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Le 1234, sujet sensible pour la clim

Publié le 23 avril 2014
Par Romain Baly
5 min de lecture
Déjà confrontés à la baisse globale de l’activité climatisation, les réparateurs doivent également gérer l’arrivée dans leurs garages du nouveau fluide R1234yf. Une arrivée plus que chaotique, marquée par des prix exorbitants, un manque flagrant d’information et un tâtonnement généralisé.
Déjà confrontés à la baisse globale de l’activité climatisation, les réparateurs doivent également gérer l’arrivée dans leurs garages du nouveau fluide R1234yf. Une arrivée plus que chaotique, marquée par des prix exorbitants, un manque flagrant d’information et un tâtonnement généralisé.

Comme quoi les nuages ne viennent pas que du ciel. Particulièrement dépendant des conditions climatiques, à l’instar de celui des balais d’essuie-glaces, le marché de la climatisation continue de souffrir. Assez unanimement, tous les acteurs du secteur constatent que leur année 2013 s’est jouée sur un coup de dés. Après six premiers mois instables, juillet est arrivé, emmenant avec lui soleil, chaleur et vacances, soit le mix parfait pour offrir à la climatisation une parenthèse aussi inattendue que bienvenue. Une parenthèse qui a permis à la plupart des réparateurs et des spécialistes de réaliser le gros de leur année sur seulement quelques semaines. Au final, il en ressort un exercice dans la moyenne pour certains, voire légèrement positif pour d’autres. Un bilan qui ferait saliver bien des secteurs, encore et toujours confrontés à la baisse de l’activité automobile dans l’Hexagone, mais qui, dans le cas présent, ne suffit pas à combler les différents acteurs. Et pour cause. Plus que de faire face aux atermoiements du marché, les professionnels de la clim doivent parallèlement gérer depuis le 1er janvier 2013 l’arrivée dans leurs garages du nouveau gaz réfrigérant R1234yf. Un fluide plus respectueux de l’environnement que l’ancien (mais toujours actuel) R134, mais dont l’utilisation reste encore marginale. Une niche qui a fait naître de nombreuses crispations. Si l’innovation a du bon, celle-ci peine à convaincre, et nécessite de lourds investissements. En place depuis à peine plus d’un an, le “douze trente-quatre” ne concerne pour le moment encore que des véhicules sous garantie. Autant dire que le secteur de l’après-vente se demande encore sur quel pied danser. Directeur général de SNDC-Ecoclim, Régis Berdoulat confirme la tendance : “Les professionnels semblent perdus et se demandent si c’est le bon moment pour investir car, actuellement, si l’on en parle beaucoup, les prestations avec du 1234 restent dérisoires pour leur chiffre d’affaires.” “Les garagistes savent que les premiers véhicules équipés du nouveau fluide n’arriveront régulièrement chez eux que d’ici douze à vingt-quatre mois”, ajoute Jacques Harivel, chef de produit équipement d’atelier chez Groupauto.

Un fluide 20 à 25 fois plus cher

Une situation qui attise le doute quant à l’utilité de s’équiper dès à présent. De surcroît, lorsque cet investissement s’élève à plusieurs milliers d’euros. Entre la station de recharge, un éventuel détecteur de fuite et un contrôleur de qualité, l’addition peu très vite frôler les 10 000 euros. Sans compter le prix du fluide lui-même, entre 20 et 25 fois plus cher que l’actuel R134, selon les estimations. Un tarif exorbitant qui s’explique par “le monopole que détiennent les fabricants Honeywell et DuPont, ainsi que par l’absence de production de masse, qui empêche jusqu’à présent de réaliser des économies d’échelle”, détaille Matthieu Cauberghs, responsable de marché prestations climatisation pour Norauto. Une situation qui ne semble pas être amenée à se poursuivre indéfiniment mais qui, si tel était le cas, pourrait avoir de grosses répercussions. Le coût du fluide augmentant, celui de la prestation grimpe aussi. Conséquence, si les tarifs ne redescendent pas à des niveaux convenables, il semble tout à fait plausible que “les automobilistes ne fassent plus entretenir leur climatisation”, comme le note Jacques Harivel. Même constat sur le terrain, où certains professionnels craignent que l’arrivée de ce fluide ne modifie complètement les bonnes pratiques en matière d’entretien qu’avaient peu à peu prises les automobilistes. Patron d’Electric Station Ecoclim à Gujan-Mestras (33), Tony Castillo explique : “Au fil du temps, l’entretien de la climatisation s’est banalisé chez nos clients. Avec cette hausse des prix et ce changement de fluide, on risque de modifier ces bonnes habitudes avec des clients qui réfléchiront à deux fois face à une prestation assez coûteuse.” Un avis suivi par Régis Berdoulat, qui va même plus loin : “Le risque de dérive est réel. Considérant que la prestation est trop chère, certains clients ne rechargeront plus leur clim ou demanderont à ce que le 1234 soit coupé avec du 134 pour faire baisser la facture.”

