La ruée vers le superéthanol
C'est assurément le best-seller de ce début d'année dans les ateliers. Depuis quelques mois, ceux-ci sont pris d'assaut par des automobilistes qui veulent convertir leur véhicule à l'E85. "Nos ventes de boîtiers de conversion à l'E85 ont été multipliées par 7 en trois mois. Les clients sont prêts à tout pour s'y convertir. Le prix n'est même plus un frein", observe Anthony Ferro Milon, responsable du marché atelier de Norauto.
Un constat partagé par de nombreux réseaux proposant des kits de conversion. L'essor du marché est tel que les fabricants homologués peinent à répondre à la demande. À l'instar de FlexFuel Energy Development, dont les volumes de vente ont été multipliés par 10 en un an.
Fin 2021, nous avons d'abord passé le cap des 2 000 ventes par mois, puis des 3 000 et des 4 000. En mars, nous avons atteint le chiffre absolument incroyable de 16 000 boîtiers commandéstémoigne Jérôme Loubert, directeur développement Europe de FlexFuel.
Chez Biomotors, la dynamique est toute aussi forte. "En temps normal, nous expédions environ 1 000 boîtiers par mois. Mais avec la montée des prix du carburant, la demande a explosé en quelques mois, faisant passer le nombre de boîtiers expédiés à environ 8 000 par mois", constate Alexis Landrieu, directeur général de Biomotors.
Le boom des conversions au superéthanol s'explique effectivement par les économies réalisées grâce à ce carburant alternatif, vendu en moyenne 0,80 euro le litre en 2021, alors que le prix du SP95 a récemment dépassé la barre symbolique des 2 euros… Le coût moyen d'installation d'un kit homologué s'élevant à 1 000 euros, l'investissement peut être amorti en 16 à 24 mois, selon la distance parcourue et le modèle. Et ce, malgré la surconsommation qui est liée à l'usage de bioéthanol.
L'autre atout de l'E85 est sur le plan environnemental. Ainsi, il réduirait de 50 % en moyenne les émissions nettes de CO 2, et de 90 % les émissions de particules par rapport à l'essence fossile, d'après une étude suisse de 2017.
Des réseaux en cours de développement
Pas étonnant que les Français soient de plus en plus nombreux à se laisser séduire. Et cet engouement suscite chez les enseignes (centres autos, pneumaticiens, fast-fitters, MRA, etc.) la volonté de proposer cette prestation. Tous s'approvisionnent auprès des quatre fabricants de kits de conversion homologués : Biomotors, FlexFuel, Borel et eFlexFuel Technology. Les deux premières se disputent la place de leader. Leurs boîtiers ont été homologués pour équiper le plus grand nombre de catégories de véhicules (voir encadré), soit près de 9 modèles essence sur 10. L'enjeu pour les fournisseurs est de se reposer sur un réseau dense et qualifié d'installateurs.
"Les centres autos sont souvent présents dans les villes, tandis que les garages indépendants sont implantés à la fois dans les villes et les territoires un peu plus reculés", note Alexis Landrieu. Chez FlexFuel, qui s'appuie sur un réseau de 2 000 installateurs, ce maillage doit égaler le nombre de stations-service distribuant de l'E85. "70 % de nos partenaires sont des artisans, MRA indépendants, et des agents", indique de son côté Jérôme Loubert.
Il faut dire que la conversion à l'E85 représente, pour les ateliers, une prestation assez simple à mettre en place. Elle ne nécessite pas d'équipement important (outil diagnostic et tablette suffisent), tandis que la formation des techniciens est relativement courte. "Les installateurs passent une formation théorique et pratique de deux jours dans nos locaux. Une fois finie, elle doit être validée par un QCM. L'installateur est prêt à poser des systèmes de conversion dès sa sortie. Son habilitation est valable pour trois ans, au terme desquels un renouvellement doit être prévu", détaille Alexis Landrieu.
Le jeu en vaut d'autant plus la chandelle que le gisement de clients est appelé à croître. "Aujourd'hui, le marché s'homogénéise et de plus en plus d'automobilistes ayant une citadine la convertissent à l'E85. Chez Biomotors, les modèles les plus équipés en 2021 sont la Renault Clio, la Dacia Sandero et enfin la Citroën C3", indique Alexis Landrieu.
Les flottes, un enjeu de conquête
Si le grand public forme aujourd'hui une large partie de la clientèle des fournisseurs de kits, ces derniers veulent désormais séduire les flottes et professionnels. Aujourd'hui, ceux-ci constituent 15 à 20 % de l'activité de Biomotors, et environ 5 % des clients de Fluex-fuel. "Avant l'explosion de notre croissance, nous envisagions un développement des ventes dans les entreprises et les administrations. Depuis 2018, nous avons semé des graines avec certains loueurs et entreprises, que nous commençons à récolter", précise Jérôme Loubert.
Ce segment de marché est d'autant plus porteur qu'il représente une partie non négligeable du parc roulant. "À chaque fois, ce sont des déploiements de 100 ou 300 véhicules. Aujourd'hui, nous effectuons un test pour l'administration avec 30 véhicules convertis. À terme, cela pourrait représenter jusqu'à 5 000 véhicules équipés."
Reste une réticence à faire tomber : la crainte de perdre la garantie constructeur en cas de conversion à l'E85. En principe, pourtant, l'arrêté de 2017 encadrant cette activité est assez clair sur ce sujet. "Il faut distinguer garanties légale et commerciale. Sur les deux premières années, le constructeur peut considérer qu'elle est annulée, puisque le fabricant de boîtiers prend le relais si le problème rencontré est lié à la pose d'un kit. Mais si un véhicule présente une défaillance qui n'est pas liée à l'éthanol, c'est au constructeur de se charger des frais de réparation", rappelle Anthony Ferro Milon. Sur certaines pannes mécaniques, les constructeurs peuvent toutefois se montrer pointilleux. Une expertise devra alors établir les responsabilités de chacun.