“Le futur se construit ensemble”
Qu’on se le dise, la voiture de demain sera connectée… ou ne sera pas. Si le phénomène n’en est encore qu’à ses balbutiements, les enjeux qui le suivent et les possibilités qu’il offre semblent bien trop importants pour être stoppés par quelques contraintes et contradicteurs lui faisant (parfois) face. Reste désormais à savoir avec qui ? Derrière l’utilisateur et le constructeur, nombreux sont les acteurs liés de près ou de loin au secteur automobile à vouloir profiter de cette manne amenée à grossir de façon exponentielle. En premier lieu desquels figurent les indépendants. En toute légitimité, ces derniers souhaitent pouvoir amener leur pierre à l’édifice naissant en proposant leurs propres solutions ou en tirant profit de celles déjà existantes. Soit ! Sauf que, derrière cette bonne volonté, ces mêmes indépendants s’inquiètent de voir les constructeurs mettre la main sur des technologies qu’ils fabriquent, qu’ils vendent et qu’ils gèrent sans que d’autres acteurs puissent offrir des alternatives aux conducteurs. Une accusation que réfutent les marques automobiles, rappelant à qui veut bien l’entendre qu’aucune d’entre elles ne peut s’approprier les données et bloquer l’accès à ces technologies. Débattue depuis plusieurs mois au Parlement européen, à Bruxelles, cette question semble encore loin de trouver son épilogue et constituait d’ailleurs la thématique principale du dernier CDA organisé par la Feda. Un signe de plus montrant à quel point les enjeux sont aussi grands que les inquiétudes. Et pour cause, en rendant les conducteurs toujours connectés et toujours joignables, ceux qui leur fournissent cette opportunité souhaitent rester en contact permanent avec eux. Appel d’urgence, entretien prédictif, mais aussi – de manière bien plus consumériste – services commerciaux divers et variés constituent les principaux liens entre utilisateurs et fournisseurs de services.
Aux indépendants de trouver leur place
Des liens tissés au travers d’une seule et même porte amenée à se refermer petit à petit, à en croire Franck Cazenave, directeur marketing et innovation de Bosch France : “Avec la connectivité à Internet qui se déploie, d’une part, les constructeurs doivent sécuriser leurs véhicules d’attaques malveillantes. De ce fait, la remontée de données par des tiers pourrait se compliquer. D’autre part, ils pourraient effectuer de la maintenance prédictive, en analysant les codes défaut en temps réel, et diriger les conducteurs vers leurs réseaux.” Une vision offrant des perspectives terribles à la rechange indépendante, purement et simplement exclue de ce système, que réfutent cependant certains équipementiers. Directeur de l’innovation de Valeo, Guillaume Devauchelle considère la vision de son homologue comme utopique, expliquant que “personne, y compris les constructeurs, ne peut protéger et du même coup s’approprier les données”. Plus qu’un constat, ce dernier considère également que c’est aux indépendants de trouver leur place dans ce nouveau microcosme. “A eux de réinventer leur business, de trouver de nouvelles solutions et de prendre part au véhicule connecté. Des équipementiers comme Valeo sont prêts à les aider pour ce faire.” Voilà de quoi faire grincer quelques dents. Pourtant, au-delà des inquiétudes légitimes de tous, la remarque de Guillaume Devauchelle fait sens. Pourquoi donc les constructeurs, si tant est qu’ils chercheraient réellement à clôturer leurs technologies, laisseraient-ils des brèches ouvertes à des indépendants démunis d’arguments ? Considérant que le monde de l’automobile se trouve aujourd’hui à un tournant majeur, l’effort pour le surmonter n’en est que proportionnel et c’est aux principaux concernés de prendre les devants. Fondateur et CEO du site origineauto.com (vente en lignes BtoB de pièces détachées), Luc Azilinon ne dit d’ailleurs pas le contraire : “Le fait de rendre la voiture connectable était déjà une étape fondamentale que nous avons brillamment franchie. La suite, pour la rechange, consiste à connecter le réparateur pour permettre à son activité de profiter pleinement des nouveaux débouchés offerts par ces technologies. Il faut réussir à les intégrer dans le quotidien de ces professionnels.”
