Un programme de formation inédit pour les leaders de l’après-vente

Accélération de l'électrification, connectivité croissante, changement climatique, inflation des matériaux… L’industrie automobile fait aujourd’hui face à des défis sans précédent. Un constat qui a conduit le groupement Nexus Automotive International à mettre au point un ambitieux programme de formation destiné aux cadres dirigeants de la filière, qu’ils soient issus d’équipementiers, de constructeurs ou de distributeurs.
Conçu en partenariat avec l’Insead (école de management installée à Fontainebleau, Singapour et Abu Dhabi), ce programme a inauguré sa première session les 22 et 23 janvier, à Annecy (74), et a réuni une cinquantaine de participants venus de 25 pays. En introduction, Gaël Escribe, CEO de Nexus Automotive, a rappelé que l’après-vente, souvent perçue comme un domaine technique, doit intégrer une approche plus large, mêlant innovation, collaboration et agilité organisationnelle.
"Les marchés deviennent de plus en plus complexes et il est difficile de comprendre aujourd’hui où va le monde. Entre l’essor de l’intelligence artificielle, les impératifs de durabilité et la digitalisation, les décideurs sont confrontés à des choix stratégiques difficiles. Nous avons donc ressenti le besoin d’ajouter une perspective académique à nos réflexions stratégiques, et c’est ainsi que le partenariat avec l’Insead a vu le jour."
Le groupement a travaillé pendant plusieurs mois en étroite collaboration avec les équipes de l’école de management pour sélectionner des intervenants de renom issus de divers domaines – académiques, industriels et technologiques. Les participants ont ainsi pu assister à une série de conférences, d’exercices pratiques et d’échanges conçus pour leur apporter des solutions concrètes et des perspectives nouvelles.
Digitalisation et intelligence artificielle : un tournant crucial
Pour Loïc Sadoulet, titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Princeton et professeur à l’Insead, l’un des objectifs de ce programme est effectivement d’aider les acteurs du marché de l’après-vente à se préparer à l’avenir de leur secteur. Lors de son intervention, il a notamment invité les participants à réfléchir à plusieurs scénarios potentiels pour 2035 : quels seraient les facteurs de succès pour les entreprises du secteur, et quels risques pourraient les menacer ? Parmi les points clés discutés : l’importance de l’agilité et de l’innovation dans un environnement en constante évolution.
Les nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle et les outils numériques, redéfinissent les modèles d’affaires traditionnels. Cependant, il est tout aussi crucial de maintenir un équilibre entre l’adoption de ces innovations et la préservation des activités de base qui génèrent des revenus stables.
Loïc Sadoulet, professeur à l'Insead, a été le principal animateur de cette première formation menée avec Nexus Automotive. ©SandMulas
"L’un des messages fondamentaux est de ne pas craindre l’échec. Dans un secteur aussi complexe que l’après-vente, l’expérimentation est essentielle pour identifier les opportunités et anticiper les changements. Cela implique de cultiver une culture de l’innovation et de l’apprentissage continu au sein des organisations", insiste Loïc Sadoulet.
L’un des thèmes centraux de la session a porté sur la montée en puissance des technologies numériques dans le secteur de la rechange. Un module animé par Joerg Niessing, professeur de marketing à l’Insead, a notamment mis en avant le rôle central des technologies numériques et de l’intelligence artificielle dans l’avenir de l’après-vente. "La digitalisation n’est pas une option, mais une obligation", affirme-t-il.
Les participants ont travaillé sur des études de cas pour comprendre comment intégrer ces technologies de manière fluide dans leurs processus. Parmi ses recommandations, l’expert a mis en relief la nécessité d’adopter une stratégie reposant sur la donnée. "Il ne s’agit pas seulement d’avoir beaucoup de data ou d’embaucher des experts en data science. Pour réussir, il faut une bonne organisation et une culture axée sur les données – une vision descendante associée à une mise en œuvre ascendante, permettant à tous les membres de l’organisation de contribuer aux cas d’utilisation."
