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Carrosserie

Gestion : les carrossiers à la croisée des chemins

Publié le 3 mars 2025
Par Nicolas Girault
6 min de lecture
Les ateliers de carrosserie traversent une période charnière. Entre mutations technologiques et exigences économiques, seule une gestion rigoureuse peut garantir leur pérennité. Pourtant, de nombreux professionnels peinent encore à s'adapter. Sur fond de nombreux dépôts de bilan…
Carrosserie CDR Poste de travail ergonomique
Ce carrossier protégé travaille sur un poste de travail ergonomique, en suivant des procédés de réparation optimisés avec des outils digitaux. Un type d'atelier qui attire les assureurs mais représente un coût encore inaccessible pour beaucoup de réparateurs. ©J2R/NG

Depuis plusieurs années, les spécialistes de la réparation-collision incitent les carrossiers à dépasser le stade de l'artisanat pour devenir de meilleurs gestionnaires d'entreprise. Mais sur le terrain, tous les observateurs de ce marché estiment que seule une minorité d'entre eux y est réellement parvenue. Pourtant, la pression économique sur les ateliers ne fait que s'intensifier. L'innovation et l'électrification automobile, la digitalisation de l'atelier et l'évolution des normes écologiques nécessitent d'investir. Face à ces mutations, une question se pose : combien de carrossiers sont financièrement capables de s'adapter aux mutations actuelles de leur métier ?

Défaillances en hausse

On peut, en effet, légitimement s'inquiéter des capacités et de la solidité des réparateurs dans le contexte économique actuel. Les récentes études confirment une tendance inquiétante. Selon le bilan de la BPCE, 2 715 entreprises de commerce et d'entretien-réparation automobile ont fait défaillance en 2024, contre 2 351 en 2023. Parmi elles, les carrosseries, déjà fragilisées par la pandémie, l'inflation et une gestion pas assez rigoureuse, occupent sans doute une part significative.

Même des acteurs majeurs, comme le groupe Albax, ont dû recourir à une procédure de sauvegarde pour redresser leur situation. Sur la même période, le réseau Five Star a perdu 10 % de ses adhérents. "La plupart d'entre eux ont simplement cessé leur activité. Ce phénomène est d'autant plus inquiétant que l'activité a redémarré", déplore Thomas ­Melzer, président du GIE Five Star.

Ce n'est donc pas un hasard si l'enseigne impose à tous ses membres l'adoption du DMS Global Repair. Cet outil développé par le carrossier Romuald Rozet permet aux réparateurs de gérer très précisément leur carrosserie, en s'informant de leur situation économique en temps réel.

Trésorerie tendue chez les carrossiers

Les autres enseignes de carrossiers indépendants semblent connaître une situation similaire, accélérant également le soutien à la gestion de leurs adhérents. "10 à 15 % des entreprises sont en difficulté dans les réseaux", estime Patrick March, dirigeant de la Socca. Accompagnant les réparateurs dans le pilotage de leur entreprise depuis quinze ans, il a une position privilégiée pour observer leur état.

"Le premier facteur de défaillance des carrosseries reste l'affaiblissement de leur EBE. Leur rentabilité est mise à mal par l'augmentation de leurs charges fixes et une mauvaise maîtrise de leurs dettes, comme le remboursement du PGE (prêt garanti par l'État) contracté pour surmonter la crise Covid", précise le spécialiste. Comme tous les observateurs, il constate que beaucoup négligent encore l'administration de leur entreprise.

