Gaël Escribe et Antoine Beaudet, itinéraires croisés
Messieurs, c'est intéressant et en même temps étonnant de vous retrouver ensemble. Qui est à l'initiative de cette rencontre ?
Gaël Escribe : Bien qu'il y ait une génération d'écart entre nous, Antoine et moi partageons une même passion de notre métier, et je trouvais intéressant que l'on se réunisse pour échanger après cette rencontre initiale lors des Grands Prix de la Rechange. Le point de départ, c'est vraiment cette passion, même s'il y a aussi d'autres choses. Il y a deux ans, j'ai été l'un des instigateurs de l'as-sociation Talents4AA [Des talents pour l'après-vente, ndlr] qui pousse justement pour que l'on attire de nouveaux talents dans notre industrie. On fait un métier qui est extrêmement captivant, mais beaucoup de jeunes diplômés ne le savent pas et ne sont pas suffisamment informés. Je pense qu'Antoine est un exemple pour ces générations qui se disent "Qu'est-ce que je vais faire demain ? " et qui adorent la mécanique. Ce sont ces gens-là qu'on doit aller chercher, et ils ont aussi besoin de modèles. Antoine en est un. Avec Talents4AA, on veut "équiper" notre industrie avec le capital humain qu'elle mérite d'avoir. Il y a plein de carrières intéressantes, il faut le faire savoir et le parcours d'Antoine va dans ce sens.
Justement, qu'est-ce qui vous a séduit dans le parcours et le discours d'Antoine ?
Gaël Escribe : Il y a une chose que je trouve très importante, c'est la fraîcheur. Ce que j'apprécie avec Antoine, c'est qu'il y a de la fraîcheur, de l'enthousiasme, de la joie, du leadership naturel aussi. On a besoin de tout ça. On a besoin d'avoir des leaders joyeux qui sont heureux de partager leur succès. Et tout ça avec un style qui est très humble. C'est une valeur que je partage aussi. Le style d'Antoine appelle à ce qu'on le suive dans les aventures qu'il a déjà construites et qu'il va construire demain. On est dans un univers où on voit trop souvent les mêmes têtes, et on a besoin de jeunes gens comme lui pour embarquer des équipes de plus en plus grandes. C'est ce que j'ai ressenti chez Antoine.
Antoine, quel regard portez-vous sur ce marché de l'après-vente ? Vous reconnaissez-vous dans cet univers où, comme Gaël vient de le dire, on voit souvent les mêmes têtes ? Jugez-vous qu'il y a un besoin de renouvellement ?
Antoine Beaudet : Je partage entièrement ce point de vue. Moi, ça fait à peine douze ans que je suis dans ce métier, en ayant occupé à peu près tous les postes possibles. Je trouve que depuis trois-quatre ans, il y a une mutation qui s'opère avec l'arrivée des constructeurs, les grands groupes, les fonds de pension, des rachats, etc. D'où l'idée de créer le Beem, cette amicale de distributeurs, avec Boris Hourcade (Maxopièces) et Mehmet Altun (BAP), deux trentenaires avec lesquels j'ai un rapport très amical, justement. On a le même âge, on échange sur nos process et nos problématiques, et on injecte du sang neuf dans la machine parce qu'on a conscience qu'il faut être aujourd'hui très agile, prévoir le coup d'après, rester autant que possible indépendant tout en s'adossant à des gens qui ont fait leurs preuves. Moi, j'ai 31 ans, je suis en phase de développement, j'ai quelques comptes à rendre aux banques, donc je n'ai peut-être pas la même stratégie qu'un patron qui est à la tête d'une société depuis 3 ou 4 générations et qui a 50 ou 60 ans.
Même question qu'à Gaël : qu'est-ce qui vous plaît dans son parcours et dans son discours ? Est-on nécessairement intimidé lorsqu'on se retrouve face à un dirigeant comme lui ?
Antoine Beaudet : J'essaie de ne pas rougir, déjà (rires) ! Je suis reconnaissant, mais aussi fier et effectivement intimidé de me retrouver aujourd'hui aux côtés de Gaël. Je pense qu'il a bien résumé en préambule de cet échange le monde dans lequel on est. Ça bouge très vite, avec des acteurs très puissants, qui n'ont pas toujours la même philosophie et la même fibre commerciale et humaine que nous deux autour de la table. Je pense que c'est ça qu'il faut revendiquer, plus que l'aspect financier.
