Comment réparer les nouvelles voitures asiatiques ?

Ce n’est pas un raz-de-marée, mais leur progression est tangible. Arrivés en Europe au début des années 2020, ces véhicules apparaissent au compte-gouttes dans les ateliers tricolores. Et lorsqu’ils s’y présentent, les réparateurs peuvent rencontrer des difficultés pour les remettre en état dans les règles de l’art.
Pour le moment, leur faible présence limite l’ampleur du problème. Mais cela pourrait rapidement évoluer. En 2024, les voitures chinoises ont totalisé 31 576 immatriculations en France, soit 1,83 % du marché. Une part encore modeste, mais en nette croissance. En seulement trois à quatre ans, ces nouvelles venues ont déjà dépassé des marques bien établies comme DS, Mini ou Volvo.
Les plus en vue, BYD et MG Motor (filiale du groupe SAIC), semblent vouloir s’installer durablement. D’autres tentent leur chance avec plus ou moins de succès, à l’image de Leapmotor (distribuée par Stellantis), XPeng, Lynk & Co ou le vietnamien VinFast. Certaines, en revanche, ont déjà quitté la scène française, telles que Seres, DFSK ou Aiways.
Un approvisionnement en pièces qui s’organise
Certaines marques posent davantage de problèmes que d’autres. Aiways, notamment, a laissé un souvenir amer dans les ateliers. "Les services du réseau de distribution, d’après-vente et de pièces d’Aiways étaient complètement dépassés", témoigne un carrossier qui préfère garder l’anonymat. "Ils nous faisaient attendre des pièces indéfiniment, sans jamais fournir d’information. Leur service après-vente restait silencieux, y compris auprès de leurs propres clients."
L’arrivée des nouvelles marques asiatiques sur le marché européen soulève des questions techniques : accès aux données constructeur, disponibilité des pièces de carrosserie, compatibilité des équipements, et réparabilité de structures parfois conçues selon des standards inédits. ©DR
Parmi les rĂ©parateurs, Jessica Descoubes, dirigeante d’Esthetic Auto Ă Tours (37), exprimait ses inquiĂ©tudes lors d’un Ă©vènement organisĂ© par l’association SRA en fĂ©vrier dernier : "Avec l’arrivĂ©e de ces nouvelles marques dans nos ateliers, on se demande quelle est la disponibilitĂ© de leurs pièces, oĂ¹ s’approvisionner et quelles marges espĂ©rer ?"
Chaque marque rĂ©pond diffĂ©remment Ă ces problĂ©matiques. Lynk & Co, par exemple, s’appuie sur le rĂ©seau logistique de Volvo, sa marque sÅ“ur au sein du groupe Geely. "Les pièces de carrosserie sont actuellement stockĂ©es en Suède, avec des livraisons en 5 Ă 7 jours ouvrĂ©s et une option express sous 24h. Un projet de mutualisation logistique avec Volvo permettra prochainement de s’appuyer sur le centre de distribution français de Volvo, rĂ©duisant les dĂ©lais Ă 1 Ă 3 jours", annonce Michael Meyer, directeur du rĂ©seau Lynk & Co France, Belgique et Pays-Bas.
Stock européen selon les volumes vendus
Pour intĂ©grer le rĂ©seau agréé de la marque, un atelier doit d’abord Ăªtre agréé Volvo. Des formations spĂ©cifiques couvrent les caractĂ©ristiques techniques des modèles : diagnostic, Ă©lectronique embarquĂ©e, systèmes connectĂ©s… Les rĂ©parateurs non agréés ont accès aux prescriptions de rĂ©paration via une plateforme en ligne. L’accès aux donnĂ©es logicielles (recalibrage des Adas, etc.) est possible sur abonnement.
Du côté de BYD, la structuration du service après-vente se met en place progressivement. La marque est en discussion avec Sidexa et Lacour pour référencer ses véhicules dans les outils de chiffrage. Elle dispose d’un stock européen, complété par un autre en France. "Ce dernier est organisé en fonction des volumes de vente de nos modèles. On y trouve ainsi toutes les références pour le Seal U hybride rechargeable, qui représente 50 % de nos ventes", explique Jean-Briac Dalibard, responsable communication de BYD France.
Il ajoute que BYD n’a pas encore de rĂ©seau de carrossiers agréés mais dĂ©veloppe un maillage de points de vente, tous dotĂ©s d’un atelier. Certains confient la carrosserie Ă des prestataires externes. "Les carrossiers indĂ©pendants peuvent se rapprocher du distributeur local pour obtenir les prescriptions techniques. Ce n’est Ă©videmment pas dans notre intĂ©rĂªt de pratiquer la rĂ©tention d’information", assure-t-il.
Des marques très pragmatiques
Parmi les derniers arrivĂ©s, le constructeur VinFast fait valoir une organisation ambitieuse. La marque vietnamienne a nouĂ© un partenariat stratĂ©gique avec DHL pour assurer des livraisons de pièces en 24h depuis son centre de distribution d’Holtum (Pays-Bas). En France, elle a ouvert un centre de formation Ă Trappes (78), certifiĂ© par Dekra, oĂ¹ les rĂ©parateurs sont formĂ©s aux procĂ©dures spĂ©cifiques de la marque.
