Emmanuel Rilhac (Lacour) : "La transparence et la digitalisation ne sont plus des options en réparation-collision"

Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Juste avant le salon Equip Auto, vous avez annoncé l'acquisition de l'éditeur de logiciel italien Proger. Quel est l'enjeu de celle-ci ?
Emmanuel Rilhac : Deux tiers des réparateurs français utilisent déjà un produit du groupe Lacour. Sur cette base, nous poursuivons une stratégie de croissance maîtrisée, afin de conquérir des parts de marché sur nos spécialités en Europe. Celle-ci repose sur trois axes : l'expansion géographique, l'innovation dans l'IA et le lancement de notre plateforme Mosaic.
Ainsi, sur le plan gĂ©ographique, nous arrivons aujourd'hui sur le marchĂ© italien avec l'acquisition de Proger, l’un des principaux Ă©diteurs locaux de solutions logicielles pour le marchĂ© des pièces dĂ©tachĂ©es pour l’après-vente automobile. Cela, alors que nous Ă©tions dĂ©jĂ prĂ©sents au Royaume-Uni depuis l'acquisition de Dragon, en 2024. Tandis que nous avons aussi amorcĂ© une croissance organique au Benelux. Notre groupe atteint dĂ©sormais plus de 70 millions de chiffre d'affaires, en employant maintenant 450 personnes. Notre ambition est de devenir l'un des leaders en Europe.Â
J2R : Qu'apporte l'arrivée de Proger au sein de votre groupe pour vos clients ?
E. R. : L'acquisition de Proger nous offre une complémentarité de produits. Nous intégrons dans nos outils un acteur assurant l'intermédiation et le commerce de pièces détachées.
Sa base de donnĂ©es compte notamment 40 millions de rĂ©fĂ©rences, comprenant les correspondances entre pièces Ă©quipementiers et constructeurs. Depuis un mois, tous nos clients peuvent accĂ©der au catalogue Proger sur nos outils. Le bĂ©nĂ©fice est donc immĂ©diat pour nos clients français, qui n'avaient jusqu'alors pas accès aux pièces des Ă©quipementiers.Â
J2R : Parmi vos autres axes de développement, quelle est l'importance de l'innovation ?
E. R. : Nous innovons d'abord avec la prĂ©sentation de notre scanner Seri, notamment destinĂ© aux plateformes de dĂ©grĂªlage. Nous en avions prĂ©sentĂ© une version prototype en 2019. Mais nous avons finalement pu aboutir Ă ce modèle grĂ¢ce Ă l'intelligence artificielle (IA). Celui-ci est plus prĂ©cis que les autres modèles concurrents. Il peut aussi examiner jusqu'Ă 700 vĂ©hicules par jour. Par ailleurs, il est mobile, montĂ© sur une remorque, cet outil peut Ăªtre dĂ©ployĂ© en trois quarts d'heure. Il peut donc se dĂ©placer très rapidement d'un site Ă l'autre. Enfin, sa consommation Ă©nergĂ©tique Ă©quivaut Ă celle d'un aspirateur. Sa commercialisation est d'ores et dĂ©jĂ lancĂ©e auprès de dix clients.
Parallèlement, nous embarquons beaucoup d'IA (vidéo, photo et audio), pour apporter davantage de productivité à nos clients. Par exemple, cette technologie appliquée à la vidéo est utilisée pour effectuer le tour du véhicule, à sa réception en atelier ou à son retour de location. Elle effectue un devis en environ deux minutes, à partir de sa sélection des meilleures images, puis de l'identification des éventuels dommages et de leur chiffrage automatique. Ce qui évite tout litige ultérieur potentiel. Nous exploitons aussi l'IA vocale : les réparateurs l'utilisent lors du tour du véhicule, ils dictent leurs commentaires, les éléments supplémentaires à remplacer tels que les pneus, essuie-glaces. Ces informations sont ensuite utilisées pour le chiffrage en tant que proposition de vente additionnelle.