Avec vous, on a deux modèles, très différents mais assez complémentaires, de la rechange avec une distribution régionale chez Eudiff, et une autre globalisée chez Nexus Automotive. Que partagez-vous, finalement ?
Gaël Escribe : Il y a trois valeurs qui me guident au quotidien et avec lesquelles Antoine sera, à mon avis, tout à fait en ligne. La première, c'est qu'on attaque une phase de transformation dans l'automobile, et il est absolument essentiel de faire preuve d'agilité. Dans tout écosystème qui se transforme, un personnage agile sera beaucoup plus efficient qu'un personnage qui ne l'est pas. C'est pour ça que les discours conservateurs ("C'était comme ça dans le passé", "On va essayer de faire mieux…"), non ! Un personnage agile, qui sait slalomer, analyser, regarder, s'adapter et prendre des caps adaptés à ce vent qui ne cesse de tourner, c'est fondamental.
Et puis, il y a la fibre entrepreneuriale. Antoine l'a ! Il développe. Et ça me parle parce que c'est aussi mon quotidien.
C'est comme ça qu'on avance. Enfin, il y a le sens de l'innovation. On ne peut pas être fermé à ça. C'est une chose qui est souvent en dehors de notre périmètre, qu'on subit, parce que ça va vite en Californie ou en Chine. Mais l'innovation est là, il faut la considérer comme quelque chose d'essentiel, qu'il faut vivre au quotidien et stimuler auprès des équipes. On ne peut pas être en guerre avec l'innovation. Au contraire, il faut y être ouvert. Antoine a compris tout cela, et c'est aussi grâce à cela que nous avons construit Nexus. Chaque matin, c'est une nouvelle journée qui débute. Veillons à ce qu'elle apporte quelque chose de plus à ce qu'on a développé jusqu'à maintenant.
Quand on est, comme vous, toujours à parcourir le monde, à aller de rendez-vous en rendez-vous, de salon en salon, cette connexion avec le terrain, comme c'est le cas aujourd'hui, est-elle fondamentale ?
Gaël Escribe : Moi, je suis un ancien contrôleur financier, je suis né avec le nez dans les chiffres mais, en fait, j'ai rapidement évolué sur d'autres postes et je suis avant tout un commerçant, et le terrain m'inspire. Je passe 50 % de mon temps sur le terrain. C'est considéré comme excessif par mon entourage immédiat, mais c'est là que je trouve l'inspiration. C'est là que je vois l'aftermarket se transformer et que je trouve les idées. Je suis un homme de contact. On est présent dans 139 pays, donc c'est un casse-tête pour voir tout le monde, mais cette connexion est fondamentale et j'y prends beaucoup de plaisir. Ma passion prend toute son ampleur sur le terrain. Et puis, on n'a pas construit Nexus à coup de visioconférences. C'est justement en allant voir les acteurs de l'après-vente qu'on a réussi à fédérer autant de monde.
Antoine, on a beaucoup échangé sur ce marché en pleine mutation. Est-ce qu'une affaire comme la vôtre, eu égard à l'évolution du modèle de distributeur-stockiste, peut perdurer dans le temps, ou faudra-t-il nécessairement muter vers un nouveau modèle ?
Antoine Beaudet : Le business plan et le développement interne/externe se déroulent correctement mais, comme le soulignait Gaël, avec les technologies de demain, il faut obligatoirement s'adosser à des acteurs qui ont les connaissances pour nous accompagner face à ces innovations, hybridation ou électrifica-tion. Nous devons nous appuyer sur ces partenaires pour développer un réseau, puisque créer un maillage soi-même en ayant un rayonnement régional est impossible. Il faut rester indépendant tout en s'appuyant sur des partenaires pour voir plus grand et pérenniser.
Ce point de vente de Gisors, dans lequel vous vous êtes donné rendez-vous aujourd'hui, est le neuvième d'Eudiff. Répond-il précisément à cet objectif ? Grandir pour voir venir ?
