L'envol réussi de Pascale Lefeuvre

Dans l'histoire des Trophées de la Rechange, la plateforme lyonnaise Dasir se distingue de l'ensemble des lauréats puisqu'elle est aujourd'hui la seule société tricolore à avoir été primée à trois reprises. Ce palmarès caractérise parfaitement le cheminement de Pascale Lefeuvre. En 2010, elle n'était alors "que" la fille du charismatique patron, Alain Lefeuvre. En 2014, elle était celle qui avait repris le flambeau mais qui peinait alors à s'émanciper, ce prix récompensant alors une passation réussie. En 2016, enfin, c'était elle qui avait les honneurs du jury, des spectateurs des Salons Hoche et tous les observateurs. Son père n'était pas bien loin, mais, cette fois-ci, c'est bien Pascale Lefeuvre qu'on applaudissait, à l'aise dans son nouveau costume et devant cette assemblée.
Elle qui n'avait jamais rĂªvĂ©e d'un tel destin s'affichait en dirigeante accomplie. Le fruit d'un long cheminement. A Lyon et dans toute la rĂ©gion, on connait Dasir. On connait aussi les Lefeuvre. Et on a appris Ă connaĂ®tre Pascale. L'histoire professionnelle et personnelle de cette dernière dĂ©bute en 1956 lorsque son grand-père fonde un petit entrepĂ´t dans la capitale des Gones. Vingt ans plus tard, la deuxième gĂ©nĂ©ration reprĂ©sentĂ©e par Alain prend les rĂªnes. Non content de gĂ©rer une plateforme dĂ©positaire qui fonctionne bien, celui-ci entreprend un jour de dĂ©velopper son affaire.
Une seconde maison
Convaincu que, pour avancer, il faut Ăªtre propriĂ©taire de son stock et non plus uniquement gestionnaire de celui d'un autre, il investit toutes ses Ă©conomies pour lancer son projet. "Un soir, mon père est rentrĂ© il nous a expliquĂ© qu'il avait hypothĂ©quĂ© la maison et qu'il allait devoir travailler dur, se souvient Pascale Lefeuvre. Je n'avais pas 10 ans, mais cette phrase m'a profondĂ©ment marquĂ©e." Pour elle, Dasir faisait dĂ©jĂ partie de sa vie et le deviendra encore plus.
Cette entreprise, c'était ma deuxième maison. Pendant mes vacances, je rangeais des filtres quand d'autres jouaient chez eux. C'était naturel, j'aimais ça et je passais du temps avec mon père."
Ce quotidien singulier, la petite dernière le partage avec son frère et sa sÅ“ur. Le trio se construit dans cet environnement oĂ¹ l'Ă©chec n'est pas permis et les heures de travail ne sont pas comptĂ©es, sans toutefois en prendre ombrage. "On n'a jamais ressenti le poids de l'entreprise Ă la maison, comme cela peut arriver dans certaines familles. Mon père savait couper et il ne nous a jamais mis dans la posture de l'hĂ©ritier ou du successeur", indique-t-elle. Elle grandit ainsi dans cet univers sans jamais s'y voir rester. Ă€ l'heure de trouver sa voie, elle opte pour un BTS en commerce international. Mais tournez le dos Ă votre destin, et il vous rattrapera tĂ´t ou tard…
Retour aux sources sur un coup de tĂªte
Elle qui aime tant les langues Ă©trangères part en stage quelques mois en Allemagne. Un soir, le tĂ©lĂ©phone sonne. Son père lui annonce que son assistante vient de partir et lui propose de venir lui donner un coup de main. Ni une, ni deux, la voilĂ qui rentre Ă Lyon, trop heureuse de cette opportunitĂ©. "J'Ă©tais jeune et amoureuse, je n'ai pas rĂ©flĂ©chi longtemps." VoilĂ les trois rejetons d'Alain Lefeuvre rĂ©unis sous le mĂªme toit grĂ¢ce Ă des circonstances similaires ! Les premières annĂ©es de Pascale Lefeuvre chez Dasir sont celles de l'apprentissage, de la besogne et des tĂ¢ches de l'ombre. La jeune femme, timide et rĂ©servĂ©e, prĂ©fère rester en retrait. Sans faire de bruit, pourtant, elle prend peu Ă peu un rĂ´le important dans l'entreprise. Au point qu'Ă l'heure de choisir son successeur, en 2011, le patron penche pour sa petite dernière. Une question de fibre commerciale.
