d'autres types d'investissements. UFI Filters, par exemple, a décidé de lancer, début 2023, un système de commande numérique pour ses distributeurs officiels en France. "Nous avons donné aux clients français la possibilité d'accéder à un commerce électronique interentreprises afin de simplifier les transactions commerciales, en accélérant les processus de la chaîne d'approvisionnement, de la commande à l'entrepôt, jusqu'au paiement et à la livraison finale", détaille Giuseppe Cofano.
Cependant, certains ne comptent pas tout miser sur ce produit. "Même avec des gammes puissantes, le filtre d'habitacle ne pourra pas compenser la baisse future des filtres à carburant et à huile, prévient Julien Volpi. Le groupe Mann+Hummel se veut beaucoup plus large dans sa diversification, en allant sur de la filtration d'eau ou d'air, mais aussi en se concentrant sur d'autres marchés que le VL, comme le PL, l'agricole, le TP…" Les filtres de transmission se développent fortement avec les boîtes automatiques, mais c'est sur les véhicules électriques que les possibilités sont nombreuses.
L'équipementier fabrique des filtres déionisateurs pour traiter l'eau qui refroidit les batteries. Parmi ses autres projets, Mann+Hummel s'associe avec Audi sur la e-tron : "Nous allons positionner des solutions de filtration à l'avant du véhicule. Ce ne sera pas un filtre pour l'habitacle mais pour l'ensemble des microbes, poussières et autres particules qui sont à l'extérieur. En quelque sorte, il s'agira d'un aspirateur qui nettoie la ville", dévoile le directeur commercial. Il pointe néanmoins une limite pour la rechange : "Ce sont essentiellement des filtres qui durent la vie entière du véhicule."
Le filtre a de l'avenir
Indéniablement, les équipementiers qui travaillent en première monte partent avec un avantage. "Sogefi travaille avec ses partenaires sur les technologies de demain, affirme Pierre-Henri Tinet. L'interdiction de vente des véhicules thermiques en Europe peut paraître lointaine, mais à l'échelle industrielle, 10 ans passent comme 10 jours. Et celui qui ne s'adapte pas se trouve rapidement hors-jeu. D'où l'importance de pouvoir anticiper les mutations du marché et innover constamment."
Riadh Abdelkefi acquiesce, mais garde la priorité sur le présent. "La fin du thermique n'est pas pour tout de suite, rappelle le directeur général de Solaufil France. Nous devons continuer d'investir pour répondre aux besoins actuels de nos clients, avoir de bonnes machines pour produire. À l'horizon 2035, certains vont se désengager de certains marchés, et nous serons là pour prendre la place." Une place que MGA ne compte pas céder.
Yvon Granier le répète : "Je ne crois pas au tout-électrique. Il faut composer avec les besoins de mobilité de tout le monde. Si on trouve un consensus avec des véhicules roulant aux carburants de synthèse, il y aura encore des filtres à huile et à carburant." Qui vivra verra…
Le filtre à huile domine toujours
Ce n'est pas celui dont on parle le plus, mais il reste majoritaire. Le filtre à huile représente la moitié des ventes de filtres des équipementiers. "Le filtre à huile a encore de belles années devant lui sur le marché de la rechange", assure Pierre-Henri Tinet. Pas question donc pour les fabricants de réduire leurs capacités de production pour ce produit, afin de couvrir le parc le plus largement possible. "La fréquence de la vidange peut s'allonger, mais elle reste une prestation incontournable qui représente les plus grosses entrées en atelier, confirme Julien Volpi. Cependant, si le parc électrifié atteint les 20 %, le marché du filtre à huile baissera côté VL."
Si ses volumes ne s'écroulent pas encore, la part du filtre à huile dans les ventes des équipementiers diminue à mesure que celle du filtre d'habitacle croît. Ce qui ne l'empêche pas de connaître, lui aussi, des progrès technologiques. "Nous allons vers des filtres plus écologiques, sans acier ni colle, aucune substance chimique", avance Riadh Abdelkefi. Côté carburant, le filtre à gazole devrait souffrir plus rapidement que le filtre à essence. "En dix ans, le nombre de véhicules diesel a baissé de 2 % et celui des véhicules essence a augmenté de 16 %, analyse Camille Debomy. Sur le marché, cela se traduit par une légère baisse des ventes de filtres diesel au profit des filtres essence."
Du filtre à moindre coût
"Le premium continue de régner", affirme Julien Volpi. Mais si sa marque Mann-Filter reste majoritaire, l'équipementier met en avant sa gamme Wix depuis quelques mois. "C'est une gamme alternative qui gagne en notoriété, résume Julien Volpi. Les besoins de nos clients peuvent varier selon l'âge du véhicule et le pouvoir d'achat du consommateur, qui n'a peut-être pas envie de trop investir." Un vieillissement du parc qui fait la part belle aux MDD. Elles représentent la moitié du chiffre d'affaires de Solaufil.
Qu'on aime ou pas, elles progressent. Nous fabriquons de la MDD de même qualité que nos marques propres [Mecafilter, Misfat et Lucas, ndlr]. Ce ne sont que les circuits de distribution qui changents'exclame le directeur général, Riadh Abdelkefi.
Néanmoins, la valeur du filtre étant plus faible que d'autres pièces, la concurrence des MDD pour les marques premium apparaît moins féroce que sur d'autres familles. "De plus, les réparateurs comprennent que le filtre a une incidence sur la performance et la longévité de la motorisation, et ils choisissent le premium avant tout", ajoute Pierre-Henri Tinet.
Du côté de chez UFI Filters, Giuseppe Cofano met en garde contre les dérives : "L'introduction sur le marché européen de produits très bon marché de faible qualité ou de contrefaçons est une menace. En 2023, nous renforçons nos mesures de lutte contre la contrefaçon sur l'ensemble du réseau mondial d'Internet, y compris les médias sociaux."