Batterie d’acteurs pour un marché agité
Les volumes sont passés en dessous de la barre des 6 millions d’unités, et 2013 a démarré péniblement. Voilà, en somme, le paysage du marché de la batterie en rechange française. Mais ce ne serait pas compliqué si, en plus, ce marché n’était pas à une contradiction près. En effet, dans le même temps, les difficultés liées à l’innovation font disparaître certains acteurs (voir encadré), alors que d’autres, au profil d’importateur, arrivent pour grappiller des parts de marché.
Tous sont donc confrontés à la baisse des volumes, dont la raison première est le facteur météorologique. Comme l’indique Denis Blazevic, directeur général de Vipiemme France, “l’hiver dernier n’a pas été rigoureux. Certains stocks restent donc à écouler.”
Il est rejoint par Johann Le Bon, responsable marketing Johnson Controls Power Solutions EMEA : “La température a été plutôt basse en 2011, il y a donc eu un phénomène d’anticipation sur 2012 et l’approvisionnement des commandes. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas eu de seconde vague de froid, et beaucoup de clients ont stocké.” Jean-Charles Bailleul, chef de produit aux achats de Précisium, constate, lui, “une radicalisation des besoins clients. Ils se focalisent sur le Premium ou le low-cost, et le segment intermédiaire est en baisse.” Johann Le Bon confesse d’ailleurs qu’il y a “beaucoup de choses en réflexion pour segmenter au mieux l’offre”.
Denis Blazevic parle aussi d’une expérience nouvelle, constatée dans un de ses magasins d’usine : “Nous avons vu un changement du comportement de l’automobiliste. Nous avons une quinzaine d’appels où les gens nous demandent les prix de nos produits. Avant, ils ne faisaient pas ainsi le tour des fabricants.” Une quête du meilleur prix qui, dans un contexte de concurrence affûtée, accentue l’antagonisme fabricant / importateur. La relation entre les équipementiers et leurs clients est, plus que jamais déterminante. A chacun de faire valoir ses armes, gamme en tête, dans la course au référencement par les centrales d’achats.
Pas de règle du jeu
Evacuons tout de suite un premier doute. Si opposition il peut y avoir, les fabricants, qui supportent des coûts plus importants, sont aussi les fournisseurs des importateurs et revendeurs avec qui ils sont en concurrence par ailleurs. A l’image de Johnson Controls et Bosch, le partenariat fonctionne parfaitement, d’autant plus que le positionnement de leurs gammes est identique. “Varta bénéficie des effets de synergie avec Bosch, indique Johann Le Bon. En travaillant avec eux, nous entrons dans une logique industrielle et commerciale positive, et il n’y a pas de dévaluation de nos produits et technologies.” Une manière pour les premiers de tirer leur épingle du jeu, que l’équation marché soit difficile ou non. Nombre de canaux leur font confiance pour leurs marques de distribution, en low-cost ou milieu de gamme, ce qui leur assure un volume conséquent.
Néanmoins, le nerf de la guerre reste la représentation de la marque de chacun. Jean-Charles Bailleul rappelle “qu’il n’y a pas vraiment de règle du jeu en termes de référencement sur le marché de la batterie. Il y a une remise en cause permanente. Je pense que toutes les grandes centrales aimeraient avoir un modèle sur 5 ans !” Alors on constate des disparités. En effet, selon les canaux, les politiques d’approvisionnement diffèrent, entre les volontés mono ou pluri-fournisseurs.
Chez Groupauto, Lucile Olivas, directrice des achats, confesse que “notre principal fournisseur est Bosch. Mais nous nous fournissons aussi auprès d’Exide, Johnson Controls, Promauto, Vipiemme…” Autre profil, autre fonctionnement : Speedy a fait le choix du partenaire unique, se tournant vers Exide. “Nous n’avons pas officiellement de deuxième fournisseur, tout simplement parce que le premier, avec sa marque Fulmen, nous fournit des batteries pour nos 3 gammes. Cela n’empêche pas que nous pourrions faire confiance à un fournisseur moins important que le numéro 2 du marché. La qualité n’est pas seulement dans les entreprises du CAC 40”, détaille Aymeric Le Her, directeur des achats et stratégie commerciale. Speedy, en dépannage, travaille d’ailleurs avec un revendeur.
Vers moins de “do it”
De la prise de parts de marché dépend le choix du canal de distribution d’une part, et la qualité de l’offre d’autre part. Offre au sens large, des produits aux services associés. Distribution traditionnelle, plates-formes, centres autos, fast-fitters, spécialistes, hyper et autres grandes surfaces… les possibilités de référencement en centrales d’achats sont multiples. Mais les cartes seraient en passe d’être rebattues, à cause de l’évolution de la technologie. Si aujourd’hui le spectre des partenariats est si large, c’est parce qu’il existe encore une part importante de “Do it” sur la batterie. En libre-service, l’automobiliste se sert et procède au changement lui-même.
“L’après-vente, c’est près de 6 millions de batteries. Les acteurs les plus marquants sont les grossistes, avec un volume supérieur à 2 millions. Suivent les spécialistes, à 1 million. Les centres autos sont autour de 900 000 unités, et les hyper autour de 700 000”, précise Johann Le Bon. S’ils représentent encore un canal important, ces derniers vont subir, à moyen terme, la montée en technologie et l’arrivée en après-vente des batteries Stop&Start. Selon Antoine Aliberti, président de Promauto, “les batteries se vendent moins en hyper aussi parce qu’il devient de plus en plus difficile d’identifier le bon produit. En vendant du premier prix, leurs volumes vont inéluctablement baisser, et c’est une grande porte qui s’ouvre pour les professionnels.”
