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Equipementiers

TRIBUNE : l’impact du Covid-19 sur le marché de la rechange

Publié le 19 mars 2020
Par Mohamed Aredjal
5 min de lecture
Ex-directeur général de Hella China et président du China Aftermarket Forum de l'AASA, Philippe Thegner livre son analyse des conséquences du Covid-19 sur l’après-vente chinois. Son témoignage met en lumière les enjeux auxquels devront aussi faire face les acteurs du marché européen.
Philippe Thegner, président du China Aftermarket Forum de l'AASA (American Auto Supplier Association), principale association des fournisseurs de l’aftermarket aux Etats-Unis.

La Chine produit environ 40 milliards de dollars de pièces automobiles pour l'OEM et la seconde monte. En dépit du récent ralentissement, il s'agit toujours du premier marché automobile au monde et la Chine contribuera à 50 % de la croissance du marché mondial de la rechange jusqu'en 2030, avec l’augmentation et le vieillissement du parc roulant.

Ainsi, l'épidémie de Covid-19 n’est pas seulement responsable d’un problème d’approvisionnement pour le marché de l’aftermarket mondial, elle a également un impact significatif sur la performance globale des ventes de la plupart des fournisseurs à ce jour.

Rappel des faits

En 2020, le nouvel an chinois a eu lieu fin janvier. Compte tenu du fait que la plupart des ventes aftermarket en Chine ont traditionnellement lieu lors de la dernière semaine du mois, janvier a été budgétisé avec des ventes inférieures à la moyenne de l'année, février et mars devant rattraper ce retard.

En effet, le nouvel an chinois implique généralement 2 à 3 semaines d'interruption des activités de production et de distribution de pièces en raison de la fermeture des sites logistiques pendant ces congés et du fait que les ouvriers migrants prennent plus de temps pour retourner au travail depuis leur ville d'origine. C'est une situation bien connue du secteur et de nombreux acteurs l’anticipent en adaptant leur production et leur stock en conséquence.

Le gouvernement chinois a placé Wuhan en quarantaine effective le 23 janvier avec une suspension des liaisons aériennes et ferroviaires.

Le 30 janvier 2020, l'OMS décrète l'urgence internationale alors que le nombre de décès en Chine est passé à 170, avec 7711 personnes infectées signalées dans le pays, et que le virus s'est propagé dans les 31 provinces. Dès lors, de nombreuses mesures de restriction de circulation et de fermetures sont adoptées localement. Une majorité de la population reste confinée, se faisant livrer leur alimentation en passant commande en ligne.

La deuxième semaine de février, les entreprises en dehors de la province de Hubei rouvrent avec une progression de l’activité très variable selon leur localisation et leur chaîne d'approvisionnement. Les cols blancs sont invités à travailler à domicile et les déplacements professionnels réduits au minimum. La reprise industrielle reste perturbée en raison des nombreux ouvriers bloqués dans leur ville d’origine et / ou d’un problème d’approvisionnement lié à un fournisseur situé au Hubei. Quel que soit le produit fabriqué, les livraisons à l'étranger ou locales représentent un véritable défi en raison d’un transport limité. Malgré la reprise progressive, le gouvernement a fait de la lutte contre le virus une priorité, ce qui implique de nouveaux arrêts pour les usines avec des salariés infectés qui ont rouvert ou un placement en quarantaine pour les ouvriers de retour à leur poste.

Le 10 mars, le président chinois Xi Jinping fait une tournée à Wuhan et estime que l’épidémie est en passe d’être jugulée, annonçant un fort soutien à la reprise économique. Cette situation est symbolisée par la réouverture de l'usine Honda à Wuhan le 11 mars.

Mi-mars, nous estimons que la Chine a retrouvé une situation normale à 80 % sur l’ensemble du territoire, en dehors du Hubei. L’activité e-commerce repart de l’avant alors que l’épidémie est sous contrôle. L'application AutoNavi (éditeur chinois spécialisé dans la cartographie numérique, ndlr) enregistre une augmentation de 30 % du trafic dans les quartiers commerçants entre le 15/16 février et le 14/15 mars 2020.

Conséquences sur le marché chinois 

Deux mois environ de paralysie ont porté un coup dur à l'économie chinoise, les ventes au détail ayant baissé de 20,5 % entre janvier et février 2020. Le virus s'est toutefois avéré être une aubaine pour le secteur du e-commerce puisque les clients assignés à résidence ont augmenté leurs achats en ligne. La nouvelle plate-forme de vente au détail "Fresh Hema" du groupe Alibaba a enregistré une croissance de 220 % en glissement annuel.

