Guy-Olivier Ducamp (Renault) : "Notre rôle n’est pas de devenir le champion de l’IAM"
Renault vient de dévoiler ses ambitions sur le marché de la rechange indépendante avec Motrio. Pourquoi avoir temporisé ces dernières années avant de mettre en œuvre cette feuille de route ?
Guy-Olivier Ducamp : Avant toute chose, il faut préciser que cette feuille de route avait été lancée bien avant mon arrivée, et elle a été finalisée une fois que j’ai pris mes fonctions. En arrivant au sein du groupe, il me semblait important de ne surtout pas faire de promesses que nous ne pourrions pas tenir. Une opération de communication sans effet derrière, ça n’a pas de sens. C’est la raison pour laquelle nous avons pris notre temps pour présenter notre stratégie. L’ouverture de la gamme Motrio à du "all makes" [toutes marques, ndlr] a été officialisée 15 jours après le lancement des nouveaux produits. Avant de révéler cette feuille de route, il était important de proposer ces nouvelles gammes et d’annoncer des échéances tangibles. Nous avions une obligation de résultat. Raconter cette histoire il y a un an aurait été d’autant plus difficile que le Covid-19 a changé beaucoup de choses en accélérant la digitalisation du marché. Ce qui a nous a conduit à renforcer ce dispositif dans notre stratégie. Mais, pour en revenir à votre question, il fallait du concret. C’est exactement ce que nous avons observé lors des étapes d’Equip Auto On Tour : les visiteurs se sont présentés à notre stand en demandant les nouveaux produits Motrio, que nous pouvions justement leur présenter. Et les prochaines sorties sont déjà actées : le catalogue électronique Parts-IO sera disponible le 2 janvier 2022, les pneumatiques Motrio seront commercialisés le 2 février, etc.
Vous envisagez, pour 2025, de quadrupler l’offre de pièces Motrio pour atteindre les 30 000 références, contre 7 500 actuellement. À terme, souhaitez-vous également quadrupler le chiffre d’affaires pièces avec la marque Motrio ?
Notre ambition première, c’est de travailler sur l’offre pour couvrir 80 % du parc roulant. À l’échelle du marché européen, ça représente 22 000 produits. Selon les pays, nous voulons adapter cette offre aux spécificités de chaque marché. En Italie, la gamme de pièces pour les véhicules Fiat sera donc plus importante. Idem pour les marques françaises dans l’Hexagone. Mais il est difficile de s’aventurer sur le chiffre d’affaires attendu, puisque la valeur d’un produit à l’autre n’est évidemment pas la même.
Quelle réflexion vous a conduit à revoir la grille tarifaire de la gamme ?
Initialement, l’offre Motrio était calée sur les prix des produits d’origine. Son positionnement pouvait donc être difficile. La pièce Motrio ne correspondait pas à un "persona" [client fictif représentant un groupe cible, ndlr], elle était surtout commercialisée selon une logique opportuniste. Pour élargir l’offre, nous avons donc développé le "persona" d’un client propriétaire d’un véhicule âgé de plus de 6 ans, avec un certain revenu et à la recherche d’une solution économique. Pour vendre à ce client, nous avons défini une gamme de pricing pour être en phase avec ses attentes. Or le pricing basé sur l’IAM n’est pas identique à celui fondé sur l’OE : la différence peut être importante. Dans la gamme Motrio, entre le produit le moins et le plus cher, il y avait un gap de 30 % de positionnement. Aujourd’hui, nous sommes à 80 % de l’IAM. Nous avons fait sauter la barrière du prix parce que nous visons désormais un client. L’approche n’est plus la même.
C’est l’avantage de faire partie d’une business unit distincte : nous pouvons nous affranchir des contraintes du constructeur pour nous baser sur le marché de référence, c’est-à-dire l’IAM.
Comment va s’intégrer Motrio aux côtés du catalogue de pièces Renault et des marques d’équipementiers ?
La segmentation existe déjà avec une approche tier 1, tier 2 et tier 3. L’idée est de proposer une offre complète à nos réparateurs avec des propositions adaptées à chaque "persona". Ce n’est finalement pas très différent de ce que nous pouvons trouver dans la grande distribution : pour ses pâtes, par exemple, les consommateurs bénéficient de niveaux de prix adaptés à chaque besoin. Nous suivons la même logique avec nos différentes offres de pièces.
