Turbos : se distinguer pour exister
"Il n'y a aujourd'hui quasiment plus un seul moteur sans turbo." Éric Coquet, directeur général de Vege France, pose les bases. "Tous les moteurs sont suralimentés pour émettre moins de CO2, et les constructeurs doivent baisser les cylindrées, passer du six cylindres au quatre ou trois cylindres. D'où l'intégration inévitable d'un turbo, même sur des tout petits moteurs essence. Nous sommes passés de 40 % de moteurs équipés de turbo à plus de 90 %. Donc, mécaniquement, la demande est plus grande. Le marché est en évolution constante depuis 15 ans." Dans les faits, il y a bien eu une entrave à cette constance, la crise sanitaire perturbant les chiffres en 2020. Mais après une année 2021 de forte reprise, 2022 a fait figure de confirmation, malgré des difficultés liées "aux délais d'approvisionnement plus longs et à la difficulté de sourcer certaines pièces en raison du contexte international", comme le rappelle Romain Perrier, directeur des ventes monde IAM de Garrett Motion.
Certains équipementiers affichent, en valeur, une croissance de 20 % sur cette famille de produits. En volume, la hausse est généralement moindre, car les prix ont augmenté en cours d'année. "Nous avons dû passer les hausses tarifaires des équipementiers premium, qui ont connu des difficultés à se procurer des composants et ont eu beaucoup de reliquats. Cela nous a un peu pénalisés", relate Guillaume Denormandie, directeur produits et marketing de MS Motorservice. Les prix varient selon la composante technologique du turbo, mais aussi selon sa taille et son poids. Mais dans l'ensemble, ils se sont stabilisés. "Il y a cinq ans, il y avait de tout, se souvient Éric Coquet. Les tarifs descendaient très bas car c'était devenu un produit que l'on vendait presque comme une plaquette de frein. Nous sommes revenus sur des tarifications plus normales. "
Lutter contre les "copieurs"
Si Vege France a maintenu son chiffre d'affaires et son volume de ventes en 2022, son directeur général reconnaît avoir perdu quelques clients, partis chercher leurs turbos ailleurs. "Nos concurrents deviennent très puissants car ils ont beaucoup de produits et sont dans des groupements, bénéficiant de conditions négociées en fonction de plusieurs pièces, analyse-t-il. On ne peut pas se battre avec tout le monde. Il y a pléthore d'offres depuis des années, avec du sourcing de Chine ou d'ailleurs, entraînant des difficultés à sourcer les pièces et donc leur qualité. "
Références d'origine, échange standard d'origine, échange standard aftermarket de qualité équivalente à l'origine… Les qualités sont effectivement variables, selon le positionnement des acteurs. Et c'est sans compter sur ceux qu'Éric Coquet appelle les "copieurs". Souvent moins chers, leurs produits peuvent attirer des ateliers en quête de prix très bas, au détriment de la qualité. "Il y a malheureusement des clients pour ça aussi, on ne peut pas lutter non plus", confirme Éric Coquet.
