Lubrifiants : le marché prêt à changer de régime

Avec un volume de 162 259 tonnes d’huiles écoulées entre janvier et juillet 2025, le marché intérieur des lubrifiants automobiles confirme sa stabilité (+0,1 %), selon les dernières données du Centre professionnel des lubrifiants (CPL). Et ce, malgré un léger recul de 2,3 % au premier trimestre. Ce résultat contraste avec les exercices précédents, marqués par des baisses plus prononcées. D'ailleurs, en année glissante, d'août 2024 à juillet 2025, le volume de lubrifiants automobiles écoulés atteint 268 000 tonnes, soit un léger recul de 2,3 %.
Léger rebond en 2025
Dans le détail, les moteurs de voitures de tourisme représentent 97 621 tonnes, soit près de 60 % du marché. L’essence et les motorisations mixtes dominent largement avec 83 357 tonnes, en progression de 4 %, tandis que le diesel tourisme poursuit sa chute, tombant à 11 169 tonnes (-24 %). Les segments périphériques (deux-roues, motoculture, nautisme) pèsent encore 3 095 tonnes. Les utilitaires diesel affichent 29 685 tonnes, confirmant leur poids significatif dans le marché (10,7 %).
Du côté des acteurs, la répartition reste stable : les pétroliers demeurent majoritaires avec 52,3 % des volumes, contre 47,3 % pour les indépendants du graissage, et 0,34 % pour les autres sociétés. Comme toujours, les statistiques du CPL incluent le premier plein réalisé en usine, sans distinction entre les véhicules assemblés en France (Peugeot 308 et 3008, Toyota Yaris Cross, Citroën C5 Aircross…), et ceux produits à l’étranger puis importés.
Autre évolution marquante : face à la hausse des prix, les marques de distributeurs gagnent du terrain et occupent une place prépondérante. Selon les données de GfK-NielsenIQ, le chiffre d’affaires du marché des lubrifiants vendus en libre-service (hypermarchés, supermarchés et centres auto) s’est porté à 215 millions d’euros pour 28,4 millions de litres l’an dernier, soit une progression de 1,4 % en volume et de 3,8 % en valeur.
Sous la pression croissante de ces "private labels", les pétroliers, les indépendants du graissage et les formulateurs-additiveurs conservent toutefois un avantage déterminant. Leur maîtrise technologique reste décisive face aux défis posés par le downsizing – avec la généralisation des moteurs à cylindrée réduite – et par l’hybridation, qui impose de nouvelles contraintes en matière de lubrification.
Un marché tiré par l’âge du parc
Si la part des immatriculations a évidemment une incidence sur le marché, ce sont surtout les intervalles de vidange qui pèsent sur l’activité. Fixés par les constructeurs, ils oscillent entre 20 000 et 30 000 km ou tous les deux ans, selon la motorisation. Des exceptions existent. "Sur les modèles hybrides non rechargeables de Toyota/Lexus, la vidange est prévue à 15 000 km, notamment afin de contrôler la batterie de traction", rappelle Éric Candelier, président de Yacco. De tels cas contribuent à freiner l’érosion du marché en volume.
C’est le cas de la marque française, qui affiche une croissance solide en 2024 et au premier quadrimestre 2025. "Cette vitalité se retrouve dans la plupart des segments de l’entretien. Si les concessionnaires connaissent davantage de difficultés, les pneumaticiens et les MRA s’en sortent bien grâce à leur proximité avec les clients et leur capacité d’adaptation. La bonne tenue du marché VO (+2,4 % à fin avril) et le vieillissement du parc les favorisent", analyse Éric Candelier.
L’âge moyen des véhicules poursuit en effet sa hausse : 11,9 ans en 2024, contre 11,6 ans un an plus tôt, selon AAA Data. Sur les 42 millions de véhicules en circulation en France, plus de 13,4 millions ont dépassé les 15 ans, soit un tiers du parc roulant. Et si le diesel continue de perdre du terrain, il reste encore majoritaire avec 49,9 % du parc. Ces tendances expliquent la résilience du marché des lubrifiants, malgré l’émergence progressive de l’électrique (2,7 % du parc).
Face à un parc roulant de plus en plus complexe, de nombreux automobilistes manquent de repères. Près d’un sur deux souhaite que son atelier lui recommande directement le lubrifiant adapté à son véhicule, selon une enquête commandée par Castrol et réalisée par OnePoll. L’incertitude apparaît dès l’achat : seuls 23 % des clients affirment que leur concessionnaire leur a indiqué un type d’huile précis lors de la livraison.