L’exemple Flauraud
Dans cette logique, il convient à ces acteurs de se lancer au plus vite sur le créneau de l’entretien prédictif, nonobstant le blocage possible, mais non avéré, précédemment évoqué par Franck Cazenave. A l’instar d’une marque comme BMW, qui propose avec son système Connected Drive de gérer les opérations de maintenance à la place du conducteur, équipementiers et distributeurs ont une force de frappe assez conséquente pour réussir à mettre au point leurs propres solutions répondant aux mêmes problématiques. Des solutions à forte valeur ajoutée, satisfaisant un réel besoin des automobilistes et leur permettant d’orienter ces derniers vers leur réseau ou ceux de leurs partenaires. La preuve par les faits avec Continental, qui a développé son propre outil de diagnostic à distance prenant la forme d’un boîtier branché sur la prise OBD du véhicule. “Le véhicule connecté a évolué plus vite que les mentalités, estime ainsi Nathalie Saint-Martin, directrice générale de Continental Automotive Trading France. Petit à petit, nous allons appréhender cette révolution, et cette solution y participe.” Information sur la vidange, sur le niveau de la batterie, analyse des codes défauts, de l’efficience du conducteur, recommandations d’entretien, appels de panne, comptent parmi les nombreux usages offerts par cette solution. Sans avoir la même force de frappe que Continental et comme un encouragement adressé aux moins téméraires du moment, Flauraud a mené à bien un projet similaire avec l’aide de plusieurs partenaires. Présentée à l’automne dernier lors du salon Innotech, “my car connected” permet au groupe clermontois de se lancer sur le marché du digital à l’aide d’un boîtier branché sur l’OBD et d’une application mobile. Efficace plus qu’innovante, cette solution doit permettre de créer du flux dans les garages du réseau Club Auto Conseil, propriété de Flauraud, en permettant une interconnexion entre le véhicule, le conducteur et le réparateur. Directeur commercial du groupe, Thomas Flauraud possède un avis aussi éclairé que lucide sur les enjeux du moment pour son secteur. “Aujourd’hui plus que jamais, il devient important de réaliser la bonne réparation au bon moment. Pour cela, il faut être en mesure de connaître et de surveiller le véhicule. Nous n’avons pas la prétention de posséder la meilleure technologie, mais, en tant que distributeur, nous nous devons de proposer le meilleur ou de tout faire pour y arriver.” Concrètement, le boîtier collecte les informations de kilométrage et les codes défauts du véhicule, puis les envoie sur les serveurs du catalogue électronique Mecasystems. La plate-forme génère ainsi un devis d’entretien qu’elle adresse au réparateur, mais également au conducteur, via son smartphone.
L’union fait la force
Au-delà de ses atouts techniques, “my car connected” présente également des fonctionnalités plus ludiques pour l’automobiliste telles que de l’écoconduite. Qualifiée “d’admirable” par le directeur général de la Feda, Yves Riou, cette initiative démontre que même un groupe familial et régional est en capacité de relever le défi du véhicule connecté. Plus que les mots ou les actes isolés, la présence de ces indépendants sur ce marché dépendra en grande partie de leur capacité à innover, bien entendu, mais encore plus à créer des alliances leur permettant d’avancer. L’un des derniers blocages n’étant plus technologique, mais bien financier, il s’avère nécessaire, pour les petits comme pour les plus grands, de croître ensemble. Pendant que Thomas Flauraud revendique “une stratégie d’alliance pour optimiser le service client”, Guillaume Devauchelle explique ainsi que “des opportunités existent déjà. A nous d’en tirer profit et de nous rapprocher pour y arriver car le futur se construit ensemble”. Si toutes les inquiétudes ne pourront être balayées d’un revers, des pistes existent pour permettre à tous ces professionnels d’exister sur un marché de prime abord verrouillé. Le reste, quant à lui, dépendra en grande partie des discussions menées actuellement à Bruxelles. “Si nous ne faisons rien, nous n’aurons rien”, prévient Yves Riou. Après avoir obtenu l’adoption du principe de l’interopérabilité des données, la Feda souhaite désormais entériner le tout pour que les règles d’accès et d’utilisation de celles-ci soient les mêmes pour chaque acteur. En sus, cela donnerait la possibilité à chaque conducteur de programmer, sans passer par le réseau constructeur, l’orientation d’un message depuis son système vers le garage de son choix. Un objectif élevé, en somme, à la hauteur du changement structurel qui est en train de s’opérer.