Stéphane Antiglio (PHE & CGF) : "Faire comprendre le métier de grossiste"
Le Journal de la Rechange et de la Réparation : Vous avez été nommé en juin dernier à la tête de la CGF. Quelles actions souhaitez-vous mettre en œuvre à la tête de la confédération ?
Stéphane Antiglio : La profession de grossiste est peu connue et dispose d'une image qui n'est pas suffisamment positive. Depuis quelques années, la CGF a entrepris de renverser la vapeur pour mieux faire connaître ce métier. Mais il y a du travail, et il y en aura encore à la fin de ce mandat. On assiste notamment à une méconnaissance du secteur et à une incompréhension des enjeux. Les grossistes sont indispensables pour assurer la distribution de millions de produits auprès de millions de clients. Le "direct producteur" embouteillerait la France entière ! C'est pourquoi les grossistes jouent un rôle clé de regroupement et de relivraison. On participe à la revitalisation de certains territoires auprès de l'industrie, qui a aussi oublié que la commercialisation et la logistique de leurs produits sont assurées par des grossistes. Nous avons donc un énorme chantier de pédagogie pour faire comprendre les spécificités de ce métier, et son rôle essentiel dans l'économie française. En outre, il va falloir en défendre le statut particulier de grossiste qui a été reconnu pour la première fois, il y a deux ans, dans les dispositifs législatifs.
Enfin, nous devons rappeler que le métier de grossiste est un métier humain. Même si le secteur se modernise et se digitalise, ça reste un métier de contact, satisfaisant sur le plan personnel, porteur de sens car, sans les grossistes, aucun pan de l'économie ne peut prospérer. Il faut rappeler d'ailleurs que la CGF est l'un des plus gros employeurs de France avec ses 30 fédérations et ses membres, qui représentent près d'un million de salariés. C'est presque 1 000 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Avec les fédérations et l'équipe de la CGF, nous allons donc nous atteler à ce long travail pour défendre les spécificités et favoriser ce métier qui est indispensable à l'industrie et à l'artisanat français.
J2R: Quels sont les défis ou enjeux spécifiques auxquels sont confrontés les distributeurs de pièces de rechange ?
S.A. : Il y a un projet de réglementation à l'étude, reposant sur un principe de pénibilité, qui vise à ce que les grossistes, qui livrent en compte propre, aient l'interdiction de participer au chargement et au déchargement des marchandises. Cette interdiction potentielle traduit une méconnaissance du transport en compte propre. Si on ne reconnaît pas les spécificités de notre métier, nous restons sous la menace de réglementations prises dans l'ignorance et qui peuvent nuire à la filière. Les législateurs ne se rendent pas toujours compte de certaines réalités opérationnelles. Il y a aussi un débat en ce moment au niveau européen sur la réduction des délais de paiement. Or, il faut rappeler que les distributeurs de pièces de rechange portent aujourd'hui des stocks, et c'est grâce à ce service que les produits sont disponibles. Si on réduit les stocks, la disponibilité des produits sera moins importante. Ce qui risque de dégrader le niveau de service apporté à nos clients réparateurs, et aux consommateurs finaux. Nous faisons aussi crédit à nos propres clients, et ils en ont besoin. S'ils devaient payer comptant ou à moins de 30 jours, bon nombre d'entre eux mettraient la clé sous la porte. Nous sommes au centre d'une chaîne à laquelle nous participons pleinement. Le débat sur la réduction des délais est donc une aberration pour notre écosystème.
J2R : Comptez-vous, au sein de la CGF, donner plus de visibilité à la filière pièces de rechange et aux actions de sa fédération, la Feda ?