J2R : L'autre grande actualité du groupe Lacour est le lancement de la plateforme Mosaic. En quoi représente-t-elle un tournant pour vous ?
E. R. : Il s'agit d'une plateforme Ă partir de laquelle tous nos outils sont accessibles : gestion, chiffrage, rĂ©ception client, planning atelier et facturation. Elle apporte de la fluiditĂ© entre tous nos outils. Mosaic est dĂ©jĂ testĂ©e sur une trentaine de sites depuis quatre mois. Ces expĂ©rimentations nous ont dĂ©jĂ permis de constater une amĂ©lioration de 20 % de la productivitĂ© chez ses utilisateurs, avec une augmentation de 15 % de leur chiffre d'affaires.Â
J2R : Éditeur d'outils numériques, vous avez également commandé une étude à OpinionWay sur la digitalisation des professionnels et des automobilistes. Quelles sont les principales leçons que vous en tirez ?
E. R. : Nous voyons évoluer l'écosystème dans lequel nous travaillons. Par exemple, de nouvelles demandes émergent, comme l'évaluation de l'empreinte carbone des réparations ou encore la lutte contre la fraude à l'assurance et l'essor de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Par ailleurs, nous observons aussi une fracture générationnelle en termes d'attentes, autour des services automobiles.
D'après l'enquĂªte que nous avons publiĂ©e, 90 % des personnes interrogĂ©es ont confiance dans leurs rĂ©parateurs. Mais chez les moins de 35 ans, le principal facteur irritant concerne le prix et les dĂ©lais d'entretien et de rĂ©paration de leur vĂ©hicule – car ils ne les comprennent pas. Alors que les automobilistes plus Ă¢gĂ©s, forts de leur expĂ©rience, y sont moins sensibles. Cette population comprend simplement mieux et accepte donc davantage les contraintes des rĂ©parateurs.
J2R : En conséquence, ces observations guident-elles la conception de vos produits et services ?
E. R. : Effectivement, ces constats nous poussent à étudier comment établir de meilleures relations entre les carrossiers, les réparateurs et leurs clients. Cela implique une meilleure communication entre eux. Raison pour laquelle la transparence et la digitalisation ne sont plus des options en réparation-collision. Aussi, sur Mosaic, nos clients sont libres de partager – ou pas – les dossiers de réparation avec les automobilistes.
Par ailleurs, dans le domaine de l'empreinte carbone, nous proposons, en partenariat Ă©troit avec Carbon Risk Intelligence, un outil dĂ©diĂ© Ă nos clients. Il permet d'Ă©tablir dès maintenant un bilan carbone très prĂ©cis des rĂ©parations. Cela, en adoptant une approche systĂ©mique, prenant en compte l'ensemble des cycles de vie du vĂ©hicule, des pièces et des rĂ©parations. Nous rĂ©pondons ainsi Ă l'une des demandes du marchĂ©, alors que les labels environnementaux se multiplient dans la rĂ©paration automobile. D'ailleurs, Ă un moment ou Ă un autre, ils devraient se normaliser autour de dĂ©marches systĂ©matiques telles que celle de Carbon Risk.Â
J2R : Depuis 2023, Carlyle est devenu actionnaire majoritaire de votre groupe. Quel est son rôle dans votre développement ?
E. R. : Nos relations avec notre actionnaire reposent sur l'exigence et le soutien. Carlyle nous apporte une grande capacitĂ© d'analyse pour nous accompagner sur la rĂ©flexion stratĂ©gique, et l'optimisation de la performance opĂ©rationnelle. GrĂ¢ce Ă son recul et Ă son expĂ©rience d'univers complĂ©mentaires, Carlyle rĂ©vèle des interrogations qui nous font progresser rapidement.
Avec son support, la prioritĂ© du groupe est de devenir leader europĂ©en de notre secteur. Dans les 18 prochains mois, nous allons donc nous concentrer sur nos rĂ©centes acquisitions, dĂ©velopper des synergies et continuer Ă identifier nos projets de dĂ©veloppement Ă l'international.Â
Sur le mĂªme sujet