Avec des consommateurs contraints de rester à domicile, les ventes de voitures neuves en Chine ont chuté de 80 % en février et de 18,7 % en janvier par rapport à l'année dernière. De plus, le kilométrage parcouru au cours de cette période a sensiblement diminué. Avec ce trafic réduit, l’activité carrosserie a été très limitée tandis que beaucoup d’automobilistes ont préféré reporter l’entretien ou le lavage de leur véhicule. Un grand nombre d'ateliers ont d’ailleurs rouvert tardivement pour éviter une contamination de leurs employés ou simplement en raison d’un manque de clients ou de l’absence de personnel.

Dans ce contexte, un fournisseur de pièces de rechange a enregistré une baisse significative de ses ventes en février comprise entre 50 et 80 % par rapport à ses prévisions. Du 20 février au 2 mars 2020, l’association AASA China Aftermarket, qui fédère les équipementiers basés en Chine, a mené une enquête sur le coronavirus et son impact sur les entreprises opérant sur le marché de l’après-vente local.

Menée auprès de 24 équipementiers, cette étude révèle que les fournisseurs tablent sur un recul de 28 % des leurs ventes par rapport à l’an dernier. Se montrant prudents sur une éventuelle reprise, 55 % des sondés prévoient que les ventes au T2 seront inférieures à celles de l'année dernière et 22% ne s'attendent qu'à une croissance en glissement annuel. Dans l'ensemble, les équipementiers prévoient une baisse moyenne de 8 à 10 % des ventes en 2020 en raison du Covid-19.

Tendances émergeant avec la crise du Covid-19 

Avec des véhicules contraints de stationner pendant une si longue période, nous nous attendons à une forte demande de vidange et de remplacement de batterie. La santé étant devenue une priorité pour tous, plusieurs plates-formes "online-to-offline" (O2O) ont lancé un forfait changement d'huile, de batterie, ou de filtre avec un assainissement de l'habitacle ou un spray désinfectant pour attirer les clients.

Avec un business e-commerce en plein essor et des automobilistes ne pouvant plus se rendre chez leur réparateur, il était légitime de s’attendre à une croissance du do-it (très faible en Chine). Ce n’est pas nécessairement le cas : le client a appris à cuisiner pendant son confinement mais pas à changer l'huile de sa voiture.

L'enquête AASA China Aftermarket Forum révèle que la formation en ligne s’est considérablement généralisée pendant cette période. C’est une pratique qui devrait se maintenir auprès des fournisseurs pour former leurs équipes ainsi que leurs clients, distributeurs et réparateurs. En Chine, l’utilisation des applications Alibaba / WeChat / Zoom pour les réunions en visioconférence ou opérations CRM a considérablement augmenté ces deux derniers mois.

Le marché de l’après-vente chinois restant extrêmement fragmenté? Cependant, le contexte actuel très compliqué va peser sur les sociétés aux trésoreries limitées : le Covid-19 devrait donc accélérer la concentration du marché.

Les acteurs du web O2O devraient voir leurs positions renforcées en raison de leur croissance pendant cette crise. Ces opérateurs pourraient jouer un rôle moteur dans la phase de consolidation.

Conclusions

L’aftermarket chinois a été confronté à un enjeu majeur avec la crise du Covid-19 et la reprise nécessitera du temps.

La Chine n’en reste pas moins le moteur de la croissance mondiale du marché de la rechange, même si ses ventes de VN baissent. Son parc roulant va encore considérablement augmenter et vieillir, entrant dans l'âge d'or de l’activité après-vente.

Les médias online et O2O seront renforcés, aussi bien dans les domaines commercial que dans le CRM ou encore la formation.

En termes de sourcing, avant d'abandonner les fournisseurs chinois, alors que la crise se mondialise, je recommande d'évaluer soigneusement les business cases (analyses de rentabilisation, ndlr) et de ne pas sous-estimer la capacité des équipementiers locaux à développer une offre compétitive et attractive pour le marché secondaire comme l'ont fait les fournisseurs OEM chinois pour l'OE.

 

Président du China Aftermarket Forum de l'AASA, Philippe Thegner dispose de plus de 20 ans d'expérience dans l'industrie automobile et le conseil qui lui ont apporté une importante expertise du marché après-vente, de la gestion des pertes et profits, du développement produit et commercial ou encore du sourcing global. Fort d'une riche expérience internationale, il possède une solide connaissence des marchés nord-américains, européens, asiatiques et, en particulier, chinois. Outre sa carrière de cadre, Philippe Thegner est consultant pour la société de conseil Automobility Ltd.

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