Pourquoi l'e-commerce séduit toujours plus les réparateurs
L'achat de pièces automobiles sur Internet se généralise. Encore réservée il y a quelques années à une communauté de "do-iteurs" avertis, la pratique séduit un public toujours plus large.
Dans une étude publiée en début d'année, intitulée "L'essor d'un nouveau canal", le cabinet de conseil Roland Berger s'est penché sur l'évolution du marché e-commerce allemand, à la structure assez proche du nôtre. Selon cette enquête, la distribution de pièces de rechange en ligne enregistre outre-Rhin un taux de croissance annuel moyen de 7 à 8 %. D'ici à 2025, la part de marché du e-commerce devrait atteindre 20 %.
Autre point intéressant dans ce rapport : les consommateurs finaux ne représentent "que" 61 % des achats réalisés sur les sites de vente en ligne tandis que les professionnels, toujours plus nombreux à se laisser tenter par les sirènes du digital, concentrent près de 40 % (dont 32 % de garages) de leur activité.
Une évolution que n'a pas manqué de constater Jean-Marie Nelias, automotive category manager pour eBay France : "eBay compte 132 millions de clients actifs au total dans le monde, et la catégorie pièces autos-motos représente un tiers d'entre eux. Nous ne distinguons pas nos clients particuliers des professionnels, mais nous sommes capables d'identifier ces derniers par la récurrence de leurs achats et la typologie de pièces achetées. Et ils sont de plus en plus nombreux…"
Même satisfaction affichée par Mister-Auto, qui avait été l'une des premières plateformes e-commerce à cibler les professionnels en 2016. Un pari payant : si la part des ventes BtoB était de 10 % en 2022, elle a atteint 15 % l'an dernier. L'opérateur compte désormais 25 000 clients pros. "Nous visons un objectif de croissance de 20 % en 2024", partage Jérémy Chouteau, directeur commercial et marketing BtoB.
Un effet inflation ?
Plusieurs facteurs peuvent justifier cet intérêt plus marqué des réparateurs pour les plateformes du web. Primo, l'offre de produits disponible en ligne s'est significativement élargie et les principales gammes de l'aftermarket (pièces mécaniques et de carrosserie, pneumatiques, lubrifiants, PRE, etc.) sont à portée de clics. Cette diversification des catalogues s'est accompagnée de l'arrivée de nouveaux acteurs.
Aux côtés des sites e-commerce traditionnels (Oscaro, Mister-Auto, Autodoc, etc.), les places de marché (ou marketplaces) se sont également fait une place dans le paysage de la rechange automobi le, qu'elles soient généralistes (eBay, Amazon, etc.) ou spécialisées (Vroomly Parts, Aniel, 07ZR, etc.).
Plus conjoncturel, un autre facteur a favorisé le canal e-commerce ces deux dernières années : l'inflation. La flambée des prix, particulièrement sensible entre 2022 et 2023, n'a pas épargné lubrifiants/consommables et pièces de rechange. Ce qui a conduit certains réparateurs à se tourner vers de nouveaux fournisseurs aux prix plus attractifs.
"Le contexte inflationniste a été porteur. Par définition, Oscaro a toujours été une réponse aux problématiques de pouvoir d'achat. Mais cette problématique d'inflation a aussi ses revers puisque les consommateurs flèchent leurs dépenses par importance. D'autres postes prioritaires ont pu prendre le pas sur l'automobile, même si de nombreux clients ont besoin de leur véhicule pour se déplacer", constate Patrick Desmasures, directeur général d'Oscaro.
Du côté de Mister-Auto, Jérémy Chouteau se montre également nuancé dans son analyse, estimant que l'attrait des ateliers pour le web s'inscrit dans une évolution globale du secteur. "L'inflation n'a pas particulièrement tiré nos activités. Le marché change et les réparateurs ont besoin de conditions tarifaires pour des offres "good, better et best" afin de répondre à tous types de besoins", souligne-t-il.
Une offre sans égale
Or, force est de constater que les acteurs du web sont particulièrement plébiscités pour les opérations de maintenance concernant des véhicules âgés. D'après l'étude de Roland Berger, la pénétration des pure players atteint 15 % pour le parc âgé de 10 ans et plus, et 6 % pour les modèles ayant 4 à 8 ans.
"Beaucoup de pièces sont généralement achetées en ligne pour les véhicules des segments II et III [âgés de plus de 4 ans, ndlr], lorsque la garantie constructeur expire et que les conducteurs migrent vers le marché de l'après-vente indépendant", ajoute le cabinet d'étude.
Cette tendance est corroborée, sur le terrain, par Jean-Marie Nelias : "L'inflation n'est pas le seul paramètre qui a favorisé nos ventes. Le vieillissement du parc automobile a également été très bénéfique, en particulier pour la pièce de réemploi."
De plus en plus de services pour les pros
Forts de ces atouts, certains opérateurs numériques ont fait de la clientèle BtoB un levier de développement prioritaire. "Elle est devenue très importante pour Mister-Auto, reconnaît Jérémy Chouteau. Raison pour laquelle nous avons décidé d'en faire un axe stratégique, avec un site spécifique et des services dédiés."
Effectivement, depuis quelques années, plusieurs sites e-commerce et marketplaces ont déployé des prestations spécifiques pour répondre aux besoins des ateliers. L'ambition est également de se rapprocher le plus possible du niveau de services proposé par la distribution traditionnelle.
"Nous sommes un distributeur de pièces et apportons un service équivalent aux grossistes de proximité avec un accompagnement dédié aux professionnels. […] L'idée, c'est de créer du lien et de proposer un service à distance aussi fort qu'un service de proximité", soutient Jérémy Chouteau.
