Hélène et Catherine Ho Hio Hen : "Notre éloignement nous oblige à être réactifs"
Pouvez-vous nous retracer l'histoire du groupe Ho Hio Hen ?
Hélène Ho Hio Hen : Les débuts du groupe remontent à nos grands-parents. Originaire de Canton, en Chine, notre grand-père a quitté son pays dans les années 30 pour rejoindre la Martinique, après avoir transité par Marseille et la Guyane. La région comptait alors quelques familles chinoises. Notre grand-père s'y est installé et a commencé à travailler dans plusieurs commerces, avant de faire venir notre grand-mère. La famille s'est agrandie et a ouvert, tout d'abord, une petite épicerie à Fort-de-France. De fil en aiguille, le commerce a pris de l'ampleur et des grandes surfaces ont alors vu le jour. Notre famille s'est parfaitement intégrée au tissu local martiniquais et notre génération, qui est donc la troisième parmi les Ho Hio Hen, se considère aujourd'hui pleinement martiniquaise.
Comment ont démarré les activités automobiles au sein du groupe ?
Catherine Ho Hio Hen : Avec notre père, Jean, lorsqu'il a acheté un premier enjoliveur avant de le revendre à un taxi. C'était le début de l'activité automobile ! Petit à petit, le commerce a pris de l'importance et, fin 1972, notre père et quelques-uns de ses frères et sœurs ont créé Ho Hio Hen SA.
En 2009, ils nous ont passé le flambeau en nous confiant la présidence et la direction générale de la société, et à cette occasion, le nom Ho Hio Hen Automobile est né. La société se concentre aujourd'hui sur la distribution de pièces automobiles. Nous avons détenu quelques centres Speedy par le passé, mais ce n'est plus le cas.
Nous sommes désormais "piéçards" et uniquement "piéçards" !
Le groupe propose aussi de la peinture et de l'outillage. Avec la hausse des demandes techniques exprimées par nos clients, nous avons aussi structuré un panel de services plus étoffé. En 2007, nous avons rejoint le groupement Groupauto. Historiquement, notre stratégie nous a toujours conduits à travailler avec les plus grands équipementiers mondiaux. Les fabricants d'origine doivent faire partie de notre panel de fournisseurs. C'est pourquoi, en 2007 également, nous avons noué un partenariat avec Bosch pour distribuer les produits du groupe sur nos différents territoires.
Ces deux accords nous ont d'ailleurs aidés à développer des réseaux de réparateurs avec les enseignes Top Garage, Top Carrosserie, Garage Premier et Bosch Car Service. Quant à notre catalogue, il compte désormais plus de 40 000 références. En 2022, notre éventail de services s'est encore élargi avec le lancement de la distribution de pièces de carrosserie. Pour 2023, nous poursuivrons notre développement en attaquant le marché du poids lourd (VUL, camions, bus, cars, remorques, etc.).
Combien de points de vente comptez-vous, et dans quels territoires êtes-vous implantés ?
Catherine : L'aventure a donc commencé en Martinique. Avec ce savoir-faire acquis au fil des années, nous nous sommes installés progressivement dans de nouveaux territoires. Il y a vingt-deux ans, nous avons pris pied en Guadeloupe avec le rachat de la société Marimax. Deux ans plus tard, nous nous sommes établis en Guyane avec l'ouverture d'une nouvelle entité, sous enseigne Ho Hio Hen Automobile.
En 2012, nous avons traversé l'océan Indien pour ouvrir une structure à La Réunion et, l'année suivante, une autre à Mayotte. Notre dernière expansion géographique remonte à 2021 avec notre installation en Côte d'Ivoire.
Au total, le groupe compte aujourd'hui 22 points de vente implantés dans 6 pays.
Votre arrivée sur le continent africain s'inscrit-elle dans le cadre d'une stratégie de développement géographique, ou répond-elle à une opportunité ?
Catherine : Les deux à la fois. Nous nous sommes installés en Côte d'Ivoire dans le cadre d'un accord avec des partenaires locaux, que nous connaissons depuis très longtemps. C'est un projet que nous avons donc mûri, et nous nous sommes laissés le temps de mettre en œuvre cette initiative.
Hélène : Le temps nous dira si nous avons eu raison, mais nous avons une vraie volonté stratégique d'étendre nos activités sur ce nouveau marché. Aujourd'hui, nous comptons deux points de vente à Abidjan, et nous prévoyons d'ouvrir deux nouveaux magasins en 2023 et 2024 dans deux autres villes du pays. Nous espérons que la Côte d'Ivoire ne sera pas le seul marché africain du groupe, et avons comme souhait de continuer à nous implanter dans d'autres pays de la sous-région.
Ho Hio Hen Automobile fête ses 50 ans en 2023. Quelles animations ont été prévues ?
Catherine : Dans le cadre de la célébration de nos 50 ans, nous avons voulu remercier l'ensemble de nos publics : collaborateurs, fournisseurs, clients BtoC et BtoB, partenaires culturels et institutionnels. Plusieurs temps forts commerciaux et festifs ont été organisés, principalement du 9 janvier au 4 février, pour marquer ce bel âge.