Les garages en position d’attente

Dans le même temps, découragés par l’investissement initial et régulier particulièrement élevé que cela demande, certains réparateurs n’hésitent plus à se détourner de cette activité. C’est notamment le cas de ce garagiste de Béziers (34) : “La climatisation est devenue une activité beaucoup trop contraignante. Entre l’investissement matériel, l’arrivée du nouveau fluide et toutes les réglementations, je trouve que ce n’est pas assez rentable pour mon garage et je ne renouvellerai pas mon attestation de capacité.” Et pour retrouver une certaine forme de liberté sans avoir à refuser un client, nombreux sont désormais les professionnels à faire appel à des sous-traitants pour réaliser les prestations de climatisation. Une solution plus économique et pratique, comme le souligne Georges Rodrigues, patron du garage Motrio de Bezons (95) : “Dans les périodes de pic, je fais maximum dix recharges par mois. J’ai donc choisi de faire sous-traiter la climatisation par un spécialiste qui me prend environ 60 euros hors taxe par voiture et qui vient quand je le souhaite.” Une situation renforcée par l’arrivée du 1234 dans les garages. “C’est un facteur aggravant, c’est certain, la climatisation est de plus en plus coûteuse et les réparateurs s’en détournent peu à peu”, selon Jacques Harivel. De manière définitive, comme on vient de le voir, ou de manière provisoire. C’est le choix qu’a fait Eric Poterau, garagiste Précisium à Saint-Florent-des-Bois (85). “Je suis en position d’attente concernant le 1234. D’ici deux ans, les véhicules actuellement sous garantie commenceront à arriver régulièrement chez moi et j’investirai dans le matériel nécessaire. En attendant, je préfère sous-traiter le peu de véhicules qui arrivent dans mon garage.” Un choix par défaut qui ne devrait donc pas durer, mais qui se trouve aussi induit par une grande méconnaissance du sujet de la part des principaux intéressés. Un manque d’information que reconnaissent ces derniers, mais qu’ils dénoncent aussi, mettant en cause directement leurs interlocuteurs du quotidien que sont les fournisseurs, les représentants et les formateurs. “C’est quand même incroyable. Le 1234 semble être le fluide du futur et, pourtant, personne n’en parle !”, s’étonne Alain Soler, garagiste à Auch (32), lui aussi dans l’expectative.

Un flou pas assez vite dissipé

“On a l’impression que personne n’est réellement au courant. Lors de ma dernière formation, le sujet n’a été évoqué que brièvement”, ajoute le Gersois. Et pour cause. A l’image des réparateurs, les pouvoirs publics – pas franchement aidés par certains constructeurs – ont également tardé à clarifier les choses. Face aux pressions de grands noms de l’automobile, tels que Mercedes ou Toyota, qui refusaient de l’utiliser, considérant qu’il était dangereux pour les automobilistes, le 1234 a longtemps végété entre de persistants grognements et de légers soutiens. Le 10 mars dernier, l’Union européenne l’a finalement blanchi de tout soupçon. Les résultats de l’étude de l’UE montrent “qu’il n’y a aucune preuve d’un risque grave de l’utilisation de ce fluide frigorigène dans les systèmes mobiles de climatisation (MAC) dans des conditions d’utilisation normales et prévisibles”. Une conclusion qui maintient donc l’obligation des marques à installer le 1234 dans leurs nouveaux véhicules et qui clarifie quelque peu les choses. Reste le cas épineux de la formation. Bien que déjà en vigueur, le nouveau fluide n’a pas été accompagné d’une modification de l’attestation de capacité. Or, techniquement, des différences existent bel et bien, notamment en matière de pression et d’étanchéité. Directeur du développement d’eXponentia France, spécialiste de la formation automobile, Pascal Renne admet “un certain flou, dû en grande partie aux balbutiements de la réglementation”, mais relativise également ce retard en la matière. “Aujourd’hui, le 1234 n’est pas encore réellement dans le circuit des MRA, ce qui laisse du temps pour peaufiner les éventuels changements”, souligne le fondateur de Daf Conseil. Si rien n’est encore acté, il se murmure que cette modification technique de la formation pourrait s’accompagner d’une modification de la validité de l’attestation. D’ici quelques mois, celle-ci pourrait ne plus être valable à vie et devrait être renouvelée tous les cinq ans. Un projet qui ne manque pas de faire grincer des dents du côté des associations et des fédérations, qui y voient là une occasion de favoriser le business des formations. “C’est un faux débat, une partie de ces remises à niveau sont payées par la profession alors que l’autre est répercutée sur les prix. Cela ne changera rien pour les réparateurs”, s’insurge Pascal Renne. Au final, le marché de la climatisation semble faire le grand écart entre un présent particulièrement flou et un avenir plutôt limpide. La situation actuelle résulte avant tout d’une période transitoire. Passé celle-ci et une fois que cette niche aura gagné en volume, les prix pourront alors commencer à diminuer et ne constitueront plus forcément un obstacle, pour les professionnels comme pour les clients. Si le niveau d’activité, aussi bien en termes de pièces détachées que de prestations reste incertain, pour le reste, la clim est en passe de chasser les nuages.

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