La pollution des pneus encore pointée du doigt

Chaque trajet en voiture érode un peu plus la bande de roulement des pneus. Cette abrasion, invisible à l’œil nu, libère des milliards de micro et nanoparticules de caoutchouc. Selon une étude d’Agir pour l’Environnement, menée avec le laboratoire britannique Emissions Analytics (déjà auteur de plusieurs enquêtes sur le sujet), ces émissions représenteraient plus de 50 000 tonnes par an rien qu’en France.
Les chercheurs ont analysé les gommes "toutes saisons" de six grandes marques – Bridgestone, Continental, Goodyear, Hankook, Michelin et Pirelli. Résultat : chaque modèle contient entre 718 et 893 molécules chimiques distinctes, soit 1 954 molécules uniques au total. Deux tiers de ces composés sont organiques et donc susceptibles de se vaporiser ou de se disséminer sous forme de poussières fines.
Des substances préoccupantes
Parmi ces molécules, 785 présentent des risques sévères pour la santé et l’environnement. L’étude recense 112 substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), 85 potentiellement mortelles en cas d’ingestion ou d’inhalation, et 111 fortement toxiques pour les milieux aquatiques. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), connus pour leur fort potentiel cancérigène, constituent près de la moitié des composés organiques des pneus.
Parmi les substances citées figurent le benzène, le toluène et l’anthracène, tous classés dangereux selon le règlement européen CLP (Classification, Labelling and Packaging). Ces molécules peuvent provoquer des irritations cutanées, des atteintes neurologiques, voire des effets sur la fertilité.
"Les citoyennes et citoyens ont le droit de connaître la composition exacte des produits qu’ils achètent et avec lesquels ils s’empoisonnent", dénonce Oliver Charles, coordinateur des campagnes climat, énergie et transports d’Agir pour l’Environnement. "Il y a urgence à modifier la législation encadrant la fabrication et la commercialisation des pneus afin de limiter les risques pour les écosystèmes et les dangers sanitaires de ces molécules", ajoute Stéphen Kerckhove, directeur général de l’association.
L’industrie du pneu s’organise pour limiter son empreinte
Face aux alertes environnementales croissantes, l’industrie du pneumatique n’est pas restée les bras croisés. Sous l’impulsion du Tire Industry Project (TIP), une initiative internationale regroupant dix des plus grands fabricants de pneus au monde – parmi lesquels Bridgestone, Continental, Goodyear, Michelin et Pirelli –, la filière affiche des progrès tangibles dans sa transition durable.
Son dernier rapport de suivi met en avant des avancées mesurables entre 2021 et 2024 sur 16 indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance. Parmi les résultats les plus notables, les membres du TIP ont réduit de 26 % l’intensité carbone de leurs activités, atteignant leur niveau le plus bas depuis 2009.
Autre axe fort : la recherche scientifique. Entre 2021 et 2024, le nombre de publications soutenues par le TIP sur les particules d’usure de pneus a bondi de 75 %, tandis que leurs citations par la communauté scientifique progressaient de 175 %.
Enfin, ajoutons que le règlement Euro 7, adopté en avril 2024, a marqué une avancée majeure sur ce sujet en introduisant pour la première fois le principe de fixation de seuils d'émissions pour les particules d'usure des pneumatiques.
Vers une réglementation européenne de la toxicité des pneus
Mais pour Agir pour l’Environnement, ces progrès demeurent insuffisants. À terme de son étude, l’association plaide donc plusieurs mesures.
Elle recommande notamment la création d’un étiquetage européen intégrant la toxicité "pour permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé" ainsi qu’un bonus/malus intégré à cet indicateur. Autre recommandation : l’instauration d’une autorisation de mise sur le marché conditionnée à la dangerosité des molécules.
"Une telle mesure inciterait les fabricants à substituer les additifs dangereux, tout en garantissant aux consommateurs des produits conformes à des critères sanitaires et environnementaux stricts", estime Agir pour l’Environnement.
	