Que devient la marque Equation dans cette nouvelle stratégie IAM du groupe ?
La marque existe toujours et nous la conservons dans notre portefeuille, même si son positionnement ne nous semble pas nécessairement compatible avec nos clients actuels. C’est un chantier que nous mènerons plus tard.
Comment sera organisée, en France, la distribution de la gamme de pièces Motrio ?
À travers les R1. Ils ont la mission de développer le réseau ainsi que la gamme de produits. Cette approche sera toutefois différente selon les pays. Dans certains marchés, nous opterons pour des solutions hybrides, typées IAM, en nous rapprochant de spécialistes de la livraison du dernier kilomètre. Notre stratégie se veut pragmatique et nous adapterons notre solution logistique en fonction de l’intérêt de chaque marché. Mais la voie préférentielle, c’est clairement le R1, qui gère la relation de proximité avec le garage.
Comment seront alimentés vos R1 ? Souhaitez-vous renforcer votre maillage de plateformes logistiques ?
Nous pourrons nous appuyer sur plusieurs solutions complémentaires avec nos dépôts centraux et régionaux ainsi que les plateformes développées par des concessionnaires, telles que celle du groupe Bodemer. Mais nous ne voulons pas multiplier les points de chute : nous devons travailler de concert avec nos R1 pour constituer un maillage logistique national. Nous avons évidemment un objectif ambitieux pour chaque pays, mais l’idée est de consulter dans un premier temps nos investisseurs privés. Dans les pays où ces derniers ne seront pas moteurs, nous prendrons le relais. En France, par exemple, nous ne pourrons pas nous contenter de 10 plateformes.
Combien en faut-il alors en France ?
Un peu plus que 10… (rires). Avec le réseau Exadis, qui compte 7 plateformes logistiques, nous enregistrons d’excellents résultats, mais il reste encore quelques trous dans la raquette. Le réseau ne couvre qu’un tiers du marché national. Nous devons donc parfaire notre couverture régionale de façon pragmatique : le Cantal et la région marseillaise, ce n’est pas la même chose ! Nous voyons éclore de nouveaux modèles logistiques très intelligents dans la grande distribution, dont nous pourrions nous inspirer.
Comment les réseaux primaire et secondaire du groupe ont-ils accueilli ce nouveau plan pour Motrio ?
Nous leur avons présenté nos projets, sans entrer dans le détail, et nous avons senti beaucoup d’enthousiasme de leur part. Beaucoup de membres du groupement des concessionnaires Renault ont, par exemple, manifesté le souhait de développer le concept Motrio City. Ils ont très envie d’être moteurs dans ces différents projets.
Le réseau Motrio compte 850 garages en France : quel est votre objectif de maillage à terme ?
Avec un réseau de 850 à 1 000 garages, ce qui constitue notre objectif à terme en France, nous disposerons d’un maillage amplement suffisant pour couvrir le territoire. Mais le problème est tout autre et il faut, une nouvelle fois, repartir du client. Nous devons avoir des points de vente localisés à proximité de nos clients. Il ne faut pas s’arrêter à ce maillage en France au risque de nous couper d’une partie des automobilistes. D’où l’idée de nous tourner vers des solutions alternatives avec Motrio Mobile et Motrio City.
Pouvez-vous nous présenter plus précisément ces nouveaux concepts, qui seront déployés dès 2022 ?
En France, nous privilégierons plutôt Motrio City, c’est-à-dire des ateliers avec une baie situés dans des zones urbaines. Avec ce concept, nous serons plus à même de nous implanter dans les territoires avec une forte population et une importante densité de véhicules, où nous sommes aujourd’hui absents. Comme pour Motrio Mobile, nous proposerons avec Motrio City une franchise clé en main. C’est un modèle tout compris : en contrepartie d’une redevance mensuelle, le franchisé bénéficiera d’un package complet comprenant la mise à disposition des matériels et son entretien. Nous avons déjà quelques candidats pour Motrio Mobile en Angleterre et aussi pour le concept City en France, ce qui est très encourageant.