S.A. : La CGF a pour rôle de défendre le métier de grossiste et peut, au besoin, venir en appui de chaque fédération. De ce point de vue-là, la Feda agit admirablement bien, sur tout ce qui est spécifique à l'automobile. À l'intersection des deux, il y a la question de la décarbonation de nos activités, et la Feda joue le rôle de fédération experte auprès de ses collègues. Mais ce n'est pas le rôle de la CGF de mettre en avant une fédération. Il s'agit avant tout de défendre tout ce qui est transverse aux fédérations. À chaque secteur ensuite de se prendre en main sur ses spécificités métier, même si la coopération et la collaboration sont importantes.
J2R : Poursuivons sur le sujet de la décarbonation. En début d'année, vous avez nommé un directeur de l'environnement dans le groupe PHE. Quelles actions souhaitez-vous entreprendre pour réduire votre empreinte carbone ?
S.A. : Les grossistes sont des entreprises citoyennes. De ce fait, nous devons prendre conscience de l'enjeu environnemental et apporter notre pierre à l'édifice de la décarbonation. La Confédération des grossistes de France est résolument engagée, mais raisonnablement aussi. Nous défendons donc ce que la Feda défend depuis des années : une décarbonation progressive, conciliable avec nos entreprises et avec les technologies mises aujourd'hui à notre disposition. Les réglementations qui exigent, par exemple, la mise en place de panneaux solaires ne peuvent pas être appliquées si le toit ne peut pas supporter ce poids… Quand ces équipements représentent, pour une entreprise, vingt ans d'investissements, cela ne peut pas se faire en un an. Il ne faut pas oublier que les grossistes, de façon générale, restent des PME. Dans ce contexte, nous attendons de nos directeurs environnementaux, en l'occurrence de Jean-Baptiste Labilloy chez PHE, qu'ils soient notre aiguillon permanent pour nous aider à mener des plans ambitieux et conciliables avec nos contraintes, avec l'état de nos finances et de nos bâtiments actuels. Au sein du groupe PHE, nous passons progressivement tous nos sites en éclairage LED. Nous avons aussi électrifié une partie de notre flotte, et nous avons investi dans l'isolation et le cloisonnement de certains de nos entrepôts.
J2R : Un mot sur le marché de l'aftermarket : quel bilan global tirez-vous du premier semestre ?
S.A. : Nous avons observé deux choses. Tout d'abord, un impact certainement lié au contexte climatique qui est un peu moins favorable à nos activités. Nous n'avons pas connu cette année d'épisodes d'extrême chaleur qui sont plutôt propices à la réparation automobile. Les hivers rigoureux sont également généralement plutôt bénéfiques, notamment pour les fonctions de démarrage et pour la vente d'accessoires. Deuxièmement, nous observons une morosité ambiante, sans doute liée au contexte politique et à la pression sur le pouvoir d'achat. On sent des clients un peu moins optimistes, avec des carnets de commandes et de rendez-vous moins remplis. Ce qui peut expliquer un premier semestre, honnêtement, un peu décevant par rapport à ce que l'on pouvait escompter. Malgré tout, je ne pense pas que ce soit un problème de fond pour Autodistribution, et nous ne pouvons pas nous plaindre puisque l'activité reste plutôt bonne dans le groupe PHE. Notre progression se maintient et, si les ingrédients avaient été réunis, nous nous porterions encore mieux. Il est trop tôt pour faire un bilan complet et il va falloir attendre la rentrée pour avoir un regard sur cette moitié de l'année.
Bio express :
Stéphane Antiglio (HEC) a occupé des fonctions managériales au sein de plusieurs entreprises, parmi lesquelles Schweppes France et Danone Restauration. En 1997, il rejoint SC Johnson Professional France en tant que directeur général, puis président-directeur général. En 1999, il devient directeur général de la branche Passion Froid (produits surgelés) de Pomona.
Depuis 2010, il est président du directoire d'AD International et président de Parts Holding Europe (PHE). Lors de l'assemblée générale de la CGF du 20 juin 2024, il a été élu comme nouveau président pour un mandat de trois ans, succédant à Philippe Barbier.