Vincent Ferron : "Reconsidérer le travail du garagiste à sa juste valeur"
Pouvez-vous tout d'abord nous rappeler le périmètre du groupe Ferron et de ses multiples activités ?
Vincent Ferron : Le groupe réalise, pour ses activité distribution et réparation, un chiffre d'affaires de 81 millions d'euros et compte un effectif de 500 personnes. Le pôle distribution réalise un CA de 56 millions, tandis que le pôle garages représente un volume d'affaires d'environ 25 millions. Le groupe compte une autre filiale, dont j'ai peu l'habitude de parler : il s'agit de Carlyss, spécialisée dans la vente de véhicules d'occasion, qui réalise 23 millions d'euros de chiffre d'affaires. C'est une activité que nous n'avions pas intégrée jusqu'ici dans le périmètre du groupe mais, avec l'évolution du marché, il me semble opportun de l'associer désormais à nos autres pôles.
Le VO deviendra, je pense, une activité de plus en plus importante, même pour les petits garages.
Comment avez-vous vécu ces deux dernières années marquées par la pandémie de Covid-19 ?
Nos activités ont été plutôt épargnées par la pandémie de Covid-19 puisqu'en 2020, notre chiffre d'affaires a progressé de 1,5 %, tandis qu'il a augmenté de 15 % en 2021.
Quid de la pénurie de pièces qui affecte de nombreux distributeurs ?
Nous ne voyons pas de signes d'amélioration. Au contraire, la situation se dégrade de plus en plus. Depuis le début de l'année, ce phénomène s'est tout particulièrement accentué. D'ailleurs, pour faire face à ces pénuries, nous avons dû augmenter notre stock de plus de 20 % par rapport à ces dernières années. L'approvisionnement devient particulièrement complexe pour plusieurs familles de produits, dont les disques de frein et les embrayages. Nous rencontrons aussi des difficultés de livraison pour les amortisseurs… Les taux de service des équipementiers pour ces gammes de pièces se sont fortement dégradés, c'est indéniable.
Avez-vous dû diversifier vos approvisionnements pour pallier ces difficultés ?
Nous avions déjà commencé la diversification de nos approvisionnements depuis environ trois ans. Ainsi, le groupe compte deux fournisseurs de rang un, référencés et stockés pour chaque gamme de produit.
De plus, nous avions pris l'initiative de développer notre propre MDD, Top Car, depuis cinq ans.
C'est une marque qui couvre essentiellement les pièces de grandes ventes (PGV) ainsi que plusieurs gammes techniques telles que les kits d'embrayage, les amortisseurs, les catalyseurs, les débitmètres, les FAP, etc.
Selon vous, une sortie du tunnel est-elle envisageable prochainement ?
Nous avons assez peu d'informations quant à un éventuel retour à la normale dans les prochains mois. Et les rares informations dont nous disposons ne sont pas très rassurantes… Au-delà des problématiques liées à la Covid-19 qui ont freiné l'activité industrielle des équipementiers, la guerre en Ukraine et ses conséquences en Russie ont amplifié ces complications.
Ces pénuries, conjuguées à une hausse des cours des matières premières, ont provoqué une hausse sensible des prix depuis quelques mois. Cette inflation a-t-elle des répercussions sur votre activité ?
Non, pas pour le moment. Même si nous sommes contraints de répercuter les hausses de nos fournisseurs, à l'instar de nos autres confrères, je n'ai pas le sentiment que cette inflation a eu un impact sur l'activité des ateliers.
Au cours du dernier CDA de la Feda, vous avez tenu un discours assez singulier dans la profession, en appelant à une évolution des pratiques tarifaires dans la profession, avec la mise en place de prix nets. Qu'est-ce qui vous a conduit à cette réflexion ?
Aujourd'hui, nous rencontrons d'importants problèmes de recrutement au niveau salarial, auxquels il est difficile de faire face. Le problème me semble simple : dans la facture finale du consommateur, on se trompe depuis des années. Les pièces sont beaucoup trop chères, alors que le prix de la main-d'œuvre est trop bas.
Nous ne devons plus suivre le diktat du tarif des constructeurs pour proposer nos propres tarifs, décorrélés de ce référentiel.
