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Informatique

Informatique : une utilisation encore trop imparfaite

Publié le 19 février 2015
Par Romain Baly
8 min de lecture
Longtemps délaissés par les professionnels de la réparation, les outils informatiques sont désormais omniprésents dans les garages et jouent un rôle clé dans leur bon fonctionnement tout en étant encore largement sous-exploités. Pourquoi ? Les principaux intéressés témoignent et nous livrent leurs points de vue.
Longtemps délaissés par les professionnels de la réparation, les outils informatiques sont désormais omniprésents dans les garages et jouent un rôle clé dans leur bon fonctionnement tout en étant encore largement sous-exploités. Pourquoi ? Les principaux intéressés témoignent et nous livrent leurs points de vue.

OUTILS ? L’INFLUENCE DES PRESCRIPTEURS

Pour débuter cette enquête, nous nous sommes intéressés aux outils dont disposaient les réparateurs. Qu’il s’agisse de logiciels ou de bases de données, l’offre à disposition de ces derniers s’avère aujourd’hui immense, nécessitant d’en faire un tour d’horizon. Sur ce point, trois tendances très claires surgissent. Si le taux d’équipement se rapproche désormais des 100 %, l’intérêt très relatif des professionnels du secteur pour l’informatique explique pourquoi le choix du matériel chez ces derniers demeure principalement issu des prescriptions des réseaux pour ceux sous bannière, des fournisseurs pour les indépendants et des compagnies d’assurance pour les réparateurs-carrossiers. Sur l’ensemble du panel interrogé, aucun exemple brisant cette logique ne ressort. Patron du Garage Capdepont de Pessac (33), Alexandre Capdepont, membre du réseau AD, s’estime ainsi “plutôt bien servi. N’ayant pas une grande connaissance du sujet, j’ai suivi les conseils du réseau”. Ce dernier utilise la plate-forme Autossimo et la base Autodata pour les informations pièces. Prix, disponibilités, valeurs de réglage, temps barêmés sont ainsi accessibles en quelques clics, de manière intuitive et sans nécessiter une réelle formation. Parmi les solutions les plus souvent préconisées, évoquons, outre celle de l’Autodistribution, les bases de données Doyen chez 123 AutoService, TecDoc chez plusieurs indépendants, Precisio au sein du réseau Précisium, Atelio chez Mon Garage ou encore Cattronic dans la plupart des Top Garage.

Un potentiel ­inaperçu

Quant aux logiciels de comptabilité et de facturation, le champ tend ici à se réduire. Les solutions d’EBP récoltent la majorité des suffrages alors que Sage Apimécanique (Top Garage) et Lacour, en place chez Alexandre Capdepont, reviennent régulièrement. A ce propos, Julien Rousseau, du garage K Autos de Thouarcé (49), fait ce constat : “La plupart des garagistes ont appris la compta sur le tard. Ce qui compte, c’est d’avoir une solution qui soit simple, pratique et efficace. Et quand arrive le moment de choisir un logiciel, le bouche-à-oreille est encore ce qui fonctionne le mieux.” Utilisant Apimécanique, ce dernier, à l’instar de son confrère girondin, estime que cette solution est “bien suffisante”. Un sentiment partagé par un très grand nombre de réparateurs, laissant supposer que tout irait bien dans le meilleur des mondes. Comptant parmi les plus intéressés – et il y en a ! – Sandrine Guillaume, dirigeante du garage de la Berge de Grenoble (38), apporte un autre éclairage au sujet : “Très peu d’entre nous ont été formés aux outils informatiques et ont pleinement conscience de leur potentiel. Nous avons fait cet effort, et nous nous sommes rendu compte que nous pouvions aller plus loin avec des solutions complémentaires.” En plus de la base de données de Doyen, le garage de la Berge s’est récemment tourné vers les solutions de l’éditeur Etai pour optimiser son travail. Une démarche que très peu osent encore faire, non pas par manque de motivation, mais essentiellement par manque de connaissance et, dans une moindre mesure, de moyens financiers.
 

UTILISATION ? ENCORE LARGEMENT SOUS-EXPLOITES

Dans la lignée du commentaire de Sandrine Guillaume, il semblait opportun de demander à notre panel de réparateurs s’il avait l’impression ou non d’utiliser ces outils au maximum de leur potentiel. Là encore, deux tendances ressortent des différents témoignages. Nonobstant leur manque de familiarité avec le sujet, un grand nombre de réparateurs estiment, en pleine conscience, n’utiliser qu’une infime partie des fonctionnalités proposées. Les avis divergent en revanche lorsqu’il est question d’expliquer cette tendance. Du côté d’Alexandre Capdepont, la complexité constitue la principale barrière : “Nous faisons le job, mais c’est extrêmement compliqué d’optimiser l’utilisation de ces outils car il y a beaucoup trop d’options…” Sébastien Mirbel, garagiste Précisium à Nuits-sur-Armançon (89), explique cette sous-exploitation par des logiciels universels alors que les garages ne sont pas tous comparables : “Si nous n’utilisons pas ces logiciels à 100 %, ce n’est pas tant par manque de motivation que par manque d’intérêt. J’entends par là que ces outils sont conçus pour répondre aux besoins des plus grosses affaires de centres-villes comme des plus petites de campagne. Au vu de mes volumes, de la fidélité de mes clients et de la bonne connaissance de leurs véhicules qui en découle, les fonctions basiques suffisent à mon garage.” Ce bon sens des affaires contrebalance avec l’idée, encore très répandue, qui voudrait que l’informatique soit une contrainte plus qu’une aubaine.

