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Centres autos

Quelle place pour les centres auto et les fast fitters dans la réparation de demain ?

Publié le 21 septembre 2015
Par La Rédaction
7 min de lecture
Face à des constructeurs qui font tout pour complexifier les interventions sur leurs véhicules, afin de les réserver à leurs seuls réseaux, et à des réparateurs indépendants qui s’organisent, s’équipent et se forment pour rester dans la course, quelle place reste-t-il à ceux qui constituaient jadis la “nouvelle distribution” ? Constituent-ils toujours une puissance à prendre en compte quand on parle de maintenance automobile moderne ?
Les enseignes jadis taxées de “nouvelle distribution”, montrent aujourd’hui combien elles se sont structurées depuis 30 ans, et ont déployé de fines stratégies pour rester dans la course sinon de la réparation automobile moderne, au moins de son entretien.

La rechange indépendante présente-t-elle les compétences et le matériel nécessaires pour poursuivre sa mission d’alternative au réseau constructeur, dans un proche avenir ? C’est la question que nous avons posée à plusieurs enseignes de centres-autos, spécialistes et fast-fitters, ces acteurs de la “nouvelle distribution” qui, depuis maintenant trente ans, se réinventent, anticipent et s’adaptent. Quitte à prendre à leur compte les bonnes recettes des réseaux constructeurs… N’en déplaise à ces derniers.

Souvenez-vous. En 2009 déjà, Renault et Feu Vert s’écharpaient par ondes interposées. L’un arguant : “Qui mieux que Renault peut entretenir votre Renault ?” L’autre répondant, non sans ironie : “C’est tellement rassurant de payer plus cher !” L’affaire avait même alors été portée en justice, Renault goûtant assez peu qu’on le décrédibilise en mettant en cause le prix de ses interventions en ateliers. Il faut dire que les réseaux constructeurs ont de quoi se montrer agacés. En effet, les dernières études parues sur le marché de l’aftermarket sont unanimes : le canal indépendant, notamment les centres-autos et fast-fitters, est en pleine croissance tandis que les réseaux constructeurs, eux, afficheraient plutôt un certain déclin.

En cause ? La conjoncture économique. Et le pouvoir d’achat des Français, qui cherchent désormais de manière systématique à faire des économies bien sûr. Mais la cause principale touche au vieillissement du parc automobile et à la forme du marché du véhicule d’occasion nécessitant, de fait, l’achat de pièces et d’accessoires automobiles souvent hors réseau constructeur. Or, si le marché de la réparation automobile affiche, lui, une baisse de 0,6 % en 2014 (d’après l’Autodistribution et I+C), les centres-autos enregistrent, dans le même temps, une hausse de leurs chiffres d’affaires de 1,8 %. Mais cette moisson miraculeuse pourra-t-elle encore durer, lorsque la télématique embarquée, les moteurs électriques et les hybrides gagneront davantage de terrain ? La “nouvelle distribution” a-t-elle toutes les cartes en main pour pratiquer toutes les interventions, de plus en plus complexes, que nécessitent les automobiles modernes ? Pour les constructeurs, qui clament haut et fort que, d’ici dix ans, le champ d’action du réseau indépendant va se rétrécir, la réponse est manifestement “non”.

Entre formation du personnel, équipement des points de vente, mise à disposition du matériel ou encore école propriétaire, service de R&D…, les centres-autos et fast-fitters s’organisent. Un plan de bataille qui ressemble à s’y méprendre aux recettes appliquées par les réseaux constructeurs eux-mêmes.

Un label “révision-constructeur” pour la nouvelle distribution

Cette capacité à anticiper les changements, les acteurs de la réparation indépendante l’ont chevillée au corps depuis toujours. La voiture évolue, c’est vrai, mais ce n’est pas nouveau, sans quoi, en fait de voitures électriques, nous roulerions encore avec des répliques du Fardier à vapeur de Cugnot… “La question de savoir si nous étions capables de nous adapter s’est toujours posée en réalité. Or, force est de constater que les indépendants se sont toujours positionnés et adaptés pour offrir une véritable alternative aux réseaux des constructeurs. Et il n’y a pas de raison que cela change”, estime Julien Dubois, directeur marketing et communication de Speedy. De fait, l’arrivée prochaine, dans les ateliers, de véhicules suréquipés en électronique et en électrique n’effraie pas outre mesure les centres-autos et autres fast-fitters. Tout étant question, finalement, d’anticipation. “L’objectif n’étant pas de contrer le réseau constructeur, mais de nous montrer capables de faire au moins aussi bien que lui”, atténue Jean-Luc Marcinkowski, category manager ateliers pour Norauto.

