Le CNVA prêt à monter en régime
L'amour des anciennes. C'est cette passion commune qui a réuni plusieurs membres de l'association des Forces françaises de l'industrie (FFI) et d'anciens apprentis du CNVA, le 2 décembre dernier. Tous se sont donné rendez-vous dans l'atelier Retro Roadster, spécialiste de la rénovation de Jaguar Type E, à Saint-Germain-de-la-Grange (78). Sous le signe du partage, cette rencontre a permis à ces amateurs de belles mécaniques de découvrir les installations du garage créé par Corneliu Nastase, tout en échangeant autour des difficultés rencontrées par les professionnels de la restauration de véhicules de collection.
Un secteur qui a du mal à recruter
Sans surprise : la pénurie de main-d'œuvre était au centre de nombreuses discussions. Si ce mal est bien connu dans la réparation-collision, il est encore plus difficile à gérer dans la réparation de véhicules historiques. "Nous effectuons de nombreuses opérations d'entretien, et réalisons aussi des restaurations intégrales. Ce sont des chantiers très longs qui nécessitent des compétences particulières. Restaurer la coque d'une Jaguar Type E, ça demande, par exemple, un savoir-faire en tôlerie", confirme Corneliu Nastase.
Ancienne du CNVA, où elle a suivi une formation complète avant d'ouvrir son garage (Classic Car Spirit) en 2020 à Montigny-lès-Cormeilles (95), Nathalie Leguem reconnaît que l'activité carrosserie dans le véhicule de collection reste complexe à appréhender.
"Seuls les bons carrossiers savent reformer une tôle, et ces compétences sont de plus en plus rares. Il faut avoir l'amour du métier : redressage, tôlerie, etc. Ce sont des interventions très physiques. C'est d'ailleurs la raison qui m'a conduite à me spécialiser, dans un premier temps, dans la mécanique. Je sous-traite aujourd'hui ces opérations à un partenaire carrossier”, confie-t-elle.
La dernière étude menée par la Fédération internationale des véhicules anciens (Fiva) sur la filière confirme ces difficultés. Selon ce rapport, parmi les entreprises proposant des produits et services dans le secteur des véhicules d'époque en France, 93 % d'entre elles affirment rencontrer des difficultés de recrutement. 65 % de ces entreprises ont eu du mal à trouver de la main-d'œuvre ayant les compétences nécessaires, et 53 % ont eu du mal à identifier des personnes ayant les connaissances exigées.
Pourtant, les besoins de ce marché sont loin d'être négligeables : d'après cette même étude, alors que le parc automobile compte 1 million de véhicules anciens, les dépenses moyennes pour la maintenance et l'entretien par propriétaire de véhicule de collection s'élèvent à 3085 € par an.
Des reconversions de plus en plus nombreuses
C'est justement pour répondre à ces besoins que le CNVA a vu le jour, en 2015, sous l'impulsion de Luc Maurel. Ancien sportif, il a très tôt identifié les besoins de cette filière émergente du véhicule de collection qui ne bénéficiait alors pas d'organisme de formation dédié. Aujourd'hui, le centre localisé à Anthony (92) offre une formation de technicien en restauration de véhicules anciens.
D'une durée de sept mois, elle permet aux apprentis de découvrir les différents aspects du métier : mécanique, carrosserie, tôlerie-formage, sellerie, etc. Ce cursus global se veut transversal pour proposer aux apprentis d'acquérir toutes les compétences liées à la restauration des véhicules anciens. "C'est une volonté : notre ambition est d'offrir une présentation des différents métiers de la restauration automobile avant d'éventuelles spécialisations. […] Nous recevons chaque année deux promotions d'environ 60 à 70 personnes", précise Stéphane Guarato, directeur du CNVA.
Ouvertes à tous, ces formations accueillent aujourd'hui principalement de jeunes élèves, généralement dans la foulée d'un bac pro mécanique générale, ou des publics en reconversion, souvent plus âgés. "Il s'agit de profils qui viennent acquérir les bases du métier dans le cadre d'une reprise ou d'une création d'entreprise. Ce sont souvent des professionnels qui veulent redonner du sens à leur parcours", observe Stéphane Guarato.
C'est justement cette dernière catégorie d'apprentis qui fait la particularité du CNVA, selon son directeur : "Près de 50 % de nos effectifs sont composés de profils très qualifiés, qui ont suivi de longues études. Pour vous donner un exemple, nous avons eu un ancien trader parmi nos apprentis ! Et il a d'ailleurs reconnu que le métier était complexe."
Revaloriser les métiers manuels
Si le conservatoire ne désemplit pas, ses effectifs ne suffisent toutefois pas à répondre à une demande qui se fait de plus en plus forte dans les ateliers. Si la pénurie de main-d'œuvre affecte à la fois la mécanique et la carrosserie, les besoins sont particulièrement importants dans la tôlerie, où la formation des productifs exige plusieurs centaines d'heures.
"La principale difficulté, c'est que nous faisons face à des métiers qui ne s'improvisent pas. Ils exigent beaucoup de pratique et de formation. Et justement, la formation des techniciens nécessite du temps…", confirme Stéphane Guarato. Il pointe d'ailleurs du doigt la responsabilité du système éducatif français dans la difficulté à pourvoir les emplois manuels. "Pendant des années, l'éducation nationale a négligé ces métiers et dévalorisé les apprentissages pratiques… On a dégoûté les jeunes passionnés qui avaient envie de faire ces métiers."
Un constat partagé par l'association FFI, qui plaide pour une réindustrialisation de notre pays et une revalorisation des activités manuelles. À cette fin, l'organisation entend capitaliser sur le phénomène de quête de sens professionnel qui croît depuis quelques années chez de nombreux cadres et profils qualifiés, de plus en plus enclins à quitter leur bureau pour des emplois plus épanouissants.
"Il faut redonner de la noblesse aux métiers du faire", lance Laurent Moisson, cofondateur des Forces françaises de l'industrie. Cette démarche a d'ailleurs incité l'organisation à s'associer au média Les Déviations, destiné aux personnes en reconversion tant sur le plan personnel que professionnel.
Un cluster pour le véhicule de collection
Ce discours des FFI fait évidemment écho à celui porté par le CNVA, qui veut aujourd'hui accroître sa visibilité et rendre la filière toujours plus attractive. À cette fin, le centre de formation œuvre sur un nouveau projet de grande ampleur : la création du premier cluster français dédié à la voiture de collection. L'ambition ? Offrir dans un seul site plusieurs spécialistes de la restauration de véhicules historiques (mécaniciens, carrossiers, selliers, usineurs, etc.).
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"Le site a déjà été identifié en région parisienne, mais c'est un projet estimé à 6 ou 7 millions d'euros, qui dépasse notre capacité financière. Nous sommes donc à la recherche d'investisseurs pour le concrétiser", explique Stéphane Guarato. Dans cette quête, le CNVA pourra compter sur le soutien de FFI, qui entend bien mobiliser tout son réseau et contribuer ainsi à la préservation du patrimoine automobile tricolore.