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Vitrage : réparateurs et assureurs à couteaux tirés

Publié le 28 avril 2025
Par Nicolas Girault
4 min de lecture
Le bras de fer s’intensifie sur le marché du bris de glace automobile. Assureurs et réparateurs de vitrages non agréés s’accusent mutuellement de dérives et d’abus, provoquant des fermetures qui fragilisent toute une profession.
Le remplacement de vitrage offre des marges plus importantes que la réparation, mais qui varient selon les modèles. ©Glass Express
Le remplacement de vitrage offre des marges plus importantes que la réparation, mais qui varient selon les modèles. ©Glass Express

Le réseau Élite Pare-Brise compte parmi les premières grandes victimes du conflit qui oppose les assureurs aux réparateurs indépendants non agréés. À l’origine de ces tensions, l’augmentation des coûts liés aux sinistres du vitrage automobile. D’après les derniers chiffres publiés par l’association SRA, entre 2014 et 2023, les frais de réparation et de remplacement de vitrage sont passés de 1,05 à 1,73 milliard d’euros (soit + 65 %).

En cause, la complexification des interventions sur des vitrages toujours plus importants et sophistiqués, nécessitant souvent le recalibrage des systèmes d’aides à la conduite (Adas). Ces augmentations surviennent alors que la fréquence des sinistres diminue (- 1,5 % en 2023, après - 0,7 % en 2022).

Un bras de fer permanent avec les assureurs

Du côté des compagnies d’assurance, on dénonce une recrudescence des fraudes et pratiques abusives chez certains réparateurs, notamment hors agrément. A contrario, ces derniers brandissent la liberté du choix des clients inscrite dans la loi, et leur droit à fixer librement leurs prix.

Ce conflit fait rage sur le front de la communication et se traduit sur le terrain par des tensions grandissantes. De nombreux acteurs du marché rapportent des abus d’experts automobiles et d’assureurs qui amputent arbitrairement les factures de réparation jusqu’à 30 %, tout en retardant volontairement les remboursements. Ces pratiques ont notamment conduit à la liquidation judiciaire d’Élite Pare- Brise, prononcée le 10 janvier 2025 après une tentative de redressement judiciaire entamée quelques mois plus tôt.

Au total, 150 salariés sont directement touchés par ce bras de fer commercial. De leur côté, les compagnies d’assurances accusent les réparateurs non agréés de gonfler artificiellement leurs tarifs pour financer des cadeaux destinés à attirer les clients : trottinettes, télévisions, chèques-cadeaux de montants parfois importants.

En réaction à ces dérives, une proposition de loi contre la surfacturation avait été déposée par plusieurs députés en septembre 2023. Toutefois, cette tentative de régulation, suspectée d’être influencée par le lobby des assurances, a été abandonnée après la dissolution de l’Assemblée nationale.

Surfacturation : les assureurs tapent du poing

En novembre dernier, France Assureurs a relancé le conflit en communiquant sur les travaux de l’Agence de lutte contre la fraude en assurance (Alfa) dans le domaine du vitrage.

"Face à l’intensification du démarchage agressif voire frauduleux de certains réparateurs de parebrise auprès d’assurés et d’entreprises d’assurance, ainsi qu’à l’augmentation constante de la charge des sinistres de bris de glace depuis 2020, il a été demandé à l’Alfa de s’intéresser à l’exploitation frauduleuse de cette garantie", expose Maxence Bizien, directeur exécutif de l’agence.

18 entreprises membres de l’Alfa se sont portées volontaires pour répondre à un questionnaire et échanger dans le cadre d’un groupe de travail. Elles ont dressé une liste de neuf abus récurrents, depuis le démarchage téléphonique sauvage jusqu’à la production de faux documents et l’usurpation d’identité. Certains fraudeurs simulent des remplacements fictifs de pare-brise pour maximiser leurs profits.

Des escroqueries téléphoniques, parfois dirigées depuis l’étranger manipulent les assurés pour leur faire changer leur vitrage une seconde fois. Selon Maxence Bizien, ces pratiques "tendent à se professionnaliser et à s’industrialiser". Cependant, interrogé sur l’ampleur précise du phénomène, le directeur exécutif de l’Alfa reconnaît ne pas disposer de "données fiables disponibles".