Une anticipation qui n’a d’ailleurs pas attendu que les premiers véhicules électriques foulent l’asphalte des routes de France. En effet, la plupart des acteurs de la réparation rapide s’organisent depuis plusieurs années déjà, gageant qu’à l’instar des véhicules thermiques, les électriques et hybrides feront leur apparition dans leurs ateliers.

C’est ainsi que Point S, par exemple, labélise désormais ses points de vente selon différents critères d’équipement, d’informatique ou encore de formation du personnel. Des critères au plus près des exigences constructeurs – au point que le label en question se nomme “label révision constructeur” – réactualisés chaque année, et des formations ultra-pointues sur l’hybride, l’électrique ou encore l’électronique embarquée. Pour Christophe Rollet, directeur général de l’enseigne, ce sont “des critères absolument indispensables pour savoir répondre, demain, aux besoins des automobilistes. Nous avons ainsi labélisé 257 points de vente. Pour les quelque 200 points de vente restants, notre logique consiste évidemment à les pousser à s’équiper et à se former afin d’obtenir ce label. Label que nous refusons de toute façon de délivrer si l’atelier n’est pas au niveau”. D’autant que, aujourd’hui, même une opération bénigne sur un véhicule hybride peut requérir une habilitation spécifique. Alors, quitte à anticiper et à prendre le problème à bras-le-corps, la nouvelle distribution ne se contente plus de simplement organiser des sessions de formation au sein de son réseau, elle se réorganise bien plus profondément.

Les centres-autos ont aussi leurs services de R&D

Pour ce faire, Norauto s’est doté d’une équipe de 8 personnes entièrement dévouées à la cause de l’entretien-réparation du futur. “Cette équipe travaille sur des dossiers à vingt-quatre mois pour préparer l’avenir. Son rôle : désosser les véhicules afin de suivre les évolutions, et pouvoir innover, en proposant de nouvelles prestations en phase avec ces technologies, pour nos ateliers. Et c’est grâce à ce travail de fourmi que nous pouvons également alimenter des formations spécifiques. Par exemple, sur la question de l’électronique embarquée, nous avons développé un cursus de six jours, ciblé sur la partie diagnostic, puis un autre cursus de six jours axé sur la réparation, et enfin une habilitation de trois jours sur les motorisations électriques et hybrides”, explique Jean-Luc Marcinkowski. Une équipe de recherche et développement, en somme, qui a notamment permis à l’enseigne, en son temps, d’anticiper le phénomène de dépollution. Norauto était alors le premier réseau à former ses points de vente sur l’éco-entretien. Aujourd’hui plus de 200 000 interventions de cette sorte sont réalisées dans son réseau. “Il va forcément y avoir une accélération technologique. Nous travaillons donc déjà sur les boîtiers télématiques afin de nous affranchir dès aujourd’hui de ces nouvelles technologies qui vont arriver en masse en 2018. Cette accélération, nous allons également l’accompagner d’une plate-forme technique spécifique qui verra le jour d’ici deux ans. Cela permettra d’aider les ateliers et d’accompagner les collaborateurs du réseau qui n’auront pas pu se former au préalable, par exemple.”

Cette force d’anticipation, Speedy s’en est doté aussi grâce à son service de R&D, d’une part. Et grâce à son centre de formation intégré, d’autre part. “Speedy a 36 ans et il y a encore cinq ans, notre cœur de métier était de changer les silencieux, explique Julien Dubois. Aujourd’hui, cela représente environ 3 % de notre business. Donc, en gros, si nous ne nous étions pas adaptés, nous serions sans doute morts aujourd’hui.” L’enseigne, historiquement spécialisée dans l’échappement, a donc créé en 2000 sa propre école, devenue organisme certifié. Une structure qui lui permet de former l’ensemble de ses équipes à l’évolution des véhicules : “Aujourd’hui, tous nos centres sont habilités à intervenir sur un véhicule électrique, s’enorgueillit Julien Dubois. Notre école nous permet également de définir et de maîtriser, en début d’année, notre plan de formation. Des formations qui sont un mix entre les besoins de nos compagnons et les remontées terrain. Et nous sommes la seule enseigne à pouvoir faire cela.” Au point même, ironie de l’histoire, que l’école Speedy va parfois jusqu’à former des concessionnaires !