L’innovation ouverte, un levier de croissance
Invité également par l’Insead et Nexus Automotive, Yaron Flint, expert en développement d’entreprise et en innovation, a pour sa part mis l’accent sur "l’innovation ouverte", principe consistant à penser son innovation et sa R&D non plus d’un point de vue fermé, mais en intégrant des partenariats extérieurs. Le conférencier a présenté plusieurs exemples concrets d’alliances réussies dans d’autres industries, illustrant comment les écosystèmes collaboratifs peuvent stimuler l’innovation et la croissance.
"L’avenir de l’après-vente passera par la collaboration. Nous devons sortir d’une logique de compétition pour créer des écosystèmes ouverts", soutient-il. Au-delà des transformations technologiques, l’un des temps forts de ce programme de formation a été consacré aux évènements géopolitiques et à leurs répercussions sur l’industrie automobile. Un sujet stratégique mis en lumière par Hakan Dogu, ancien senior vice-président après-vente monde de Renault Group.
Une nouvelle ère de collaboration dans l’après-vente automobile
Le conférencier a notamment rappelé que la filière évolue dans un environnement instable, qui rend moins prévisibles les perspectives à long terme. "La géopolitique est incontournable pour comprendre les évolutions de notre industrie […]. Les relations entre la Chine et les États- Unis sont cruciales pour notre industrie. La Chine dispose d’un avantage considérable grâce à son contrôle des matériaux critiques pour les batteries électriques. Les États-Unis, en revanche, ne peuvent plus rivaliser économiquement sur le même terrain et dépendent de leur puissance militaire pour maintenir leur influence. Cette dynamique crée des tensions qui impactent directement l’automobile, notamment en ce qui concerne les politiques commerciales et les tarifs douaniers", analyse Hakan Dogu.
Parmi les conférenciers, Yaron Flint, expert en développement d’entreprise et en innovation, a pour sa part mis l’accent sur "l’innovation ouverte". © SandMulas
Se penchant sur les enjeux liés à l’après-vente, l’expert est revenu sur l’électrification du marché mais aussi sur les avancées technologiques, notamment dans l’intelligence artificielle et la robotique, qui transforment les ateliers et les usines. "Les voitures deviennent de plus en plus complexes, avec une intégration croissante de capteurs, de systèmes électroniques et de fonctionnalités autonomes. Cela pose un problème de réparabilité, car les compétences requises sont très spécialisées. De plus, les cycles de vie des pièces détachées se raccourcissent, obligeant les acteurs de l’après-vente à s’adapter rapidement."
Partant de ce constat, Hakan Dogu a pu exprimer plusieurs recommandations auprès des participants. Primo : optimiser la chaîne d’approvisionnement. Estimant que l’optimisation des stocks et la digitalisation de la logistique sont essentielles pour répondre aux attentes des clients, il invite à investir dans des outils numériques pour améliorer l’efficacité et réduire les coûts. Le conférencier a également engagé les participants à explorer de nouveaux modèles économiques, en développant des solutions innovantes.
Rejoignant l’analyse de Yaron Flint, Hakan Dogu a aussi mis en évidence la nécessité de collaborer avec les concurrents. "Plutôt que de rester isolés, les acteurs de l’après-vente devraient envisager des partenariats stratégiques pour innover et répondre aux défis communs", recommande-t-il.
Un programme appelé à se pérenniser
C’est sûr, cette première session de formation conçue par Nexus Automotive et l’Insead a permis de poser les bases d’une transformation en profondeur du secteur. Face à la convergence des mutations technologiques, géopolitiques ou sociétales, les acteurs de l’après-vente ont pris conscience de l’urgence d’agir. Au cours de ces deux journées, les discussions ont mis en lumière les étapes à franchir pour répondre aux attentes de ce marché en pleine mutation.
Cette rencontre à Annecy n’est qu’une première étape pour Nexus Automotive, qui entend bien poursuivre ces initiatives afin d’affiner encore la compréhension des mécanismes économiques à l’œuvre dans l’industrie de l’aftermarket. Le groupement a notamment prévu de consacrer une newsletter bimestrielle à ces sujets, tandis qu’une deuxième édition du programme est d’ores et déjà annoncée fin août.