Le responsable élude aussi les questions sur les non agréés respectant les règles du jeu, ainsi que sur les solutions antifraude préconisées, chaque assurance apportant ses propres réponses à ces problématiques. "Nous ne pouvons y répondre du fait du droit de la concurrence."

Récemment, en janvier 2025, le Crédit Mutuel est même allé jusqu’à internaliser son activité vitrage dans ses propres structures, en lançant sa première Station Mobilité. Une stratégie inquiétante aux yeux de Lucie Marie, cofondatrice de ZeCarrossery : "Le Crédit Mutuel prétend vouloir préserver le pouvoir d’achat des assurés mais dans les faits, c’est une mainmise progressive sur notre métier qui se met en place."

La dirigeante questionne ouvertement les marges et les pratiques des assureurs, jugeant que l’effort pour réduire les coûts devrait également venir des compagnies elles-mêmes, plutôt que de peser uniquement sur les réparateurs.

Les indépendants dénoncent l’amalgame

Cependant, un pas sémantique a été franchi par les assureurs dans les médias généralistes, en opérant largement un raccourci entre fraudeurs et réparateurs non agréés. En novembre dernier, nos confrères du Parisien publiaient un article à charge contre "la mafia du pare-brise". Cet amalgame a évidemment fait bondir les principaux intéressés. La Fédération française de carrosserie (FFC), la Fédération nationale de l’automobile (FNA) et plusieurs réseaux indépendants ont rapidement pris la parole pour répondre à ces attaques.

Plusieurs observateurs proposent de lutter contre la fraude grâce à l’expertise à distance, couramment utilisée en réparation- collision. De son côté, Samuel Brigantino, dirigeant de Glass Express, rappelle que les assureurs ont également recours à des offres commerciales et des réductions sur les cotisations. Dénonçant néanmoins la surenchère de cadeaux chez certains acteurs du marché, le dirigeant affirme que ces pratiques résultent "du dysfonctionnement d’un marché trop longtemps bloqué par les compagnies d’assurance".

Quant aux tarifs pratiqués, il fait remarquer que des leaders comme Carglass facturent 15 à 20 % plus cher que les réseaux constructeurs sans subir les mêmes critiques. Dans les rangs de OuiGlass, Hadrien Dijoux, cofondateur du réseau, appelle à plus de modération et de nuances parmi les réparateurs, voyant dans ces critiques "une manœuvre des réseaux agréés" en perte de vitesse.

Pour contrer ces attaques et se démarquer des abus identifiés, OuiGlass a récemment lancé une offre de réparation de vitrage à 9 euros afin de favoriser les réparations – encore minoritaires dans son enseigne – et tendre la main aux assureurs.

Vers une régulation du marché ?

Autre point de vue : en tant que fournisseur, Franck Martin, dirigeant du grossiste en vitrages VSF, bénéficie d’un peu plus de recul sur ce marché. Son entreprise collabore régulièrement avec les assureurs contre les escroqueries – notamment celles impliquant la falsification de bons de livraison.

"Nous constatons que la fraude existe surtout en Ile-de-France et à Marseille, souvent dans de petites boutiques, observe-t-il. Nous n’avons pas de chiffres précis la concernant. Elle s’est peut-être un peu développée, mais je ne pense pas qu’elle ait explosé."

Il note également les pratiques abusives de certains assureurs, dont les coupes arbitraires sur les factures mettent en difficulté les indépendants sérieux. S’il reconnaît que le marché du bris de glace peut représenter une activité très lucrative, il tient à souligner que les marges ne sont pas élevées sur toutes les interventions.

"Le poseur a besoin d’un équilibre entre les différents types de vitrages posés", complète le dirigeant, rappelant que les réparateurs suivent les tarifs constructeurs, qui ont fortement augmenté ces dernières années. Surtout, le dirigeant de VSF met en garde contre une menace plus large pour le secteur : la disparition progressive des usines européennes de fabrication de vitrages automobiles.

"Si toutes les usines ferment en Europe, nous dépendrons alors totalement de l’Asie", avertit-il. Une situation préoccupante qui pourrait fragiliser davantage l’ensemble des acteurs du marché, qu’ils soient agréés ou indépendants.

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