Alexis Frèrejean (Vroomly) : "Accompagner la distribution traditionnelle dans sa transformation numérique"

Le Journal de la Rechange et la Réparation : Avant d’aborder vos ambitions, jetons un œil dans le rétro : vous affichez plus de 6 000 garages actifs et 2,5 millions de références disponibles sur votre place de marché. Pouvez-vous faire un bilan des étapes majeures qui vous ont permis d’atteindre ces chiffres ?
Alexis Frèrejean : On est à un point très satisfaisant aujourd’hui, un vrai point charnière. Quand on a monté l’entreprise en 2017, à trois, on s’est fixé une mission : simplifier le quotidien des garages. On savait que la route serait longue, alors on est allés voir près d’une centaine de garages. C’était notre phase de "discovery". En creusant, on a confirmé deux besoins : d’abord l’apport d’affaires, ensuite une meilleure organisation de la gestion d’atelier pour la fluidifier – à l’époque, c’était encore très "papier-stylo".
Et on avait une conviction forte : sur un marché d’environ 30 milliards d’euros, dont plus de la moitié vient des pièces de rechange, le modèle de Vroomly passerait par la vente de pièces… Mais la valeur pour le garagiste ne s’arrête pas à la pièce : elle tient aussi aux services autour. On a donc décidé de prendre le problème "à l’envers" : d’abord apporter des clients, ce qui n’est pas simple. On a plutôt bien réussi : au fil des années, on a fédéré 5 000 à 6 000 garages.
Du coup, quand on est allés voir des distributeurs après la Covid, en 2021, on avait une vraie proposition de valeur : créer une plateforme permettant aux garagistes d’acheter mieux, plus vite, moins cher, avec davantage de choix. Surtout, nous voulions faire évoluer la distribution en nous appuyant sur des acteurs français qui font ce métier depuis longtemps plutôt que d’importer des pièces en direct.
Par la suite, on a lancé notre SaaS de gestion d’atelier, d’abord en test. Aujourd’hui, plus de 500 garages l’utilisent quotidiennement et on va le lancer commercialement en début d’année. C’est un point d’étape important : sur notre plan d’investissement de 2017, on avait promis un "360°" autour du garage pour que le réparateur puisse se concentrer sur son cœur de métier.
On l’a fait, avec une belle croissance : on a atteint un chiffre d’affaires de 53 millions d’euros en 2025, soit +55 % sur l’année. Surtout, on a achevé la construction du produit et on est rentables depuis plusieurs mois. Bref, sur un plan écrit sur 8-10 ans, on est arrivés là où on voulait être.
Avec Parts, pour la même référence, on peut proposer un H+4 à 100 euros, un J+1 à 80 euros et un J+3 à 75-70 euros. Cette logique "customer-centric" paie : la croissance est là, la rentabilité aussi, et plus de 6 000 garages sont actifs sur la plateforme. Ça n’a pas toujours été facile, on a eu des doutes, mais on a amené le bateau au port. Maintenant, on sait où on veut l’emmener.
J2R : Vous visez une nouvelle croissance de 50 % en 2026, et une part de produits durables portée à 20 % du chiffre d’affaires d’ici 2026. Quels sont, selon vous, les principaux leviers pour y parvenir ?
A.F. : C’est très simple, nous suivons trois axes. Primo, nous voulons poursuivre notre croissance en France. Sur notre modèle, sans rien changer, il n’y a aucune raison de ne pas atteindre le demi-milliard d’euros de CA en B2B en France avec une plateforme bien conçue. Le premier levier, c’est donc de pousser ce que l’on fait déjà bien : le "one-stop shop".
En parallèle, nous souhaitons dupliquer le modèle à l’international. On vise l’ouverture d’un premier pays début 2026 : Espagne, Italie ou Allemagne. On a nos préférences, mais on étudie les trois pays pour ne pas se tromper. L’idée, c’est de bâtir un vrai playbook d’ouverture pour viser ensuite une position européenne. Le modèle est plus duplicable qu’on ne l’imagine. Certains nous disent que le "one-stop shop" est une tarte à la crème : tout le monde le clame, peu l’exécutent vraiment.
On voit des concurrents qui couvrent 30-50 % du scope ; la tendance est d’élargir, ce qui valide notre stratégie. Enfin, nous nous sommes aussi fixé pour objectif d’adresser de nouveaux clients : les grands comptes. On teste des offres en marque blanche avec des enseignes : soit sur la brique "logiciel de gestion", soit comme filet de sécurité sur l’offre pièces derrière leur supply chain. En bref, mettre notre technologie, un logiciel robuste et une marketplace bien approvisionnée à disposition de grands groupes, en marque blanche.