Antoine Beaudet : Il répond à plein d'objectifs. Massifier les achats, pouvoir mettre des process en place… Je souhaite développer l'entreprise mais avec l'ambition de garder une empreinte locale et rester dans les départements voisins – le 27, le 76 et le 80 avec des livraisons dans le 62 – pour rester cohérent et efficace. Ce point de vente à Gisors est stratégique car il est au centre de trois départements (95, 76 et 27). Donc l'idée pour moi n'était pas de me rapprocher de grandes métropoles comme Lille ou Paris, mais davantage de bien mailler mon territoire.
Gaël, quelle qualité d'Antoine aimeriez-vous avoir ?
Gaël Escribe : C'est sa fraîcheur, justement, et je ne crois pas que ce soit lié à son âge. Dans mes équipes, je me suis entouré de personnes issues de toutes les générations. Pour vous donner un exemple concret, nos deux DRH approchent de l'âge de la retraite et, comme je les trouve encore très en phase avec notre époque, je leur ai proposé de continuer en formant un binôme. Finalement, c'est cette fraîcheur qui compte, c'est ça qui lie les générations. On rencontre parfois des jeunes de 25 ans particulièrement ternes… Antoine, lui, a cet enthousiasme et je pense qu'il l'aura toute sa vie. Tant qu'on a la capacité physique de partager ça, il faut le faire. Je souhaite vraiment préserver cette fraîcheur et cet enthousiasme au quotidien.
Antoine Beaudet : C'est intéressant parce que, à mon humble niveau, j'ai exactement la même vision des choses. Aujourd'hui, je suis soutenu par trois bras droits qui ont respectivement 35, 50 et 60 ans avec des tâches bien précises. Et j'ai le même procédé en interne avec les 75 collaborateurs.
L'inspiration me vient aussi du terrain. C'est là qu'émergent les idées.
Je pense que la prise de recul pour garder de la fraîcheur et être en avance sur notre temps est primordiale. J'apprécie aussi la démarche de Gaël qui, bien qu'à la tête d'une structure présente dans 139 pays, prend le temps de venir ici, dans mon point de vente. Je trouve que c'est une très belle chance, et ça en dit beaucoup sur son état d'esprit.
L'un comme l'autre, vous êtes à votre façon des pionniers dans votre domaine. Gaël, vous l'avez été avec la fondation de Nexus Automotive. Vous avez tout de suite saisi de nouvelles opportunités, notamment au niveau international. Antoine, vous avez aussi cette capacité à être en avance avec Eudiff, bien sûr, mais aussi avec le Beem. Finalement, lequel de vous deux est le plus en avance sur son temps ?
Antoine Beaudet : Je dirais que c'est Gaël, par rapport à sa carrière et à l'ampleur prise par Nexus. Moi, encore une fois, je viens d'arriver dans le métier. Mon père était concessionnaire Renault, je n'ai pas fait de longues études, j'ai beaucoup appris sur le terrain au travers de différentes étapes. Finalement, j'ai pris officiellement les rênes de la société il y a seulement trois ans. Depuis, on a réussi à multiplier par 3 ou 4 les équipes, le chiffre d'affaires et le nombre de points de vente, mais en restant dans une logique très régionale. Aujourd'hui, je ne sais pas où sont mes limites, ni celles de l'entrepreneuriat. J'essaie de rester très structuré, et en gardant le risque à vue. Je pense donc que Gaël est bien plus en avance que moi sur notre époque, mais j'espère apprendre de lui et de nos échanges.
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Gaël Escribe : Je vais vous raconter une anecdote. Il y a quelques mois, nous avons demandé à l'un de nos plus importants distributeurs, d'origine brésilienne, de réaliser un exercice prospectif au sujet de l'aftermarket. Il a bossé pendant trois mois sur cette question et nous a livré, au bout du compte, un véritable message d'espoir pour cette société un peu folle, à la croisée des chemins, avec cette difficulté à se projeter…
En fait, notre distributeur nous a présenté la politique énergétique des différents continents, dont la grande conclusion nous amène à penser que nous pouvons espérer retomber sur nos pattes d'ici 2040.
L'intense période de transformation va laisser place à une plus grande stabilité énergétique avec, en dépit d'un cadre nouveau, un parc automobile adapté à cet environnement inédit qui va lui-même se stabiliser. Tout ça pour dire que nous sommes actuellement en plein océan, et il nous faut des marins pleinement déterminés pour arriver à ce but. À nous tous d'être des leaders de cette transformation, avec l'espoir de retrouver une zone un peu plus calme dans quelques années.