Turbos : la stratégie du bon sens
Distributeurs comme équipementiers l’assurent : après un léger repli du marché en 2020, en raison d’un premier semestre impacté par la crise du Covid, le turbo a repris des couleurs en 2021. Les ventes de cette gamme de produits ont même retrouvé un niveau parfois supérieur à celui de la période prépandémie, offrant même à certains acteurs une croissance à deux chiffres. Concrètement, pour Romain Perrier, directeur des ventes monde IAM de Garrett Motion : "En moyenne, un garage remplace cinq à six turbos par an. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’évolution du marché. Globalement, la pénétration du turbo dans le monde continue de progresser fortement, ce qui est moins le cas en Europe de l’Ouest. […] Ensuite la fiabilité des turbos neufs est en constante progression. Le marché est donc pour la France en légère croissance pour les années à venir". Le fournisseur Végé France constate, de son côté, une évolution globale, depuis 10 ans. Selon Éric Coquet, son directeur général, le marché progresserait ainsi de "de 10 à 20 % par an".
Une évolution constante qui suit logiquement le taux d’équipement du turbo en première monte. Soumis à des normes de dépollution de plus en plus drastiques, les constructeurs baissent pour la plupart la cylindrée de leurs véhicules thermiques pour être dans les clous et alimentent de fait leurs moteurs en turbo, y compris sur les modèles essence. Les perspectives de développement pour cette famille de produits restent donc prometteuses. "Nous nous attendons à ce que la demande de turbocompresseurs à essence continue de croître dans les années à venir", confirme Noureddine Saidi, directeur aftermarket de BorgWarner.
Cette essor des ventes aftermarket du turbo suscite évidemment de nombreuses convoitises. Face aux produits des équipementiers d’origine, plusieurs fournisseurs proposent désormais une offre alternative à la qualité variable et commercialisée sans consigne. "Il y a d’un côté, les fabricants ancrés sur le marché depuis des générations (à l’instar de Borg et Garrett notamment) qui font appel à des distributeurs spécialisés comme nous sur la France et la Belgique. De l’autre, il y a des acteurs de plus en plus nombreux sur Internet, qui se disent experts du turbo, mais qui ne proposent en réalité que des produits neufs sur des top ventes facilement copiables", détaille Guillaume Denormandie, directeur produits et marketing chez MS Motorservice France.
Turbo neuf : les limites du sans consigne
En effet, il suffit d’un peu de curiosité pour s’en convaincre : les offres de turbos neufs sans consigne pullulent sur Internet. Pour Eric Coquet, il s’agit même d’une tendance de plus en plus forte : "C’est un fait : il y a une offre pléthorique d’équipementiers qui deviennent fournisseurs de turbos du jour au lendemain. Mais comme ils n’ont pas la technicité nécessaire pour faire de l’échange standard, les turbos sont achetés en Chine. En fait, dans ce cas-là, l’équipementier devient grossiste : il achète, il vend et basta ! Et entre temps, il prend des marges. Sur ces turbos-ci, dans la mesure où il n’existe aucune consigne, une fois vieux, ils ont tendance à disparaître dans la nature. Et puis in fine, ce sont des produits plus chers que l’échange standard".
S’il confie avoir été tenté, lui aussi, par ces produits sans consigne, le directeur de Végé France a finalement fait machine arrière, refusant de céder à ces sirènes éphémères pour privilégier une offre complète. « Je ne suis pas opportuniste, je préfère me battre sur la profondeur de gamme, ajoute-t-il. Aujourd’hui, le turbo est un marché d’opportunistes sur les pièces neuves. Ce phénomène a toujours existé, avec des qualités différentes, mais il s’est accru avec Internet. En revanche, je suis certain que cela n’est pas pérenne…"
En effet, une partie de ces acteurs disparaissent souvent aussi vite qu’ils sont apparus. Et ce pour trois raisons principales. La première est liée à la récente inflation des coûts de transport : l’envolée des prix des conteneurs a fait drastiquement baisser la marge réalisable sur ces produits… De plus, la complexification croissante des turbocompresseurs les rend de plus en plus difficiles à copier. "Le turbo est une technologie en évolution rapide qui n'a cessé de se développer à travers son histoire. Dès la fin des années 90, Garrett lançait la première vanne de décharge électrique pour un turbo, en 2011 le premier roulement à billes pour les turbos de voitures et en 2021 nous avons lancé le premier turbo électrique de l'industrie. Toutes ces avancées technologiques entrainent des améliorations significatives en matière d'économie de carburant et d'émissions ainsi qu'une augmentation des performances des moteurs essence et diesel", souligne Romain Perrier. Enfin, l’absence de consigne peut également constituer un frein pour ces fournisseurs alternatifs.