Le prétexte de la complexité

Dirigeant du garage des Chaudins de Nemours (77), David Nuns est assez catégorique sur le sujet : “Nous ne les utilisons pas à fond car cela ne nous intéresse pas. Nous allons au plus simple avec les logiciels. Les bases de données sur Internet sont aussi souvent incomplètes. Je préfère largement le téléphone lorsque j’ai une question à poser.” Pour d’autres, non moins nombreux, les tarifs pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros de ces solutions finissent de motiver chacun à maximiser leur taux d’utilisation. En bénéficiant d’une formation de plusieurs heures, en étant soutenu, au besoin, par le fournisseur ou en faisant soi-même l’effort. Fabrice Memmi, du garage Auto Land de Wittenheim (68), estime ainsi qu’il serait “inconscient de ne pas optimiser ces outils. Au prix qu’ils coûtent et compte tenu de mon chiffre d’affaires, c’est un devoir que de les exploiter au maximum. Bien entendu que ce n’est pas évident, mais nous nous devons de rentabiliser les sommes investies”. Dans la continuité, certaines voies font état des efforts réalisés par les éditeurs pour rendre leurs solutions accessibles au plus grand nombre. La complexité ne serait donc qu’un prétexte pour ne pas affronter le problème. “Depuis quatre ou cinq ans, les fabricants ont énormément travaillé pour faciliter la prise en main de ces outils. En plus, ils sont désormais en mesure de répondre à toutes nos questions”, note Sophie Margot, du garage ABC Automobiles de Noisy-le-Grand (93). Un facteur clé pour permettre au plus grand nombre de s’y plier sans contrainte, d’autant plus que l’équilibre des garages en dépend chaque jour un peu plus.
 

IMPACTS ? INDENIABLES, QUELLE QUE SOIT LA TAILLE

S’il est bien un sujet sur lequel les avis sont unanimes, c’est bien sûr celui de l’impact – réel ou relatif ? – de l’informatique sur le business des réparateurs. Qu’importe la taille de leur affaire, leur rapport au sujet ou leur niveau de formation, tous sont conscients de l’apport de ces solutions sur leur niveau d’activité et, in fine, dans leurs bilans financiers. Au garage BCS de Metz (57), Laurent Brettnacher avance le chiffre de dix, pour évaluer la hausse de sa productivité “entre l’époque où les logiciels n’étaient pas généralisés et aujourd’hui. C’est devenu des outils de travail à part entière, qui ont désormais une importance considérable sur l’équilibre des garages”. Derrière le constat global, la tendance se ressent surtout sur la partie pièce. Les innombrables bases de fabricants, de références et de spécificités de chacune se trouvent désormais condensées derrière un “simple” moteur de recherche, adaptable selon les besoins. A tel point que certains, comme Thierry Cheigne du garage Bafard de Luçon (85), mi-blagueur, mi-réaliste, avoue “être perdu lorsqu’Internet ne fonctionne plus tant nous sommes désormais dépendants des bases de données. Nous nous sommes très vite habitués à cette facilité d’accès aux informations techniques”. De manière plus générale, les outils participent aujourd’hui à réduire les temps de travail “creux”, autrement dit les temps qui ne sont consacrés ni à l’atelier ni à la clientèle. L’exemple du devis est saisissant. Avec un temps variable selon les facilités de chacun, certains réparateurs estiment être passés d’une demi-heure à cinq minutes en quelques années pour les rédiger ; les données clients, pièces et prix étant à présent intégrés à la base de données. “C’est devenu tellement simple que nous n’hésitons plus à le faire devant le client et à le lui envoyer sur sa boîte mail dans la foulée”, étaye Hossein Alabassi, du garage du Centre de Rouen (76).

Pousser la relation client

En outre, la force d’innovation immense des éditeurs offre sans cesse de nouvelles possibilités. Parmi les plus récentes et les plus notables, retenons tous les nouveaux outils permettant d’optimiser la relation client. Si la grande majorité de notre panel confie ne pas s’en servir – n’en ayant pas les moyens ou estimant ne pas en avoir besoin –, leurs atouts invitent certains à y songer sérieusement. Pour Walid Gadoury, du garage Autos R de Sannois (95), “il est temps de franchir un cap. Nous devons intégrer de nouveaux outils marketing pour aller encore plus loin dans la relation client”. Son homologue grenobloise, Sandrine Guillaume, ne dira pas le contraire. En adoptant de nouveaux outils, son affaire est aujourd’hui en mesure de suivre pas à pas les automobilistes tout au long du cycle de vie de leur véhicule : “Par exemple, nous envoyons un SMS de rappel à nos clients la veille de leur rendez-vous. De même, nous leur envoyons un autre message lorsque leur voiture est prête. Les plans d’entretien étant intégrés, nous nous permettons également de les relancer par courriel lorsqu’approchent leurs révisions et contrôles techniques”. Une initiative que certains assimileront à une intrusion ou à une tâche très éloignée de la mécanique, pendant que d’autres y verront un travail de fidélisation poussé et en adéquation avec les problématiques actuelles. Il n’en demeure pas moins, comme le rappelle David Nuns, que “la mécanique ne se fait pas devant un ordinateur. Ces outils ne remplaceront jamais les rapports humains même si certains le croient”.
 