Visibilité claire
Bien identifier ses futurs partenaires semble donc crucial. Charge au fournisseur, ensuite, de venir avec les bons atouts. “C’est une bataille de compétitivité, témoigne Serge Arbes, directeur des activités industrielles et automobiles France et Benelux de Exide. Le prix facial de la batterie n’est pas le seul élément à prendre en compte. Le développement technologique et le management sont selon moi deux points-clés.” Pour Lucile Olivas, la possibilité de livrer en petite quantité et l’offre de recyclage sont impératifs. Plusieurs niveaux de qualité, une bonne largeur de gamme, tous ont identifié le point de départ de toute collaboration dans le domaine. En revanche, les disparités sont davantage prégnantes dans la sphère servicielle.
“L’évolution de la technologie nécessite un meilleur accompagnement. Pour répondre à ces mutations, il faut proposer de la formation, du diagnostic, juge Johann Le Bon. Il faut pour cela une visibilité claire sur ce que sera le marché demain, à moyen et long terme.” Si le client est roi, Lucile Olivas, de Groupauto, est consciente cependant des efforts à faire de son côté de la barrière. “Si notre réseau MRA est capable de se former, alors il ne laissera pas passer le train de la technologie”, confie-t-elle. Un impératif, pour conserver une partie du marché de la batterie. Même lucidité chez Précisium : “Malgré une recentralisation sur quelques volumes, nous pouvons nous développer. Certes, la batterie et ses stratégies sont mues par des logiques conjoncturelles, mais rien n’est jamais rodé sur ce marché”, conclut Jean-Charles Bailleul.
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ZOOM - La disparition de Steco Power, règle ou exception ?
En avril dernier disparaissait le dernier fabricant de batteries sur le sol français. “Steco vivait sous perfusion depuis des années”, explique Denis Blazevic, directeur général de Vipiemme France. Une issue inéluctable semble-t-il, face aux difficultés rencontrées par les fabricants de batteries. “Il est important d’innover, rappelle Johann Le Bon, responsable marketing Johnson Controls Power Solutions EMEA. Si un acteur n’a pas la capacité de s’inscrire dans un cercle vertueux, il est difficile de se développer, causant une perte de légitimité. Nous sommes sur un marché mature, il faut redonner de la vie avec des innovations.”
Nicolas Gutleben, directeur de filiale Banner France SAS, ajoute “qu’il y a une pression exercée sur les fabricants au niveau du prix. Parallèlement, les besoins en investissement sont bien trop élevés.” Dans un marché désormais dominé par les importateurs, certains regrettent que l’on ne puisse plus fabriquer sur le sol français. Du côté des clients, à l’image de Précisium, Jean-Charles Bailleul, chef de produit aux achats, explique que “si on a eu tendance à privilégier les acteurs du marché français et fabricants, à un moment donné, en tant que centrale, nous avions besoin de prix”. Peut-être faut-il y voir une explication, de la redistribution des cartes en faveur des importateurs.
Avec la fin de Steco Power, des opportunités naissent. Un vide assez conséquent pour satisfaire tout le monde ? Nicolas Gutleben prévient : “Steco faisait encore 300 000 à 350 000 batteries par an, et je crois que le marché ne se rend pas encore compte de sa disparition. Même si on en profite d’ores et déjà, le marché ayant référencé ici ou là, il va un jour falloir livrer ces volumes supplémentaires, et cela ne va pas être la même chose.” S’il y a donc indéniablement une place laissée par Steco Power, il y a une logique industrielle et de logistique à maîtriser avant l’arrivée de la saison hivernale.
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FOCUS - Priorité à la récupération de matière
Tributaires des fluctuations du cours du plomb, les fabricants de batterie se doivent de proposer à leurs clients un circuit de récupération de matière. Circuit vertueux, pour le fabricant comme pour le client, puisqu’il s’agit d’économies qui se retrouvent sur le prix de la batterie. “En maximisant la récupération, la valeur du plomb peut s’annuler, et nous pouvons ainsi faire baisser les tarifs”, expose Elodie Evrard, chef de produit batterie Bosch. Aussi, “du point de vue de l’environnement, toute industrialisation se doit de prendre ses responsabilités vis-à-vis de sa production”, souligne Johann Le Bon, responsable marketing Johnson Controls Power Solutions EMEA.
Chacun a donc mis en place son business model, dont beaucoup ont été imaginés sur la base du volontariat des clients. Johnson Controls a par exemple fait l’acquisition de sites de recyclage en propre, et mis en place le programme Ecosteps. Dans une logique 1 pour 1 au sein d’un circuit fermé, l’équipementier réintroduit une partie du plomb dans ses nouveaux produits, devenant ainsi moins sensible à la spéculation. Avec un système de collecte sur site, Johnson Controls met en avant l’intérêt économique à la fois pour lui, mais aussi pour le client.
Du côté d’Exide, même logique. L’équipementier a baptisé son programme de collecte des batteries usagées “Bat’Clean”. Il rappelle à ses clients qu’ils ont obligation de reprendre gratuitement les batteries usagées et de les mettre à disposition des filières de recyclage. Après signature d’un accord, un bac étanche pouvant contenir jusqu’à 70 batteries est fourni, et le cycle peut ainsi commencer. Un bordereau de suivi de déchets est enfin remis, certifiant la mise en conformité.