Quel sera le montant de ces redevances pour ces franchises ?
Ce sujet est en cours de finalisation, je ne peux donc pas encore communiquer d’informations précises.
Les modalités d’adhésion au réseau Motrio vont-elles changer ?
La charte qualité Motrio va effectivement évoluer. Nous allons la moderniser pour y intégrer des besoins d’équipements, en particulier l’outillage diagnostic. Les garages Motrio, en raison de leur multimarquisme, se doivent d’avoir des outils de diagnostic performants pour mener à bien leurs interventions. Le plan de formation va, lui aussi, évoluer. Nous devons accompagner les centres Motrio dans cette transformation. En France, c’est un travail qui a déjà été très largement mené, mais il faut poursuivre nos actions au niveau européen.
Un mot sur l’activité carrosserie : quelles sont vos ambitions sur ce marché ?
Nous avons la chance de bénéficier, au sein du groupe, d’un vrai savoir-faire dans le domaine de la carrosserie avec Ixell. Nous avons les produits, la technicité et l’expérience : ce serait dommage de ne pas en profiter ! Nous travaillons donc sur des passerelles avec Motrio avec, par exemple, des offres packagées autour du smart repair et de la calibration d’Adas.
Le smart repair, c’est impossible de ne pas y penser : c’est une activité avec du potentiel qui représente un levier de croissance non négligeable.
Quel regard portez-vous sur ce marché de la rechange indépendante qui s’est fortement consolidé ces dernières années ? Quel rôle pourrait y jouer le groupe Renault avec Motrio ?
La consolidation n’est pas terminée, selon moi. Je suis dans l’IAM depuis 25 ans et ça fait 25 ans que le marché se consolide ! Si, en France, ce mouvement semble se ralentir, en Espagne, la situation est tout autre. Dans ce marché, le niveau de services est devenu tel qu’un distributeur doit livrer ses produits en 20 minutes… De facto, il y aura encore des opérations de consolidation dans les années à venir. Chacun doit trouver sa place dans cet environnement.
De notre côté, notre rôle n’est pas de devenir le champion de l’IAM. Nous nous sommes fixé pour unique ambition de servir nos clients en coopération avec ces mastodontes du marché. Mais, oui, l’évolution du marché n’est pas terminée et sa mutation ne fait que commencer. Et je pense que ces mouvements ne passeront pas nécessairement par des opérations de croissance externe. D’autant que certaines acquisitions ont donné lieu à d’importantes gabegies, à l’image du groupe Fintyre en Italie. Des cooptations et coopérations sont parfaitement envisageables dans ce secteur.
Nous ne voulons pas devenir le nouveau LKQ, ce n’est pas notre job.
Quels sont les partenaires avec lesquels vous pourriez vous rapprocher en France ?
Plusieurs pistes sont envisagées, en France et à l’étranger… Nous sommes nombreux à constater que le marché a fortement évolué et que l’acquisition du client est devenue très chère. Certains investissements sont devenus très importants, en particulier dans le digital où le ticket d’entrée est très élevé.
Un partenariat entre Norauto et Motrio est-il envisageable, par exemple ?
Nous passons déjà beaucoup de temps ensemble, puisque les groupes Mobivia et Renault sont co-actionnaires d’Exadis (rires) ! Je ne suis pas sûr qu’il y ait des frontières entre ces deux réseaux. Il y a plusieurs partenaires aujourd’hui sur le marché avec lesquels nous pourrions trouver des synergies. Je crois beaucoup aux alliances.
Le groupe Renault a été un acteur important de ce mouvement de consolidation ces dernières années. De nouvelles opérations de croissance externes sont-elles envisageables ?
Notre métier, aujourd’hui, n’est pas d’être un distributeur "physique". Nous n’avons pas la volonté de détenir des magasins. Et le retour sur investissement est tellement long… Je pense que nous ne devons pas nous disperser. En revanche, nous avons peut-être certains manques en termes d’assets (actifs, ndlr) digitaux. Nous devons travailler sur le sujet et rester en veille dans ce domaine où les choses vont très vite.