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3 questions à Loïc Sadoulet, professeur à l’Insead
Quel bilan tirez-vous de cette première édition de ce programme de formation exclusif conçu par l’Insead et Nexus Automotive ?
Le retour des participants a été très positif. Beaucoup ont dit que cette formation les avait véritablement "réveillés". Trois grands enseignements se dégagent de cette première session. D’abord, nous sommes entrés dans l’ère des écosystèmes. Les participants ont bien compris que, désormais, on ne joue plus seul. L’entreprise ne peut plus se contenter de fonctionner en vase clos, elle doit collaborer avec des acteurs externes.
J’ai d’ailleurs beaucoup aimé la définition qu’Yves Doz [professeur de l’Insead, ndlr] a donnée de l’écosystème : ce sont des acteurs indépendants qui travaillent ensemble sur un projet commun, chacun en tirant un bénéfice individuel. L’écosystème repose donc sur une logique de codépendance, même si chaque entreprise reste opérationnellement indépendante. Le deuxième enseignement clé, c’est que la data n’est pas une stratégie en soi.
On parle beaucoup de transformation digitale, mais ce n’est qu’un moyen, pas une finalité. Le digital doit accompagner la transformation, il ne la définit pas. Le troisième point essentiel concerne la durabilité. L’ESG et la responsabilité sociale ne sont pas simplement une question d’image ou de "doing good" (bien faire), mais une véritable licence pour opérer. Ce n’est pas un luxe, c’est une nécessité pour assurer la pérennité des entreprises. Cette réflexion est cruciale : il ne s’agit pas seulement d’optimiser à court terme, mais d’envisager des stratégies qui permettent de durer.
J’ajoute un autre élément qui est ressorti de nos échanges : le concept de "uncommon sense" (le sens non conventionnel). Un bon leader, c’est quelqu’un qui permet d’atteindre une ambition impossible à atteindre seul. Enfin, un dernier point clé à retenir, c’est que les participants ont été extrêmement reconnaissants. Il y a très peu d’initiatives de formation pour les cadres de l’aftermarket. Des programmes comme celui-ci restent rares. D’ailleurs, pendant ces quelques journées, le projet d’une académie de l’aftermarket a émergé. C’est un projet enthousiasmant.
Comment avez-vous défini, avec Nexus Automotive, les différents sujets abordés au cours de ce programme ?
Tout est parti d’un vrai dialogue. Nous avons d’abord défini un cadre général : quel devait être l’objectif du programme ? J’avais initialement imaginé un format classique avec des professeurs et des intervenants extérieurs. Nous avons ensuite structuré le programme autour de thématiques clés telles que l’agilité stratégique, l’écosystème et la collaboration inter-entreprises, l’intelligence artificielle, la durabilité, etc.
Nexus a apporté sa vision et a proposé des intervenants issus de l’aftermarket pour enrichir le contenu. Nous avons abouti à une approche hybride, mêlant enseignements académiques et témoignages concrets. Gaël Escribe avait une vision plus proche d’un "Davos de l’aftermarket". De mon côté, je voulais éviter un programme trop académique ou trop formaté. Nous avons trouvé un équilibre en combinant conférences et échanges dynamiques. Le seul point qui nous a limités, c’est la question de l’antitrust. Certaines discussions ne pouvaient pas aller aussi loin que nous l’aurions souhaité en raison des restrictions liées à la réglementation sur la concurrence.
Avez-vous déjà préparé une deuxième session de ce programme ?
Ce qui est certain, c’est que les participants ont exprimé leur envie de renouveler l’expérience. Plutôt que de refaire exactement la même chose, l’idée serait de proposer une deuxième édition avec d’autres thématiques. Enfin, la réflexion sur une académie de l’aftermarket reste ouverte. L’idée fait son chemin, et ce serait une belle concrétisation de ce programme.