J2R : Votre développement peut-il aussi passer par de la croissance externe ?
A.F. : Nous restons ouverts sur ce sujet. Mais dans le web, associer deux sites, c’est comme marier la carpe et le lapin… Dans le "brick & mortar", on achète des actifs tangibles, des équipes. Sur des activités connexes, pour l’instant, on n’a pas trouvé de cible européenne qui nous intéresse. Ça pourrait changer si on attaquait une verticale voisine portée par un acteur ayant déjà bien préparé le terrain, mais ce n’est pas d’actualité.
J2R : Le service Parts pèse de plus en plus dans votre activité. Les distributeurs traditionnels étaient réticents à l’arrivée des marketplaces. Comment la relation a-t-elle évolué ?
A.F. : Chez Vroomly, nous n’avons jamais été réticents vis-à-vis d’eux. Nous avons quelques fournisseurs étrangers, mais l’immense majorité de notre volume vient de la distribution traditionnelle française. On met trop souvent tous les pure players dans le même sac. Or tout dépend du modèle.
Nous n’avons pas créé un concurrent de la distribution, mais un nouveau canal pour développer l’activité de nos partenaires. Au lancement, notre message aux distributeurs était simple : vous servez 500 à 800 garages, notre réseau en adresse 5000. Intégrons vos références à la plateforme pour élargir votre clientèle.
Nous privilégions des partenariats structurés avec la distribution ; nos véritables concurrents sont les pure players dont le modèle diffère du nôtre. Notre objectif n’est pas de court-circuiter la chaîne historique, mais d’accompagner la distribution traditionnelle dans sa transformation numérique.
J2R : Combien de distributeurs comptez-vous aujourd’hui sur votre marketplace ?
A.F. : On a 80 points de stock en France – ce qui ne veut pas dire 80 entités –, et ce maillage couvre 90 à 95 % des besoins de nos clients. On va continuer d’étoffer, notamment avec des “ultra-généralistes”. L’important n’est pas d’avoir un distributeur près de chez toi, mais un distributeur qui a la pièce. On travaille donc par familles (PRE, pneumatiques, carrosserie, etc.). Ce maillage est potentiellement infini. Quand on a commencé, ça marchait déjà avec 3 acteurs ; aujourd’hui, on en a 80. C’est très dense.
J2R : Y a-t-il des lignes de produits encore insuffisamment couvertes que vous voulez renforcer ?
A.F. : La principale force de Vroomly réside dans l’exhaustivité de son offre. Dès nos débuts dans la pièce, nous avons interrogé les garages pour comprendre leurs critères de choix d’un fournisseur principal. Trois éléments ressortent systématiquement, dans cet ordre : la largeur de gamme, la rapidité de livraison et le prix.
Autrement dit, le réparateur veut avant tout trouver la pièce, la recevoir rapidement et, bien sûr, l’acheter au bon tarif. Notre modèle nous permet précisément de répondre à ces trois exigences. Nous couvrons l’ensemble des familles de produits, et nous nous distinguons particulièrement sur plusieurs d’entre elles.
Vroomly propose aujourd’hui une offre très complète en pièces de rechange, une gamme de pneumatiques étendue, des références en carrosserie, mais aussi de la pièce d’origine. Avec, en complément, la possibilité d’une livraison en H+4. Le tout à un niveau de prix compétitif.
J2R : L’offre de pièces de réemploi (PRE) prend de l’ampleur chez vous. Est-ce parce que votre offre a grossi, ou parce que la demande s’accélère ?
A.F. : Les deux. Et il y a une troisième raison : la PRE, c’est win-win-win. Bon pour la planète, moins cher pour le garage et pour le client. Le frein, c’est que c’est un marché de pénurie. Le modèle marketplace fonctionne bien : en connectant plusieurs acteurs, on voit en temps réel où la pièce est disponible. Ce n’est pas un stock avec 15 unités en rayon.
Chez Vroomly, on a intégré PRE et Piec (pièces issues de l’économie circulaire) dans les résultats aux côtés des pièces neuves. Ces produits deviennent une option du quotidien, comparable aux gammes premium/budget. La visibilité éduque : même les garages réticents y sont exposés tous les jours et prennent peu à peu le réflexe. Aujourd’hui, la PRE représente 7 à 8 % de notre CA. Notre objectif à fin 2027 est de dépasser 20 %. Parce que c’est bon pour tout le monde, tout simplement.