Pour ce faire, Mister-Auto mise sur plusieurs nouveautés, dont la nouvelle interface de son site BtoB, qui a été optimisée pour s'adapter aux habitudes de navigation des professionnels. Les prix y sont affichés hors taxes, les promotions sont plus visibles et le paiement Sepa est accessible. Le pure player propose aussi une assistance téléphonique réservée aux professionnels pour les accompagner dans leurs commandes.
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Renforcer le lien et le support fourni aux réparateurs, c'est également la voie empruntée depuis quelques années par Vroomly. "Nous avons notre propre service client internalisé, c'est une force. Chaque garagiste bénéficie ainsi de son account manager", rappelle Alexis Frèrejean, CEO et cofondateur de la place de marché. L'an dernier, celle-ci s'est illustrée avec le déploiement de Vroomly Pro, une plateforme destinée aux garages réunissant plusieurs solutions facilitant la gestion de leur activité.
Programmes fidélité et RFA
Pour séduire les ateliers, les sites e-commerce et marketplaces n'hésitent pas à proposer des programmes de fidélisation afin de concurrencer les RFA accordées par la distribution traditionnelle.
L'allemand Autodoc a été pionnier dans ce domaine. Selon leurs achats mensuels réalisés sur la plateforme, les ateliers peuvent accéder à différents statuts (Silver, Gold, et Platinum) offrant plus de services et de remises. Exemple : les clients Gold peuvent bénéficier de livraisons gratuites et de 2 % de remise de fin de mois. Pour les Platinum, cette remise passe à 4 %.
Cet été, Vroomly s'est illustré en lançant à son tour des remises de fin de trimestre. Les réparateurs atteignant les paliers de 10 000 euros et de 15 000 euros de commandes sont dorénavant récompensés respectivement à hauteur de 2 % et 4 % de leurs achats. "C'était une grosse attente de nos garages", reconnaît Alexis Frèrejean.
Chez Mister-Auto, on annonce la mise en place prochaine d'un programme d'offres basé sur les volumes d'achats. Du côté d'Oscaro, qui ne cible pas particulièrement les professionnels, un dispositif de fidélisation vient également d'être instauré ("Oscaro & Moi") permettant de cumuler des points à chaque euro dépensé.
Ces points peuvent être échangés contre des cadeaux. "En contrepartie de leur confiance, nous proposons à nos clients un système de récompenses et restons ainsi dans cette logique BtoC", précise Patrick Desmasures.
Livraison : les pure players rattrapent leur retard
Si le canal e-commerce gagne en popularité auprès des ateliers, son développement reste limité par plusieurs facteurs, à commencer par les délais de livraison. Sur ce point, les sites de vente en ligne peinent à concurrencer les grossistes de proximité, capables d'acheminer leurs commandes en H+4. Chez Autodoc, le délai de livraison moyen s'élève à J+3.
Du côté d'Oscaro, il faut compter entre 2 et 5 jours pour récupérer son colis. "On peut livrer plus rapidement, mais c'est plus cher", indique Patrick Desmasures, qui ajoute que des efforts sont continuellement engagés pour optimiser la logistique. Chez Autodoc France, on promet également de réduire ce délai à J+1 pour les produits stockés (environ 100 000 références) avec l'ouverture en 2025 d'un entrepôt de 15 000 m² en Belgique.
Dans ce domaine, les places de marché jouissent d'un avantage puisqu'elles s'appuient sur des distributeurs locaux capables d'expédier leurs produits plus vite. Un atout que ne manque pas de valoriser 07ZR, qui garantit une livraison dans la demi-journée si un partenaire distributeur est implanté à proximité du client. "Nous avons étoffé notre offre en faisant du H+4, du J+1 et un service express depuis l'étranger. Il a fallu répondre aux besoins de réactivité des garagistes. Le H+4, c'est la force d'une place de marché", affirme Jean-Vincent Schaffnit.
Allant encore plus loin dans son engagement, Vroomly a lancé au cours de l'été une garantie de livraison "à l'heure près" sur une sélection de produits identifiés par un macaron. En cas de retard, 20 % du montant de la commande est crédité automatiquement aux réparateurs.
"Grâce à la data que nous avons cumulée sur ces dernières années, nous sommes capables d'identifier les trajets les plus sûrs en termes de livraison. Nous avons aussi travaillé avec nos distributeurs partenaires pour garantir cette qualité du service, et les résultats sont à la hauteur de nos attentes. Nous voulons devenir les meilleurs livreurs du marché", lance Alexis Frèrejean.
Aujourd'hui, cette garantie de livraison est proposée sur 60 % du catalogue Vroomly (1,5 million de références). La marketplace entend bien pérenniser ce service et l'étendre à 90 % de ses produits d'ici à la fin de l'année.
Indispensable e-commerce ?
Des tarifs attractifs, une offre exhaustive, un accompagnement renforcé et une logistique toujours plus efficace : les plateformes web ont de nombreux atouts à faire valoir. Au point de s'affirmer comme les premiers fournisseurs des ateliers ? Pas sûr.
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Dans son étude, Roland Berger estime que le commerce en ligne, même s'il "changera les règles du jeu", se heurtera à certaines limites. "La plus grande force du e-commerce est aussi sa plus grande faiblesse : la virtualité ! Dans la bataille pour les clients du retail, les acteurs digitaux ont besoin d'une interface offline", poursuit le cabinet d'étude.
Les experts de la société d'étude considèrent que le canal e-commerce ne devrait pas atteindre son pic sur le marché de l'après-vente avant plusieurs années.