Jouer sur la résonance du nom

Depuis six mois, enfin, Feu Vert, de son côté, s’adjoint les services d’une direction technique. “Un signe fort permettant de dire que Feu Vert n’est plus un simple distributeur d’accessoires, mais qu’il répare et entretient”, explique Bruno Crocheton, directeur dudit service technique. L’idée ? Surfer sur la notoriété de l’enseigne et renforcer son professionnalisme. Aujourd’hui, donc, une équipe de 17 personnes s’applique à améliorer, voire à déployer les compétences techniques des ateliers en fonction de trois axes majeurs : les outils informatiques (grâce à une base de données Feu Vert fonctionnant en temps réel), l’accueil qualitatif pour permettre aux collaborateurs d’acquérir les argumentaires parfaits pour proposer “la meilleure réparation au meilleur prix”, et enfin le savoir-faire dans l’atelier, qui se focalise sur les outils, les formations, etc. Bref, une exigence de qualité, certes, mais somme toute assez classique. Quid des stratagèmes spécifiques mis en place pour anticiper la complexification des véhicules ? “A vrai dire, avoue Bruno Crocheton, je pense surtout que c’est la balle de l’éco-diagnostic que nous allons devoir saisir. Cela fait douze mois que nous sommes dans les starting-blocks sur ce sujet, car c’est là que se situe l’enjeu de l’entretien de demain. Dans cinq ans, finalement, le parc sera le même qu’aujourd’hui, sauf cas exceptionnels dont s’occuperont les constructeurs eux-mêmes. Le gros de notre business restera l’entretien courant des véhicules, les pneus, l’embrayage, les freins, les courroies, etc. Il ne faut pas oublier que nous sommes des généralistes et que, pas plus qu’aujourd’hui, nous ne changerons, demain, un moteur hybride ou électrique. On estime qu’en 2020, il se vendra 1 à 2 % de véhicules full électriques et 15 à 20 % d’hybrides… Vu la vitesse d’évolution, je ne suis pas certain que cela soit de nature à changer la nature de nos interventions.”

Savoir casser la tirelire

“Chi va piano, va sano e chi va sano, va lontano”, dit le proverbe italien. Anticiper, oui. Se précipiter, non. D’une part, parce que les interventions, dans le réseau des indépendants, de véhicules bardés de nouvelles technologies ne sont pas encore pléthoriques. D’autre part, parce que cette anticipation, aussi salvatrice soit-elle, a un coût. Ainsi, lorsqu’un site Point S désire se mettre à niveau pour atteindre le fameux Graal du label révision constructeur, il lui en coûte entre 3 000 et 5 000 euros, sans compter les réactualisations annuelles de quelques centaines d’euros. C’est le prix à payer pour commencer à être capable d’intervenir, par exemple, sur des véhicules connectés, et ainsi laisser à l’automobiliste la possibilité de faire entretenir son auto où il le souhaite, comme l’autorise la loi. “Nous avons conscience, déplore Christophe Rollet, que tout le monde ne pourra pas suivre. Il faudra fatalement faire un choix de points de vente pour les gros réseaux, car il ne sera pas possible de mettre tout le monde à niveau en un seul coup de baguette magique. L’équipement nécessaire aujourd’hui ne l’était pas il y a cinq ou dix ans, et ce sont donc forcément des coûts supplémentaires à supporter pour les ateliers. Mais ce qui est important, ce n’est pas ce que cela coûte, c’est ce que cela rapporte !”

Et Point S, en la matière, n’est évidemment pas un cas isolé. Norauto annonce ainsi avoir dépensé quelque 2 millions d’euros pour former ses 850 collaborateurs à l’éco-entretien. Un investissement “qui en valait la peine”, pour Jean-Luc Marcinkowski, qui ajoute, comme pour s’en convaincre : “Ne pas faire d’investissements, c’est s’assurer de perdre des parts de marché.” De même, pour Feu Vert et pour Speedy, un garage capable d’intervenir demain sur les problèmes liés à l’éco-diagnostic doit, dès aujourd’hui, envisager une mise à niveau chiffrée à environ 10 000 à 15 000 euros. Une paille, lorsque l’on sait qu’un centre-auto Feu Vert, en l’occurrence, réalise en moyenne un chiffre d’affaires annuel de 2 millions d’euros. Las ! Pour tous les centres-autos et fast-fitters, point de salut sans casser la tirelire. C’est le prix à payer pour aller chercher de la prestation dans le giron des constructeurs. C’est le prix à payer, aussi, pour faire face à la complexité des nouveaux modèles de véhicules.

Hybrides, électriques, télématique embarquée, éco-entretien… des évolutions bien accueillies par une nouvelle distribution qui y voit de nouvelles opportunités plutôt que des freins. Et Jean-Luc Marcinkowski de conclure : “Aujourd’hui, nous sommes sur l’huile, le filtre, la dépollution et demain nous serons sur les mêmes organes, l’électronique en plus… Peut-être faudra-t-il reconsidérer cette question lorsqu’il nous faudra appréhender, un jour, les Google Cars et autres Apple Cars”… Mais ça, c’est une autre histoire. Mieux : un challenge !

Ambre Delage

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