De son côté, Éric Mallen, dirigeant du groupe EPS (le plus grand distributeur de peinture indépendant) ne constate pas de hausse des faillites de carrosseries dans sa vaste zone de chalandise. "Mais on sent que la trésorerie des carrossiers est tendue, nuance-t-il. Certains d'entre eux affrontent une baisse d'activité. J'ai vu certains réparateurs multisites fermer l'un de leurs ateliers, y compris parmi les concessionnaires." Un problème parfois dû à une main-d'œuvre insuffisante…

Cabine de peinture Weinmann ergonomique et RSE

Weinmann Technologies défend les principes de la RSE en concevant des ateliers protégeant la santé des réparateurs et réduisant au maximum la pénibilité de leurs tâches. Ces équipements associés à des méthodes précises améliorent la rentabilité de ses clients carrossiers et concessionnaires, tout en réduisant leur impact environnemental. ©Weinmann

Cette situation a été également aggravée par les PGE, que certains doivent rembourser en 2025. Mais pourront-ils le faire, ou négocier une nouvelle échéance ? Ce dispositif, lancé lors de la pandémie de Covid-19, a d'abord eu pour effet de retarder la disparition de certaines entreprises dans le rouge. Puis, à partir de 2022, des carrosseries ont commencé à déposer le bilan. Depuis, ces défaillances "n'ont pas pris la forme d'un raz-de-marée, mais plutôt d'une lame de fond qui pénalise les réseaux", observe Patrick March. Selon lui, à terme, un quart de leurs adhérents pourraient disparaître.

Autre observateur privilégié de ce marché, André Courtois, dirigeant de Weinmann Technologies, voit aussi la santé de nombreux réparateurs se dégrader. Il partage l'estimation de Patrick March en affirmant que les dépôts de bilan sont encore plus nombreux en dehors des réseaux. Parmi ses clients et ses prospects, un nombre croissant d'entre eux se voit refuser un prêt bancaire. "La situation de 2023 nous a vraiment alertés, lorsque quasiment un projet sur deux chez les carrossiers indépendants finissait à la poubelle, faute de financement", explique-t-il.

Le réparateur doit impérativement connaître son point mort, pour renégocier ses agréments Patrick March, dirigeant de la Socca

Le dirigeant de Weinmann Technologies se montre d'autant plus inquiet que les carrossiers vont devoir engager d'importants investissements ces prochaines années pour s'adapter à la transition numérique et écologique. D'après lui, les équipements digitaux, ainsi que la mise aux normes environnementales nécessaires pour respecter les desiderata des assureurs soumis à la CSRD (directive sur le reporting d'impact durable des entreprises) représenteraient un coût moyen de 400 000 à plus de 600 000 euros.

Voire bien plus pour les carrossiers souhaitant optimiser au mieux leur atelier. Or, ces investissements sont hors de portée pour beaucoup de petites et moyennes carrosseries, y compris celles avec des chiffres d'affaires importants, mais peu rentables.

Bonnes pratiques de gestion

Ces dernières années, grâce à l'accompagnement de leur réseau et au contact des apporteurs d'affaires, les carrossiers ont certainement davantage progressé en gestion d'entreprise que les mécaniciens. Mais selon les spécialistes qui les côtoient, leur marge de progression est importante. Les anecdotes sur les mauvaises pratiques ne manquent pas, par exemple sur les cabines de peinture parfois mal employées, engendrant des dépenses d'énergie inutiles. Ou un PGE qui n'a pas toujours été investi pour améliorer la rentabilité. Certains abusent aussi du travail clandestin, dévalorisant leur entreprise.

Car au moment de contracter un prêt ou de vendre, la valeur est calculée à partir des actifs et flux de trésorerie déclarés. Surtout, beaucoup maîtrisent mal leur rentabilité. Pourtant, "le réparateur doit impérativement connaître son point mort, pour renégocier ses agréments avec ses partenaires", insiste Patrick March, ajoutant : "Il faut aussi se méfier des charges fixes (énergie, assurances…) qui augmentent, et ne pas hésiter à quitter des partenaires s'ils sont moins intéressants."