Il y a quelques années, Garrett avait lancé une campagne de communication pour alerter sur les risques pris par le garagiste ou le consommateur choisissant une copie par rapport à un turbo d'origine. "La différence de prix peut parfois être trompeuse, déplore Romain Perrier. Réduire la durabilité du produit et changer son turbo au moins deux fois rend finalement son prix beaucoup plus élevé, car le coût total comprend celui de la pièce mais également de la main-d'œuvre, le remplacement d'un turbo étant une opération assez complexe et longue. Il faut aussi rappeler les différences en termes d'émissions et de consommation de carburant. Elles peuvent être élevées, ce qui va à l'encontre de l'engagement de tous dans le combat actuellement mené pour la préservation de notre planète. "
Garrett estime qu'un turbo neuf ou original remanufacturé affiche une performance supérieure de 40 % à une copie, 28 % d'émissions de CO2 en moins et 4 % d'économies de carburant en plus. La multiplicité des références s'explique aussi par la complexité de la pièce. Un turbo est conçu pour un moteur spécifique et non pour un véhicule. Leader en la matière, Garrett compte plus de 8 000 références dans son catalogue. "Nous continuons de gagner de nouveaux programmes en première monte, assure même Romain Perrier. Il y a donc de plus en plus de véhicules équipés de turbo Garrett sur le parc roulant en France. "Chez Vege France, entre cinq et dix nouvelles références sortent tous les six mois. "Nous reprenons les mêmes configurations que les constructeurs, précise Éric Coquet. Le véhicule restant généralement dans le réseau constructeur pendant ses sept premières années de vie, du fait de la garantie, les turbos qui commencent à être demandés sur le marché indépendant datent de 2015. "
Se distinguer de la concurrence
Pour la rechange, cette multiplication de références peut apparaître comme une difficulté. "Il n'y a plus de top vente, regrette Guillaume Denormandie. Toutes les familles de pièces ont des références qui représentent le gros de la demande. Ce n'est pas le cas pour le turbo : un moteur, une motorisation, une référence." Autre particularité du turbo : cette pièce de casse – et non d'usure – n'est pas destinée à être changée. "La principale raison pour son remplacement n'est pas due au turbo lui-même, mais à un manque de maintenance sur le véhicule ou au non-respect des préconisations des constructeurs, notamment en matière de vidange et de qualité d'huile", explicite Romain Perrier. Fabriqué pour durer aussi longtemps que le moteur, le turbo lâche par manque d'entretien, si un corps étranger ou une impureté s'y infiltre. "De manière générale, il n'est remplacé qu'une fois, au maximum, sur la durée de vie du véhicule. Le parc vieillissant, les réparateurs sont amenés à en changer plus souvent", remarque Éric Coquet.
Pour les distributeurs, l'importance d'avoir un stock fourni est grande pour répondre rapidement aux demandes des garages. "Étant une pièce de panne, si vous n'avez pas le turbo au moment de la demande, la vente est généralement perdue, insiste Guillaume Denormandie. Nous nous engageons à stocker un maximum de profondeur de gamme. C'est un investissement coûteux pour nous, qui nous permet d'être reconnus comme un véritable acteur du marché, avec des ventes à J+1 pour limiter l'immobilisation du véhicule." MS Motorservice dispose ainsi de sa plateforme logistique de Lyon (69) et de stocks connectés chez ses clients pour distribuer marques premium, turbos remanufacturés (voir encadré), mais aussi sa propre marque d'échange standard, Turbo By Intec.
C'est avec les services proposés à leurs clients que les fournisseurs peuvent se distinguer les uns des autres. "Beaucoup se lancent sur le turbo, mais tout le monde n'est pas capable de vendre correctement, de respecter les procédures et de garantir un bon service après-vente, reprend le directeur produits et marketing. MS Motorservice est axé sur la qualité de son service technique. Pour le SAV, nous récupérons la pièce, l'analysons et rendons un rapport technique. Selon l'accord du client sont réalisées des expertises et contre-expertises. Ce n'est pas un simple remboursement de la pièce ou de la main-d'œuvre, nous cherchons les causes techniques."
Côté services, Garrett propose un système de précommandes anticipées avec ses principaux distributeurs européens et dans le monde afin d'augmenter sa visibilité à plus de quatre mois, améliorant ainsi ses livraisons.
L'aspect humain s'avère privilégié par Vege France, avec "de vrais techniciens à plus de dix ans d'ancienneté qui répondent au téléphone, clame Éric Coquet. C'est vital car aujourd'hui, tout le monde vend la même chose et il y a beaucoup de dématérialisation. Les clients se tournent vers nous pour nos services." Vege France assure aussi une garantie 100 % sur ses turbos, "pour éviter les bras de fer entre le distributeur et le garagiste".