J2R : Sur votre activité historique, la comparaison de devis, quelle est la typologie des 6000 garages actifs ?
A.F. : On a de tout : centres autos, fast-fitters, réseaux constructeurs. Mais Vroomly est avant tout le partenaire du MRA, le garagiste indépendant, avec ou sans panneau. Sur la prise de rendez-vous, le logiciel de gestion comme sur la pièce, c’est notre client principal.
J2R : Souhaitez-vous densifier encore ce maillage de garages partenaires ? Quels leviers d’acquisition privilégiez-vous ?
A.F. : Notre spécificité, c’est d’avoir soigné les MRA, parfois oubliés ailleurs. Vroomly vise à redonner du pouvoir au garagiste : lui offrir, grâce aux outils et à la notoriété, les moyens d’un franchisé, sans le coût. On a organisé l’entreprise pour traiter ce type de clients : marketing, forces commerciales, service client dédié MRA. Les leviers qui marchent sont ceux qu’on exploite depuis le début : bien communiquer, être proche des garages, échanger souvent avec eux. Oui, on veut étendre le maillage, surtout pour porter la solution “one-stop shop” à un maximum d’ateliers.
J2R : Comment générer plus de business pour ces ateliers ?
A.F. : On est très bons en SEO et en acquisition payante : on achète des mots-clés pour générer des rendez-vous. Avec l’arrivée de Karen, on va muscler la notoriété. Et on veut aussi outiller chaque garage pour développer sa notoriété : via Vroomly, lui donner de vrais leviers marketing pour augmenter son impact local.
J2R : Quelle direction souhaitez-vous suivre pour le développement des nouveaux services ?
A.F. : Accompagner le garagiste sur toute sa journée. On lui apporte des clients. On a désormais l’un des meilleurs SaaS du marché, proposé à un prix juste : devis en ligne (maîtrisés et réalisés en trois clics), transformation en ordre de réparation puis en facture, lien automatique avec l’agenda, gestion de la réception, affectation des productifs, profils réparateurs, etc.
Beaucoup proposent des briques isolées. Nous, on offre une expérience simple et exhaustive. Prochaine étape : rendre le tout encore plus "sans couture". Et permettre d’acheter/recommander des pièces depuis le devis, la plateforme ou la facture avec des workflows fluides et naturels pour l’atelier.
J2R : Karen, vous venez d’un univers très différent de l’après-vente. Quel regard portez-vous sur ce métier et sa digitalisation ?
Karen Seror : Le secteur reste fragmenté et, côté garages, encore sous-digitalisé. Dans certains ateliers que j’ai visités, on voit encore l’agenda papier et le paperboard. Ça m’a donné un flashback : j’ai connu d’autres secteurs au début de leur transition digitale il y a vingt ans. Ici, on est au démarrage et c’est passionnant d’y contribuer. Je parle souvent de "garage connecté" : véhicules connectés, outils connectés…
Côté produit, notre CPO, Jean-Philippe Coutard, porte la vision d’une application mobile. Le mobile est le compagnon naturel du garagiste : à portée de main, partout. Jusqu’ici, nos outils étaient accessibles en web app ; on va ajouter une vraie application, avec notifications push pour être présents à chaque étape du workflow quotidien. Notre mission, c’est d’être l’allié du garagiste, au plus près de lui. Je suis nouvelle, donc j’écoute, les fondateurs et les garagistes. Ma plus belle satisfaction sera la leur.
J2R : Vroomly, c’est à la fois un comparateur de devis, une marketplace de pièces et des services pour les garages. Comment voyez-vous la marque évoluer d’ici 3 à 5 ans ?
K.S. : Notre ambition est claire : faire de Vroomly l’allié du garage. On reste centrés sur le garagiste, dans le positionnement, les outils et l’expérience client côté atelier. Aujourd’hui, Vroomly est très associé au comparateur ; demain, la marque devra être associée au compagnon du garagiste, celui qui porte la voix des ateliers et revalorise la profession. C’est ambitieux, mais nécessaire. Cela passera par des campagnes de notoriété et de brand content, un dispositif marketing complet.
A.F. : Karen met en forme ce qu’on fait déjà : donner des outils, des services et des moyens aux indépendants – souvent derniers acteurs locaux – dans un contexte de mutations (énergie, réglementations, etc.). La marque doit refléter ce que l’on fait au quotidien.