Par la suite, l’information reste parcellaire : à peine 52 % déclarent que leur réparateur précise quel lubrifiant est utilisé lors des entretiens programmés. Et rares sont ceux qui s’informent par eux-mêmes, puisque seulement 6 % disent rechercher ces données en ligne. Autant d’éléments qui montrent que les professionnels de la maintenance ont encore un rôle clé à jouer dans la pédagogie et la sensibilisation autour du choix du lubrifiant.
"Les ateliers jouent un rôle crucial en aidant les automobilistes à choisir le bon lubrifiant moteur, et ainsi garantir un fonctionnement sécurisé et efficace de leur voiture. Les consommateurs sont manifestement très réceptifs. Cela peut créer de formidables opportunités de ventes croisées et incitatives de produits haut de gamme, et renforcer la fidélité", confirme Henning von Rheden, directeur de la marque et de la communication pour l’Europe chez Castrol.
Le grade de viscosité 5W-30 sous tension
Ce besoin d’information et d’accompagnement intervient dans un contexte où les professionnels eux-mêmes doivent composer avec des contraintes techniques et réglementaires toujours plus complexes. L’année 2024 a notamment été marquée par des tensions d’approvisionnement sur le grade 5W-30, liées aux exigences de Stellantis et à la norme FPW9.55535/03, suite aux problèmes sur les moteurs DV5R et EB2 (PureTech).
Au départ, seul TotalEnergies Lubrifiants était en mesure de fournir les ateliers. La situation s’est normalisée courant 2024, mais Castrol n’a présenté son Magnatec qu’en février 2025, et Motul son Specific au printemps. Aujourd’hui, seuls les produits Total et Mobil bénéficient d’une homologation officielle du constructeur.
En termes de répartition, le 5W-30 reste en tête avec 37,2 % du marché (+2 %), devant les grades 0W (26 %, +3 %) et 5W-40 (13,4 %, +0,2 %). À eux trois, ils totalisent près de 77 % du marché. Côté normes, après l’entrée en vigueur de l’ACEA 2021 en mai 2023, la situation reste stable en Europe. Aux États-Unis, l’API a validé de nouvelles spécifications pour les huiles moteur essence : ILSAC GF-7A, GF-7B et API SQ. Destinées aux véhicules à partir de 2026, elles incluent des viscosités très faibles (0W-8, 0W-12) et renforcent la protection contre le LSPI, l’usure et les températures élevées.
Depuis mars 2025, la norme API SQ est entrée en vigueur, imposant des essais supplémentaires pour garantir la longévité des moteurs. Shell a d’ores et déjà annoncé que sa gamme Helix Ultra – pas encore commercialisée en France – répond à ces nouvelles exigences.
Vers des lubrifiants bas carbone et circulaires
Ces avancées technologiques s’accompagnent désormais d’un enjeu majeur lié à l’économie circulaire. L’évolution vers des huiles à faible empreinte carbone, regroupées sous l’appellation ACT (Advanced Circular Technologies), est déjà engagée. Elle se traduit par l’introduction d’huiles biosourcées ou régénérées et par d’importants investissements dans ce domaine.
En témoigne l’ouverture par Motul, fin 2024, d’un nouveau site de recherche et développement à Vaires-sur-Marne (77). Parmi ses différents travaux, une équipe de 16 chimistes, ingénieurs et chercheurs internes y étudieront les futures générations de lubrifiants pour moteurs hybrides et thermiques. Objectif : améliorer leurs performances et y incorporer des matières régénérées à partir des produits recyclés.
Rappelons que Motul a également lancé l’an dernier sa nouvelle gamme d’huiles moteur durables, baptisées Ngen 4 et Ngen 6. Ces produits, contenant jusqu’à 65 % d’huile de base régénérée, offrent des performances techniques équivalentes aux lubrifiants traditionnels tout en réduisant leur impact environnemental.
Pour répondre à ces nouveaux enjeux, l’éco-organisme Cyclevia poursuit d’ailleurs ses efforts pour faire de la régénération des huiles un axe central de sa stratégie. En 2024, 87 % des huiles collectées ont été régénérées ou recyclées, réduisant la part valorisée en énergie. Ce taux devrait encore progresser avec un appel à projets lancé en février dernier pour soutenir l’installation d’une nouvelle unité de régénération en France, capable de produire des huiles de base de groupes 2 et/ou 3.
Cet appel permettra de booster le volume et la qualité des huiles régénérées sur le marché tricolore. L’usine produira à terme des huiles compatibles avec les matériels de dernière génération, notamment les moteurs Euro 5 et 6. Pour le moment, l’Hexagone ne dispose que d’unités industrielles produisant des huiles de groupe 1, inadaptées à ces moteurs plus exigeants. Les formulateurs français n’ont ainsi d’autre choix que de s’approvisionner en Europe, principalement en Allemagne et en Italie, où la hausse de la demande entraîne une insuffisance des volumes disponibles.