Le turbo a de l'avenir à la rechange
Équipementiers et distributeurs sont du même avis : le marché du turbo maintiendra son évolution positive dans les années à venir. Il est de plus en plus présent sur les véhicules neufs, et la demande à la rechange augmentera donc encore. "Nous voyons désormais des turbos essence sur des petites voitures avec des moteurs de taille réduite", constate Guillaume Denormandie. Un élément qui participe à la hausse du taux d'équipement, d'autant que le parc roulant continue de vieillir, et que les automobilistes doivent, par conséquent, entretenir leur véhicule de plus en plus longtemps. Pour les véhicules roulant aux nouvelles énergies, l'hydrogène – nécessitant un moteur thermique – demandera toujours de la pièce technique. Tout comme les véhicules hybrides. "Le turbo reste une technologie d'avenir pour répondre aux réglementations de plus en plus strictes et aux besoins de plus en plus sophistiqués de la mobilité d'aujourd'hui et de demain", analyse Romain Perrier.
Et, comme pour d'autres familles de produits qui pâtiraient d'un parc 100 % électrique, la tendance est au calme pour le turbo. "Après 2035, quand l'interdiction de la vente de véhicules thermiques sera en vigueur, nous aurons encore de l'après-vente à réaliser sur ces derniers, et ce a minima jusqu'en 2045-2050, rassure Éric Coquet. L'avenir est donc encore porteur pour nous, ce n'est pas l'heure de paniquer. Le thermique durera notamment pour des raisons économiques, car l'électrique est trop cher. De plus, comme je le rappelle souvent à mes plus vieux clients, ceux qui prospèrent le plus sont ceux qui vendent des moteurs de 2 CV et de Coccinelle." La nostalgie comme meilleure alliée ?
Le turbo remanufacturé est toujours au top
Il a toujours occupé une place majeure sur le marché du turbo, et le contexte inflationniste et environnemental ne va certainement pas endiguer sa progression. Le turbo remanufacturé continue d'avoir la cote. "Chaque année, sa part dans nos ventes augmente, confirme Romain Perrier, directeur des ventes monde IAM de Garrett Motion. Elle se situe aujourd'hui autour de 60 % en France. Nous disposons de plus de 200 références dans notre gamme Garrett Original Remanufacturé."
La part du "reman" est encore plus grande chez MS Motorservice : 70 %. Le fournisseur aime mettre en avant qu'il est le seul à faire de la rénovation de turbos, pour VL et PL, en France, sur son site de Lyon (69). "Le marché du turbo remanufacturé a le vent en poupe, et encore plus cette année du fait de l'inflation, ajoute Guillaume Denormandie, directeur produits et marketing de MS Motorservice. Le prix est généralement 30 % inférieur à celui d'un turbo neuf. Cet écart varie en fonction de l'âge du véhicule, du nombre de carcasses disponibles sur le marché, ou de la facilité à refaire la pièce pour les copieurs."
MS Motorservice va par ailleurs adhérer à l'association France Auto Reman. Un moyen de mieux communiquer sur le sujet, car "le consommateur se montre sensible aux pièces remanufacturées, mais n'en fait pas pour autant un critère essentiel d'achat", selon Guillaume Denormandie. De son côté, Vege France n'a toujours fabriqué que du turbo remanufacturé, depuis une dizaine d'années, avec une usine principale située en Tunisie. Ce qui ne l'empêche pas de pouvoir répondre à 90 % de la demande. "Nous étions précurseurs en la matière dès 1936 avec les moteurs et boîtes de vitesses. Maintenant, nous devenons à la mode, plaisante le directeur général, Éric Coquet. Nous avons un cercle vertueux : nous récupérons de la vieille matière, nous refabriquons et nous vendons un produit fini. Réparer son véhicule est plus écologique qu'acheter une voiture neuve." Sans mentionner que les moteurs thermiques sont de moins en moins polluants…