Un plan de communication à 360° a été déployé via les grands médias, et nous avons bénéficié de relais presse et digitaux pour nos différentes opérations. Parmi elles, nous avons proposé des promotions inédites en magasins, des animations 3D à vivre depuis son smartphone, des lives sur les réseaux sociaux sponsorisés par des médias influents locaux, des événements musicaux sur le thème du carnaval, un grand jeu digital ouvert à tous pour remporter 1 an de loyer, 1 an d'assurance auto et bien d'autres cadeaux.
À cela, se sont ajoutées des animations dédiées aux collaborateurs HHH pour valoriser leurs talents individuels et leur esprit d'équipe. Le clou de ces opérations a été la venue d'une quinzaine de fournisseurs partenaires en Martinique lors de ces célébrations, pour interagir avec 200 professionnels conviés à notre événement BtoB. Il s'agissait d'une rencontre placée sous le signe des innovations produits.
Enfin, nous avons profité des festivités des 50 ans pour rappeler en fil rouge notre ancrage local et communiquer sur les valeurs qui nous animent au quotidien, ainsi que sur nos engagements sociétaux. Mais nous ne comptons pas nous arrêter là. Nous continuerons de communiquer et d'animer nos publics toute l'année, en vue de leur faire vivre une expérience client innovante et différenciante.
Quelles sont les spécificités des marchés des Drom-Com ? À quelle concurrence faites-vous face dans vos territoires ?
Hélène Ho Hio Hen : Notre métier reste fondamentalement le même que celui de nos confrères de la métropole. À leur image, notre modèle a également évolué, en particulier dans le domaine de la livraison, même si nous n'avons pas été aussi loin que certaines régions qui livrent plusieurs fois dans la journée en H+. Autrement, nous faisons face à la même concurrence qu'eux : l'offre des constructeurs, l'offre digitale des principaux acteurs nationaux du web et, bien sûr, une offre de la rechange indépendante proposée par des distributeurs locaux.
La principale différence demeure l'éloignement géographique de nos sources d'approvisionnement. Ce qui a bien sûr un impact important sur notre stratégie d'achats. Un distributeur métropolitain n'a pas cette contrainte logistique, et il peut se dépanner en J+ ou H+ soit en direct auprès de l'entrepôt du fournisseur, soit sur une plateforme nationale ou régionale.
Les délais moyens d'acheminement de nos marchandises se chiffrent en semaines.
Vous imaginez donc notre problématique logistique, qui se traduit par une nécessité de couverture de stock de plusieurs mois, au moins quatre en général. Notre métier est avant tout un métier de stockiste.
Subissez-vous la concurrence d'acteurs étrangers sur vos marchés ? Celle de distributeurs américains, par exemple, aux Antilles ?
Hélène : Pas du tout, car les parcs automobiles sont très différents aux Antilles et aux États-Unis. Dans les Drom, les parcs sont très proches de celui de la métropole, avec une part de marché des marques asiatiques et allemandes plus importante chez nous, et un âge moyen moins élevé, autour de 7 ans.
L'accès à certaines gammes de produits s'est complexifié pour les distributeurs, en particulier depuis deux ans et l'érosion des taux de service chez les équipementiers. Cette situation s'est doublée, depuis l'an dernier, d'une hausse généralisée des prix. Comment optimisez-vous votre gestion de stock dans ce contexte ?
Hélène : Vous avez tout à fait raison, ces dernières années n'ont pas été faciles pour nos approvisionneurs et nos gestionnaires de stock. Nous faisons face aux mêmes hausses tarifaires dans les Drom-Com. Nous sommes encore plus touchés que nos confrères de la métropole par cette tendance inflationniste, compte tenu de la hausse des coûts inhérents à l'acheminement de nos marchandises par voie maritime ou aérienne. Nous n'avions pas été habitués à ces augmentations, mais nous ne pouvons que les subir. Pour certaines gammes de produits, nous n'avons d'ailleurs pas pu les répercuter sur nos clients, ce qui a eu pour effet d'impacter négativement notre marge.
En ce qui concerne les difficultés d'approvisionnement, nous avons appris à être résilients, notre éloignement géographique nous obligeant depuis toujours à être réactifs face aux ruptures de certains de nos fournisseurs.
Forts de ce constat, la stratégie de mono-fournisseur par famille de produits n'existe pas chez nous.
La diversification de notre panel de fournisseurs ainsi que notre choix d'exercer un véritable métier de stockiste nous permettent de faire face, plus ou moins bien, à cette situation. Même si, pour certaines familles de produits, et je pense notamment aux pièces moteur, nous n'avons pas eu d'autre choix que de subir ces ruptures.
Comment pilotez-vous votre approvisionnement sur vos territoires, éloignés pour certains de plusieurs milliers de kilomètres ?
Hélène : Le service approvisionnement est géré depuis notre siège, en Martinique, qui réalise les commandes pour nos différents territoires. Ces commandes sont, ensuite, bien identifiées par nos fournisseurs qui livrent nos transitaires avant que la marchandise soit dispatchée sur chacun de nos marchés, via des containers partant du Havre. Dans chacun de nos territoires, nous comptons un magasin plus important que les autres. C'est en quelque sorte un hub logistique qui centralise le stock et dessert les autres points de vente locaux.