L’agrément des ateliers se veut rigoureux. VinFast s’appuie notamment sur le réseau Norauto et sur des partenaires comme le groupe Albax-Lecoq. "Nous sommes en cours d’agrément et devrions bénéficier d’une exclusivité territoriale avec cette marque", confirme Thomas Alunni, dirigeant de Lecoq. Le groupe familial dispose déjà d’une certaine expérience avec les véhicules asiatiques : il est agréé pour les marques Aiways et LEVC (les taxis londoniens rachetés par Geely). Le carrossier observe que certains constructeurs chinois arrivent en France en s’organisant dès le départ, quand d’autres peinent à structurer leur implantation. "Certains constructeurs chinois se structurent, mais pas tous. Les moins solides sont ceux qui ne s’appuient pas sur des garages ou des concessionnaires", rapporte Thomas Alunni.
Malgré ces disparités, la plupart de ces nouvelles marques semblent faire preuve de pragmatisme et d’une grande capacité d’adaptation. Il est toutefois trop tôt pour mesurer leur impact sur le marché de la réparation-collision. Alexandre Brisseau, directeur de la stratégie et du développement réseau chez Five Star, reste prudent : "Pour l’instant, nos carrossiers en réparent très peu, car ces véhicules restent marginaux dans le parc." L’enseigne aux cinq étoiles collecte actuellement des données pour mieux anticiper les enjeux à venir.
Quel avenir pour la réparabilité de ces véhicules ?
Cette approche est d’autant plus nĂ©cessaire que la question de la rĂ©parabilitĂ© de ces nouveaux modèles demeure. Moins chers que leurs Ă©quivalents europĂ©ens, ces vĂ©hicules pourraient Ăªtre plus facilement jugĂ©s Ă©conomiquement irrĂ©parables en cas de sinistre.
Pour l’instant, l’association SRA ne relève pas de hausses anormales sur les prix des pièces chez Lynk & Co ou MG Motor. De son côté, Jean-Briac Dalibard affirme : "Nous ne pratiquons pas de hausses arbitraires sur les pièces, contrairement à certaines marques européennes."
Mais les professionnels restent sur leurs gardes, et plusieurs organisations syndicales, Ă l’instar de la Feda, se sont alertĂ©es sur la pratique du gigacasting, consistant Ă remplacer plusieurs pièces de chĂ¢ssis assemblĂ©es par soudage par un seul gros Ă©lĂ©ment moulĂ©. Ce procĂ©dĂ©, est utilisĂ© par certaines marques asiatiques Ă©voquĂ©es. Si elle optimise la production, cette technique pourrait gravement compliquer les rĂ©parations, en rĂ©duisant l’accessibilitĂ© et en alourdissant les coĂ»ts. De quoi nourrir les inquiĂ©tudes sur la rĂ©parabilitĂ© rĂ©elle de ces vĂ©hicules nouvelle gĂ©nĂ©ration, et leur avenir dans les ateliers.
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3 questions Ă Jean-Briac Dalibard, responsable communication BYD France
J2R : Quelles sont les différences entre les marchés de la carrosserie en France et en Chine ?
J.-B. D. : La grande différence entre les marchés européens et chinois, c’est qu’en Chine (comme en Amérique latine), le client est souvent primo-accédant à l’automobile. Son réflexe naturel est donc de faire entretenir et réparer son véhicule chez le distributeur qui le lui a vendu. À l’inverse, en Europe, et notamment en France, les automobilistes se tournent volontiers vers le garagiste de proximité, qu’ils connaissent bien. Autre point important : en Chine, tous les concessionnaires sont équipés d’un service carrosserie intégré.
J2R : Quelle est la spécificité de BYD par rapport aux autres marques chinoises ?
J.-B. D. : La principale diffĂ©rence entre BYD et d’autres constructeurs rĂ©side dans notre intĂ©gration verticale, qui atteint 95 %. Nous produisons nous-mĂªmes nos pièces et ne sommes donc pas dĂ©pendants d’équipementiers extĂ©rieurs et de leurs lignes de production. C’est un vĂ©ritable avantage, qui nous permet de mieux maĂ®triser nos approvisionnements et notre rĂ©activitĂ©.
J2R : Quelle est la stratégie de la marque en matière d’après-vente ?
J.-B. D. : BYD suit une stratégie à contre-courant de celle de Tesla ou d’autres marques récemment implantées en France, qui s’appuient peu, voire pas du tout, sur un réseau d’ateliers physiques. De notre côté, nous misons au contraire sur une présence locale solide, avec un espace dédié à la réparation dans chaque point de vente – à l’exception de celui des Champs-Élysées, à Paris. Nous sommes passés de 2 à 50 implantations en deux ans, et notre objectif est d’atteindre entre 100 et 120 sites d’ici fin 2025.