Reste que l'envie "d'y aller" n'est alors pas dĂ©bordante. "Je venais d'avoir mon troisième enfant et je me voyais mal prendre la suite de mon père. Je lui ai dit oui, mais Ă une seule condition : qu'il soit Ă mes cĂ´tĂ©s le temps de la transition." Bien accompagnĂ©e et soutenue par sa sÅ“ur, Aline Ka, directrice gĂ©nĂ©rale de la sociĂ©tĂ© très axĂ©e finance et RH, la nouvelle dirigeante doit toutefois surmonter l'Ă©cueil courant des filles ou fils "de". EmployĂ©s, fournisseurs, clients… des regards sont lourds de sens. "Certains se sont demandĂ© pourquoi mon père m'avait choisie…"
La culture du dépannage
Il n'empĂªche, Pascale Lefeuvre en impose sans s'imposer. Forçant sa nature, elle prend la mesure de son nouveau rĂ´le tout en restant fidèle Ă ses convictions. FĂ©ministe convaincue, elle met ainsi un point d'honneur Ă fĂ©miniser les Ă©quipes. ComptabilitĂ©, direction des ressources humaines, services techniques… la plupart des postes clĂ©s sont aujourd'hui confiĂ©s Ă des femmes, alors que l'Ă©quipe de 90 personnes est quasiment Ă paritĂ©.
L'autre Ă©volution porte sur un management en cohĂ©rence avec ses idĂ©es. Écoute, bienveillance, partage sont au cÅ“ur de son fonctionnement. Avec son propre style, Pascale Lefeuvre a prĂ©servĂ© l'ADN de la sociĂ©tĂ© faite d'humanisme, de travail et d'innovation. Surtout, depuis toujours, Dasir fait figure de "dĂ©panneur". Quand une pièce manque, c'est Dasir qu'on appelle ! Une fiertĂ© pour la dirigeante. C'est un secret de polichinelle, mais de nombreux distributeurs Autodistribution ou Alliance travaillent avec Dasir… "Et quel est le problème ? interroge la patronne.
Nous ne sommes pas en concurrence avec les groupements, nous sommes mĂªme parfaitement complĂ©mentaires avec eux."
Les liens d'Apprau
La politique commerciale de Dasir diffère de celle d'autres plateformes. Dans l'entrepĂ´t de DĂ©cines, il est commun de voir des pièces tourner une ou deux fois par an seulement. Les patrons-financiers trouveraient que c'est un non-sens. Pas Dasir qui, preuve du bien-fondĂ© de cette stratĂ©gie, a rĂ©alisĂ© un exercice record l'an passĂ©. "On a toujours Ă©tĂ© très Ă l'Ă©coute du terrain, on a la culture du stock." Pour l'anecdote, la sociĂ©tĂ© dispose mĂªme d'un service R&D, destinĂ© Ă trouver la perle rare partout en Europe.
Depuis 2020, l'histoire de Pascale Lefeuvre a pris une autre tournure. Son entreprise compte parmi les membres fondateurs d'Apprau, né en 2006 de la volonté d'Alain Lefeuvre, Philippe Huygues, Patrice Godefroy et Robert Perrin Objois de parler d'une voix commune et de peser plus lourd dans les négociations. Aux manettes du réseau pendant neuf ans, Laurent Ferré, son confrère et ami, patron d'Adipa (Nantes), a souhaité prendre du recul. Ce dernier, accompagné d'Olivier Chaussende (Chaussende et Fils) et de David Cousin (Motor Parts France), lui a alors proposé de prendre la relève. Une suite logique mais qu'il a fallu, une nouvelle fois, apprivoiser. Les idées ne manquent pas, encore fallait-il oser se mettre en avant de cette "amicale" de plateformes qui, en dépit de certaines turbulences, dénote dans le paysage par son homogénéité et par les liens très forts qui unissent ses représentants. Les générations se suivent, l'histoire se poursuit.