Quand nous appliquons des remises de 55 % ou 58 % pour certaines lignes de produits, ça ne veut plus rien dire. Il me semble plus juste que le garage conserve un niveau de marge de 15 ou 20 % sur la pièce, tout en augmentant fortement son taux de main-d'œuvre, de 20 à 30 euros par exemple. Son travail doit être reconsidéré à sa juste valeur, et sa rémunération doit être à la hauteur de son expertise. La pièce ne doit plus être aussi importante dans le résultat des réparateurs. Ce qui permettrait aussi de revaloriser les salariés, et leur donner ainsi plus de pouvoir d'achat.
Que répondez-vous à vos confrères qui redoutent une érosion de leurs marges avec la mise en place de prix nets ?
La rentabilité des distributeurs ne serait pas impactée puisqu'ils ne réduiront pas leurs prix. Il faut recréer un nouveau système tarifaire. Le niveau de marge des distributeurs va peut-être se réduire légèrement, mais c'est surtout la facture finale qui va changer. C'est d'ailleurs ce qu'on peut observer dans d'autres marchés européens où la main-d'œuvre est mieux valorisée qu'en France, tandis que les niveaux de tarification des pièces y sont plus faibles.
Comment expliquez-vous que vous êtes aujourd'hui si peu de distributeurs à tenir ce type de discours ?
Au sein du groupe Ferron, nous avons la chance d'avoir notre propre réseau de garages, qui compte aujourd'hui une trentaine d'ateliers. Or nous voyons bien que nous sommes arrivés au bout de ce système. Nous rencontrons de vrais problèmes pour attirer du personnel dans les garages. C'est devenu la principale préoccupation de tous les ateliers du pays. À tel point que nous en sommes venus à nous interroger sur de possibles rationalisations, surtout avec les coûts énergétiques qui explosent.
Dans certains secteurs, nous nous demandons s'il est toujours pertinent de maintenir plusieurs sites dans une même zone…
En vendant la main-d'œuvre au juste prix, nous pourrions revaloriser les salaires et attirer de nouveaux profils dans ce domaine de la réparation automobile.
Au début des années 2000, le groupe Ferron s'est effectivement illustré avec le concept Car Réseau, qui vous a permis de filialiser de nombreux garages. Cette stratégie animation fait-elle partie des clés de la réussite du groupe ?
Oui, même si ce réseau de garages ne représente finalement qu'une faible partie de notre chiffre d'affaires, au sein du groupe. Nous voulons poursuivre le développement de ce maillage avec de nouveaux garages, mais pas nécessairement via de l'acquisition. Nous avons en effet l'ambition d'aider de jeunes entrepreneurs à s'installer ou à reprendre des affaires déjà existantes. Les banques jouent de moins en moins leur rôle et nous souhaitons donc les accompagner, avec Car Réseau, à franchir cette étape. C'est plus un rôle de facilitateur dans lequel le groupe veut désormais s'inscrire. De notre côté, nous préférons nous concentrer sur des structures à la taille plus importante, avec au minimum quatre à cinq productifs.
Quel regard portez-vous aujourd'hui sur le métier de la distribution de pièces automobiles ?
J'ai le sentiment qu'il a plutôt bien évolué. C'est un métier qui s'est industrialisé sous l'impulsion de distributeurs qui se sont notamment dotés de plateformes logistiques. Nous avons d'ailleurs été l'un des pionniers de ce mouvement en créant notre plateforme dès 2009. Au-delà de 50 millions d'euros, tous les acteurs de ce marché disposent aujourd'hui d'un site logistique dédié, avec une offre de services qui s'est aussi considérablement structurée.
Avec la logistique, les distributeurs ont su ajouter une corde à leur arc, tout en conservant leur approche commerciale avec une équipe dédiée, un support technique, etc.
Ce maillage de plateformes régionales n'est-il pas devenu trop dense aujourd'hui ?
La concurrence est devenue très forte, mais elle a toujours existé. Les constructeurs, par exemple, ont revu leur modèle logistique ces dernières années, mais ils ont toujours eu une activité de distribution de pièces. Ils ont, eux aussi, rationalisé leurs anciens magasins pour développer des plateformes régionales. Mais si on se penche sur les parts de marché, elles me semblent relativement identiques à celles que nous connaissions jusqu'ici. Entre la rechange indépendante et la rechange constructeur, le rapport de forces est resté équilibré. Si j'en reviens à votre question, oui, le nombre de plateformes s'est accentué, mais les centres de distribution se sont, dans le même temps, réduits ou ont, du moins, baissé leur niveau de stock.
En 2009, vous vous étiez montrés assez précurseurs en investissant le canal web avec PiècesEtPneus. Comment se porte cette activité aujourd'hui ?