Un mouvement de concentration est à l'œuvre depuis de nombreuses années en Europe. Êtes-vous confrontés au même contexte de marché dans les Antilles ?
Hélène : La concentration qui s'opère sur les marchés européens est aussi perceptible chez nous, avec des acteurs régionaux présents sur l'ensemble des territoires sur lesquels nous opérons : Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion et Mayotte.
Visez-vous un développement par croissance externe ?
Catherine : Notre principal objectif est de renforcer nos positions sur les territoires où nous sommes déjà présents. Donc, notre priorité est plutôt donnée à de la croissance organique. Nous restons, cependant, attentifs et ouverts aux différentes opportunités de croissance externe qui pourraient se présenter.
Avez-vous déjà envisagé de prendre pied en métropole ?
Hélène : La réponse est très simple : non. Nous pensons qu'il s'agit d'une autre façon de faire du business. Nous n'aurions aucune plus-value ou aucun élément différenciant à apporter qui nous laisserait supposer que nous ferions mieux que les acteurs déjà présents en métropole. Cependant, si une opportunité de partenariat avec un distributeur en métropole se présentait, nous pourrions l'étudier.
Vous êtes un membre historique du réseau Groupauto. Quel regard portez-vous sur l'évolution du groupement et sa maison mère, Alliance Automotive ?
Hélène : Notre adhésion à Groupauto date de 2007. À l'époque, notre intention première était de bénéficier du savoir-faire du groupement pour développer et fidéliser un réseau de garages. Aujourd'hui, à l'heure de nos 50 ans, nous avons une cinquantaine de clients réseaux répartis sur nos différents territoires. Comme tous les autres adhérents du réseau, nous bénéficions des informations et des offres du groupement. Malgré notre éloignement, nos équipes et clients participent régulièrement aux différents événements qu'organise Groupauto.
Nous restons bien sûr attentifs à la stratégie qui y est développée, mais nous sommes avant tout un distributeur indépendant, adhérent à un réseau. Comme vous l'avez évoqué précédemment, la course à la taille critique à laquelle se livrent quelques acteurs majeurs en Europe est selon nous une nécessité stratégique et économique. Nous avons suivi de près l'arrivée de GPC, que nous connaissions bien grâce à notre proximité avec le marché nord-américain. Les Caraïbes comptent d'ailleurs beaucoup de magasins Napa.
La marque Napa est-elle commercialisée par vos points de vente ?
Hélène : Non, pas encore, mais c'est un projet que nous étudions… Même si notre stratégie produits s'est toujours fondée sur les marques premium, nous faisons également face à une demande de produits de qualité équivalente à des prix attractifs. Le pouvoir d'achat dans les Drom-Com étant inférieur à celui de la métropole – encore plus dans le contexte actuel –, nous avons besoin de ces deux offres pour répondre aux attentes du marché.
Dans une récente interview, vous avez déclaré que la moitié des effectifs de HHH Automobile étaient des femmes. Et plus étonnant, que les points de vente sont majoritairement dirigés par des femmes. Est-ce une fierté dans ce monde traditionnellement très masculin ?
Catherine : Pour être plus précise, notre comité de direction est composé à 67 % de femmes, et 42 % de nos cadres managers sont des femmes. Mais ceci n'est pas lié à une stratégie de recrutement spécifique, nous n'avons pas la volonté de privilégier des femmes aux postes de managers. C'est l'histoire du groupe et les opportunités qui ont conduit à cette situation. Nous cherchons avant tout des compétences et des talents. D'ailleurs, plus globalement, notre effectif reste majoritairement masculin.
Historiquement, nos métiers ont plus souvent attiré des hommes, même si la situation évolue progressivement.
Nous restons fiers de pouvoir compter sur l'expertise et les compétences de nos 290 collaborateurs, femmes comme hommes. Nous ne prônons pas un management au féminin, mais un management tout court. Nous exerçons un management de proximité qui se traduit par beaucoup d'écoute, à la fois participatif et persuasif : on veut embarquer et convaincre avant tout.
Hélène, vous faites aujourd'hui partie du conseil d'administration de la Feda. Quel rôle comptez-vous y jouer ?
Hélène : J'ai tout d'abord été très honorée qu'on me propose de prendre la relève de Catherine, qui souhaitait se concentrer sur l'organisation du groupe. Au sein de ce conseil d'administration, dont je suis la seule femme aujourd'hui, j'espère apporter une autre vision et une façon différente d'aborder certains sujets. Une touche de féminité dans un monde à prédominance masculine ne peut être que bénéfique, ne pensez-vous pas ? En tant que distributeur indépendant, siégeant à côté de membres des plus grands groupements européens, j'espère pouvoir faire entendre la voix, les problématiques, les interrogations et les besoins de tout distributeur de petite à moyenne taille. Les enjeux, vous l'imaginez bien, n'étant pas les mêmes.