Alain Landec (Feda) : "Je me suis toujours senti militant"
Quel regard portez-vous sur votre parcours professionnel mené au long de ces cinquante dernières années ?
Alain Landec : Pendant ces cinquante ans, j'ai eu deux carrières très différentes. J'ai d'abord commencé dans l'industrie, avant d'œuvrer pour la distribution. J'ai débuté ma carrière chez Fulmen qui, en 1975, s'est rapproché de la Ceac (marques Tudor, Dinin), les deux sociétés appartenant à la CGE, pour devenir une nouvelle Ceac (Compagnie européenne d'accumulateurs Fulmen-Tudor-Dinin). Je m'y suis occupé de la production pendant plus de dix ans. Au cours de cette période, j'ai été le témoin de transformations majeures au sein de l'industrie automobile. En particulier du changement des conditions de travail, mais aussi de la montée du chômage. Au début des années 70, le chômage était quasi inexistant. Mais par la suite, avec l'évolution technologique des batteries, de nombreuses opérations de production ont été automatisées.
Les effectifs de la Ceac sont ainsi passés de 6 750 salariés en 1978 à moins de 3 000 en 1985, à mon départ de l'entreprise. L'industrie automobile a, dans son ensemble, fortement gagné en productivité à cette époque, mais la hausse du chômage a été le revers de la médaille. Au sein de la Ceac, cette transition a provoqué des situations très difficiles. Je veux parler de l'occupation du siège social (situé dans les mêmes lieux que l'usine de Clichy) pendant deux mois, à l'issue de laquelle un salarié a malheureusement trouvé la mort. Cette époque a été très dure pour les personnes qui ont perdu leur travail, mais aussi pour la direction et les cadres.
Vous avez également été le témoin d'évolutions majeures dans le marché de l'après-vente…
Quand j'ai intégré la Ceac, la valeur des produits était considérable. Les batteries représentaient alors le premier chiffre d'affaires des distributeurs. Mais ce produit, comme tant d'autres, a perdu de sa valeur en raison de la baisse des prix de revient et d'un marché devenu très concurrentiel avec l'arrivée de fabricants d'Espagne, de Belgique, d'Europe de l'Est, etc. Au cours de ces mêmes années, nous avons assisté aussi à l'émergence de la "nouvelle" distribution dans l'automobile. C'est à cette époque que sont apparus les premiers centres autos, notamment sous l'impulsion de certains hypermarchés, et fast-fitters.
Ce fut un changement assez considérable pour les acteurs traditionnels. Jusque-là , le marché après-vente se concentrait surtout autour des réseaux constructeurs et de distributeurs indépendants régionaux.
Les groupements étaient quasi inexistants, il s'agissait plus d'amicales ou de clubs. Petit à petit, les grossistes ont alors structuré leur activité. Je pense notamment au réseau Autodistribution, qui avait déjà mis en place une politique de référencement et s'appuyait sur un stock central à Morangis (91). Le groupement s'est aussi illustré avec la création d'une structure dédiée au rachat de ses adhérents, baptisée la Cofinad. C'est ainsi qu'a débuté la première vague de filialisation du réseau Autodistribution.
La progression des groupements s'est accélérée dans les années 90, notamment sous l'impulsion de Jean-Jacques Lafont chez Groupauto. C'est à cette époque que le secteur s'est construit autour des entités que nous connaissons désormais. Les centrales sont progressivement montées en puissance, ce qui a conduit à changer la fonction de la Feda. À ce moment, la fédération faisait, en effet, quasiment office de centrale de référencement pour les fournisseurs qui pouvaient échanger lors des CDA avec l'ensemble de leurs distributeurs. Avec l'essor des groupements, le rôle de la fédération a évolué avec des missions qui sont désormais celles d'un syndicat professionnel.
Vous avez œuvré tout au long de votre carrière pour l'automobile : qu'est-ce qui explique cette fidélité ?
Tout simplement parce que j'ai passé les quinze premières années de ma vie professionnelle à la Ceac. Avec un CV qui commençait à s'écrire dans l'automobile, je suis resté logiquement fidèle à ce secteur. À l'époque – ce qui est moins vrai maintenant –, on changeait plus difficilement de marché ou d'industrie. Ce qui explique qu'après la Ceac, j'ai rejoint le groupe Neiman qui appartenait à Paribas, donc nationalisé puis privatisé. J'y suis resté quelques années seulement, car le projet était assez peu enthousiasmant !
Quelles expériences vous ont le plus apporté ?