ACCOMPAGNEMENT ? ALEATOIRE ET EN DEGRADATION

Ces propos nous ramènent directement vers un élément fondamental de cette enquête, à savoir celui du suivi qui découle de l’installation de ces solutions informatiques. Peu familiarisés au sujet, souvent peu ou mal formés à leur utilisation, très souvent seuls à s’en servir, les garagistes peuvent rapidement se sentir démunis face à ces outils censés leur rendre service. Aussi, l’accompagnement des éditeurs, des fournisseurs et des réseaux se révèle aussi précieux qu’indispensable. Pourtant, au regard des différents commentaires, celui-ci tend à disparaître, remplacé par les nouveaux moyens de communication. “Cela devient rare, note Fabrice Memmi. Les visites et les coups de téléphone sont presque inexistants aujourd’hui”. Si les hotlines ne datent plus d’hier et semblent plus que jamais d’actualité, les tutoriels en ligne et les “FAQ” (Foires aux questions) servent de plus en plus de premier (et d’unique) soutien face aux interrogations des professionnels. Un phénomène aux effets collatéraux détestables, auquel les réseaux veulent à tout prix échapper. A la tête du garage Guillon Automobiles de Latille (86), Xavier Guillon fait état de ce monde à deux vitesses : “Chez Autofit, nous bénéficions d’un suivi mensuel des animateurs réseaux qui viennent prendre de nos nouvelles et qui nous écoutent. A l’inverse, nos échanges avec les éditeurs sont irréguliers, pour ne pas dire inexistants, même s’il nous est toujours possible de les joindre par téléphone.” Conscient qu’il était plus simple pour un réparateur de changer de réseau que de matériel informatique, les premiers ont saisi depuis longtemps l’importance d’un accompagnement personnalisé.

Des torts partagés

Celui-ci peut d’ailleurs dépasser le simple échange mensuel. Adhérent Top Garage, Pascal Ledoux, du garage Auto Duo de Bucquoy (62), explique ainsi que son réseau lui propose régulièrement “des stages destinés à une remise à niveau ou à découvrir les nouveautés. Nous ne sommes pas obligés d’accepter, mais c’est une démarche appréciable”. Pour Pascal Ledoux du moins. Car si les garagistes se plaignent unanimement de ce manque d’accompagnement, ils sont aussi souvent les premiers à se dire trop sollicités. “Nos mécaniciens n’ont pas de temps à consacrer aux différents démarcheurs, étaye Sylvie Petat, du Garage du Cher de Vierzon (18). Une hotline est bien suffisante pour résoudre nos problèmes.” Un commentaire loin d’être isolé et qui pose question. A qui la faute ? A des fournisseurs ou des éditeurs soucieux de maximiser leurs outils tout en minimisant leurs effectifs ? Ou à des réparateurs souhaitant obtenir tout et son contraire ? La conclusion arrive finalement de la Bretagne. Patronne du garage Ventroux du Grand-Fougeray (35), Nathalie Ventroux souligne que “ce n’est pas dans la culture du garagiste d’être démarché, de discuter avec des commerciaux et de se voir proposer tel ou tel produit. Au final, ce n’est pas plus mal de ne pas être suivi. Nous préférons faire notre métier et discuter avec ceux pour qui nous le faisons”.

Un aveu louable, le client demeurant au centre de leur attention, mais qui laisse malgré tout un sentiment étrange. A la lecture de ces commentaires, les réparateurs donnent l’impression de refuser un phénomène qu’ils contribuent eux-mêmes à alimenter par la force des choses, la survie de leurs entreprises en dépendant. Alors que l’informatisation des garages n’ira qu’en grandissant, tout en prouvant jour après jour ses bienfaits, ces professionnels conservent une image du garage centrée exclusivement sur l’atelier, laissant de côté tout le reste. Pourtant, à les écouter parler de leur travail, ils sont souvent les premiers à louer les efforts de la technologie en matière d’outils de diagnostics, pourtant hautement informatisés… Mais que l’on se rassure, les choses avancent dans le bon sens. Certaines affaires, plus ou moins en pointe sur le sujet, démontrent que les consciences ne sont pas figées et que les modes de fonctionnement peuvent s’adapter aux nouveaux standards. Tout ceci conjugué aux efforts des éditeurs pour mettre au point des solutions moins excluantes devrait permettre d’ici peu aux logiciels d’être perçus plus comme une chance qu’un fardeau.

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