Et Romain Perrier d’insister : "Le turbo est une pièce complexe et qui est conçue pour un véhicule spécifique. La plupart des manufacturiers de rang 1 pratiquent pour leur remanufacturé original une consigne ou une surcharge pour récupérer l’ancien turbo. Choisir un turbo original neuf ou remanufacturé, c’est en effet la garantie d’avoir le meilleur produit développé pour votre véhicule, avec une performance jusqu’à 40 % supérieure, et jusqu’à 28 % d’émissions en moins et plus de 4 % d’économie de carburant. Si les fournisseurs de turbos copiés ne pratiquent pas de consigne, cela démontre bien que le produit proposé est un patchwork de pièces aux origines diverses. Il ne peut donc pas offrir les mêmes garanties et performances que le remanufacturé original".
Le turbo, porte-drapeau de l’économie circulaire
D’ailleurs, en France, c’est le turbo remanufacturé qui garde les faveurs du marché de la rechange en dépit de l’attractivité tarifaire de ces turbos neufs sans consigne. On estime ainsi à plus de 70 % la part de marché du "reman" pour cette famille de produits. Les raisons d’un tel succès ? Elles sont d’abord économiques puisqu’un turbocompresseur reconditionné dans les règles de l’art reste de 20 à 30 % moins cher qu’un produit neuf. Le remanufacturé répond, en outre, pleinement aux enjeux de l’économie circulaire auxquels fait face la filière. A l’heure où les politiques RSE fleurissent dans les entreprises, le "reman" s’impose logiquement dans les catalogues des principaux fabricants.
"La durabilité est un élément essentiel de la vision de BorgWarner pour un monde propre et économe en énergie. Fournir des solutions reman est un contributeur clé à ces objectifs. Lorsque l'on considère le cycle de vie du produit, la remise à neuf permet à une seule pièce d'avoir plus d'une vie et, dans de nombreux cas, plusieurs vies, ce qui se traduit par une économie considérable de matières premières. La remise à neuf des composants à base d'aluminium, de fer, d'acier et de nickel préserve les ressources naturelles du monde pour les générations futures. Et la réduction de la consommation d'énergie contribue positivement à l'amélioration de la qualité de l'air et à la réduction des gaz à effet de serre (GES). Grâce à notre programme de turbocompresseur reman, plus de 16 000 tonnes de fonte et 4 000 tonnes d'aluminium grâce à la réutilisation de 5 millions de turbines, de paliers et de carters de compresseur ont été économisés", confie Noureddine Saidi.
Même stratégie adoptée par MS Motorservice, qui récupère depuis de nombreuses années sa vieille matière (turbos et vannes EGR) et la rénove via sa filiale Intec. Pour promouvoir cette activité, le fournisseur vient d’ailleurs d’intégrer France Auto Reman, association française des remanufacturiers de l’automobile et du poids lourd, créée en juin 2021 afin de valoriser la pièce de réemploi. A cette fin, Guillaume Denormandie ne manque pas de rappeler que les produits ne se valent pas tous et qu’il convient de prêter attention à l’offre de services qui les accompagne : "Un turbo bien remanufacturé fait partie intégrante de l’économie circulaire. Mais attention aux produits neufs qui se positionnent au prix du "reman" et s’affranchissent de la consigne : il s’agit de faux "reman" qui viennent concurrencer le vrai. Pour nous, il est très difficile de lutter contre ces acteurs en termes de prix. Mais la différence, c’est que nous vendons tout ce qu’il y a derrière : les consignes, un véritable service après-vente… ".
Enfin, Garrett, qui dispose lui aussi d’une gamme "reman", estime que dans ce contexte, le turbo fait partie intégrante de ces produits porte-drapeaux de l’économie circulaire. "Pour nous l’amélioration des performances produits, l'optimisation de leur cycle de vie et la production responsable sont particulièrement importants pour le développement durable de l’entreprise et de l'industrie. Le turbo est une technologie de réduction des émissions. Les performances de nos produits évoluent en permanence pour répondre aux réglementations de plus en plus strictes et aux besoins de plus en plus sophistiqués de la mobilité d'aujourd'hui et de demain. En termes de cycle de vie du produit, par exemple, nos produits sont conçus conformément à la directive européenne "End of Life Vehicles", ce qui signifie que 95 % de notre matériel est recyclable et 99 % est valorisable. Nos équipes de recherche et développement continuent d'étudier toutes les opportunités d'augmenter le contenu recyclé dans nos produits sans compromettre les performances et la qualité", souligne Romain Perrier. Autrement dit, pour le turbo comme pour de nombreuses gammes de produits en aftermarket, le directeur des ventes monde IAM de Garrett Motion appelle à un choix de raison, guidé par le bon sens plus que par le portefeuille.