La RSE commence par la rentabilité de l'entreprise André Courtois, dirigeant de Weinmann Technologies

Reste le problème salarial, lié au recrutement et à la fidélisation de la main-d'œuvre. "Souvent, les réparateurs « achètent » uniquement les gens avec des salaires. Alors que des dispositifs RSE (responsabilité sociétale et environnementale) permettent de fidéliser les salariés avec des avantages hors travail", souligne le spécialiste. Il affirme que les meilleurs gestionnaires peuvent se passer d'agréments, tout en prévenant que certains s'y sont cassé les dents, faute de préparation suffisante.

Tous les réparateurs doivent viser un chiffre d'affaires sain et stable, voire en croissance pour améliorer leur EBE (lire encadré ci-dessous). "En moyenne, les carrossiers indépendants atteignent environ 5 % d'EBE… Mais les meilleurs sont à 17 %." C'est le cas essentiellement des réparateurs travaillant à 100 euros de l'heure, souvent sans agrément. Ce taux horaire devrait être adopté par tous les réparateurs pour assurer leur avenir, d'après les spécialistes.

Des opportunités pour les gestionnaires

"Je pense qu'à moins de deux millions d'euros de chiffre d'affaires, avec une dizaine de salariés et un Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement) de 10 à 15 %, les carrossiers ne peuvent pas y arriver, analyse André Courtois. Et ceux qui atteignent ces résultats doivent viser trois millions d'euros de chiffre d'affaires avec la même rentabilité."

Cet objectif ne leur pose alors généralement pas de problème, grâce à leur niveau de structuration pour améliorer encore volume et rentabilité. C'est pourquoi Weinmann milite pour l'adoption de pratiques RSE dans les carrosseries. "La RSE commence par la rentabilité de l'entreprise", martèle André Courtois. Puis, pour lancer un cercle vertueux, "vient la sécurité des salariés, et enfin le respect de l'environnement, dans cet ordre précis".

Carrosserie RTA concessionnaire RSE

À l'avenir, la capacité de certains concessionnaires à investir dans des carrosseries ultramodernes et fonctionnant suivant les principes de la RSE pourrait sérieusement concurrencer les carrossiers indépendants les moins bien structurés. ©J2R/NG

Dès lors, tous les spécialistes de la réparation-collision affirment que ce marché présente d'immenses opportunités pour ces réparateurs indépendants gestionnaires, qui investissent dans les dernières technologies tout en revenant aux fondamentaux du métier : la réparation de qualité, dans les règles de l'art, optimisant la rentabilité tout en réduisant les coûts de réparation. Les assureurs seraient alors prêts à orienter vers eux d'importants volumes à tarif attractif. Cette position permet déjà à certains de constituer de mini-réseaux régionaux, à l'instar de Romuald Rozet et d'autres. D'un autre côté, la prolongation du parc roulant thermique laisse encore un peu de temps aux carrossiers. Ce sursis leur suffira-t-il à atteindre la résilience nécessaire ? Rien n'est moins sûr.

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L'EBE, principal indicateur de santé des carrosseries

L'excédent brut d'exploitation (EBE) reste le principal indicateur de l'état de santé des carrosseries selon Patrick March, dirigeant de la Socca. Ce solde intermédiaire de gestion comptable permet aux réparateurs d'étayer leurs négociations commerciales avec leurs partenaires. Il est aussi scruté par les banquiers lors de l'étude d'un prêt de financement. L'EBE est calculé lors du bilan annuel, après paiement des salaires et cotisations sociales du personnel, mais avant celui des dotations aux amortissements.

Son calcul dévoile les flux de trésorerie générés par l'activité de l'entreprise. Il ne tient pas compte du montage financier de l'entreprise, de son amortissement, ni des événements exceptionnels. En clair, l'EBE indique si l'entreprise est rentable ou pas, capable de maintenir son outil de production et de se développer. Il dévoile les opérations les plus lucratives et a contrario, les déviances, par exemple certains agréments d'assurance économiquement inintéressants. Sur plusieurs années, l'EBE éclaire l'évolution de la société. Au-delà des réparateurs, cet outil comptable est évidemment pertinent pour toutes les entreprises.

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