Au cours de ma carrière, ce sont les dimensions humaine et stratégique qui ont guidé mes choix. Chez Précisium, j'ai justement eu la chance de vivre une aventure assez extraordinaire dans ces deux domaines.
Avec l'équipe interne mais aussi avec les réseaux de distributeurs et de réparateurs, j'ai entretenu – du moins je le crois – une relation très forte et affective.
Si je me penche sur le début de ma carrière, c'est au sein de la Ceac que j'ai traversé les moments les plus forts. Sur le plan stratégique, je pense que l'expérience la plus étonnante que j'ai vécue reste celle de Tecar, avec la création d'une union internationale de coopératives de concessionnaires. Au début des années 90, c'était très innovant, et précurseur des groupements qui ont vu le jour par la suite. Pour les constructeurs, nous étions d'ailleurs une espèce d'ovni dans la distribution de pièces…
Vous avez côtoyé plusieurs grands noms de la filière tout au long de votre carrière. Quelles personnalités ont marqué votre parcours ?
Comme souvent, c'est en arrivant dans la vie active, lorsqu'on est encore un peu "vert", qu'on est le plus réceptif aux messages de ses managers. C'est donc au sein de la Ceac que j'ai rencontré les personnes qui m'ont le plus influencé dans ma vie professionnelle. J'ai notamment travaillé à cette époque avec l'un de mes patrons, Yves Jarreau. C'était un polytechnicien à l'humanité absolue, très chaleureux et proche de ses collaborateurs. Il a été un exemple en termes de management. Il avait notamment pour habitude, chaque matin, d'adresser à ses proches collaborateurs des petits mots manuscrits dans lesquels il nous donnait ses réflexions sur toutes sortes de sujets…
Un autre patron m'a également marqué à la Ceac, il s'agit de Raymond Morge. C'était une personnalité formidable qui a été mon père spirituel sur le plan professionnel et chaque fois que j'évoque son souvenir, c'est toujours avec une grande émotion. Par la suite, les relations que j'ai pu nouer ont été différentes. Les carrières n'étaient plus les mêmes, les cadres s'inscrivaient moins dans la durée. Mais c'est le monde du travail qui a changé dans son ensemble… C'est la raison pour laquelle je garde un souvenir particulier de la Ceac, où les salariés réalisaient toute leur carrière dans une entreprise qui avait un petit air de 19e siècle, mais où régnait une ambiance quasi familiale.
Dans un secteur où la transmission est devenue un véritable défi, quelles actions souhaitez-vous mettre en place avec la Feda pour pérenniser l'avenir des métiers de la rechange ?
Quand on tient compte de l'évolution des groupements, qui bénéficient désormais d'une envergure internationale pour certains d'entre eux, on peut effectivement s'interroger sur les prochaines mutations de nos métiers. Un autre élément important à considérer est la structuration du marché. Quelles incidences aura notamment l'arrivée de nouveaux acteurs, et je pense particulièrement aux groupes de concessionnaires qui créent des modèles singuliers…
À l'inverse, nous voyons aussi des acteurs de la rechange indépendante se rapprocher des constructeurs et s'intéresser à de nouveaux métiers. Ce qui laisse penser que ce secteur, autrefois polarisé autour des constructeurs et des distributeurs indépendants, peut converger vers un modèle unique.
Dans ce contexte, le rôle de notre fédération se concentre autour de trois missions : favoriser le dialogue social dans la filière ; défendre et valoriser les intérêts de nos métiers vis-à -vis des pouvoirs publics ; et enfin, garantir la pérennité des savoir-faire avec des formations transversales afin de maintenir l'excellence des services proposés par nos adhérents. Nous devons faire coïncider les intérêts stratégiques de nos adhérents avec nos actions syndicales.
Que peut-on vous souhaiter pour la prochaine décennie qui vous attend ?
J'ai une chance formidable : celle d'avoir pu continuer ma carrière jusqu'à un âge avancé ! Et je prends un plaisir fou dans mes activités actuelles, puisque je côtoie les générations qui œuvrent pour l'avenir de ce marché. Au sein de la Feda, nous avons mis en place une organisation efficace avec Mathieu Séguran, notre délégué général proactif, une équipe impliquée et un conseil d'administration imaginatif et solidaire. Et j'espère contribuer encore longtemps à cette dynamique. Quelque part, je me suis toujours senti militant, et c'est ce sentiment qui me guide encore aujourd'hui même si, je le sais, il y a bien un moment où il faudra s'arrêter.