Nous sommes aujourd'hui, depuis treize ans, le seul acteur du web à être rentable. L'activité a été déficitaire les deux premières années mais, depuis, elle a toujours été positive. Évidemment, nous ne faisons pas n'importe quoi avec PiècesEtPneus… Nous ne vendons pas à tout prix, et nous privilégions une gestion de bon père de famille. Notre modèle "click & collect" et "web-to-store" assurera notre réussite, j'en suis persuadé.
Nous comptons 30 boutiques aujourd'hui, et bientôt 35 puisque nous avons prévu d'en ouvrir de nouvelles avant septembre.
J'appelle donc tous les professionnels du secteur à nous rejoindre, car c'est une nouvelle activité qui répond à un réel besoin. Ce modèle de magasin sans stock avec un service, qui se concentre sur le renseignement et l'aide au client, a de l'avenir. Il suscite d'ailleurs de plus en plus d'intérêt. Jusqu'ici, nous détenions la moitié de notre réseau de boutiques. Dans les prochains mois, nous allons céder trois d'entre elles à des salariés du groupe qui ont souhaité devenir des franchisés PiècesEtPneus.
Quel est le profil de vos franchisés ?
Ce sont principalement des professionnels issus de l'automobile : des anciens magasiniers, commerciaux, etc. Nous comptons aussi quelques passionnés de l'automobile. Mais globalement, ce sont souvent des entrepreneurs, qui ont eu le souhait de se mettre à leur compte.
Quel est le chiffre d'affaires moyen de vos franchisés ?
À l'issue de 12 ou 24 mois d'activité, ils réalisent 300 000 euros environ de chiffre d'affaires par an. Certains magasins peuvent même aller jusqu'à 700 000 euros annuels. Je rappelle que ce sont des structures assez réduites, puisqu'il s'agit de magasins avec un seul salarié. L'objectif étant, dans les grandes agglomérations, d'offrir un maillage suffisant pour couvrir tout le territoire et proposer un service de livraison rapide. Quand on est à Bordeaux, par exemple, il n'est pas envisageable d'aller du nord au sud de la ville pour récupérer sa pièce. C'est pourquoi nous essayons de couvrir les quatre points cardinaux dans ces grandes villes.
Quelle est la part de clients professionnels chez PiècesEtPneus ?
Nous comptons environ 30 % de professionnels parmi nos clients.
En 2020, vous avez repris un centre de traitement de VHU près de Laval. La pièce de réemploi fait-elle partie de vos axes de développement ?
Oui, c'est un véritable axe stratégique pour le groupe, sans aucun doute. La pièce de réemploi fait partie des métiers que le distributeur doit intégrer à son catalogue, aux côtés de la pièce d'origine, de la pièce d'équipementiers, de la pièce de carrosserie, etc. Je suis convaincu que le distributeur devra, demain, proposer un panel de produits beaucoup plus large qu'aujourd'hui. Mais l'intégration de la pièce de réemploi n'a toutefois pas été simple, il a fallu appréhender un nouveau métier et industrialiser un process qui était très artisanal. Désormais, tous les VHU entrant dans notre site sont démontés, les pièces récupérées sont photographiées, puis référencées, etc.
Nous poursuivrons la modernisation de ce site, et il n'est pas exclu que nous fassions l'acquisition d'autres centres VHU dans l'avenir.
Souhaitez-vous développer votre diversification avec de nouvelles activités, dans la carrosserie ou le poids lourd ?
Nous disposons déjà d'une activité poids lourd, même si elle représente une partie assez faible de notre chiffre d'affaires. La peinture bénéficie d'une structure dédiée au sein du groupe, Maine Anjou Peinture, qui compte une quinzaine de salariés. Au-delà de ces deux activités, nous voulons effectivement renforcer notre offre de services dans l'automobile, de la vente de véhicules d'occasion jusqu'à la réparation.
Avez-vous des velléités d'expansion géographique ?
Non, ce n'est pas dans nos objectifs. Nous couvrons le 35 et les deux départements qui suivent, c'est-à-dire une zone où nous pouvons livrer en H+3. C'est un sujet sur lequel nous sommes parfaitement alignés avec mon frère, Hervé : plus nous sommes éloignés de nos bases, moins nous sommes performants. À l'exception de notre activité web, pour laquelle nous visons une couverture nationale, nous resterons dans notre village gaulois ! (rires)