Garage durable : le changement, c'est maintenant
Alors que l'automobile est souvent montrée du doigt pour sa contribution au réchauffement climatique, l'industrie a amorcé depuis déjà plusieurs années sa transition énergétique. Une démarche à laquelle n'échappe évidemment pas l'aftermarket qui doit aussi montrer patte blanche (ou verte). Et cette problématique ne se limite pas uniquement aux réparateurs. "Le sujet environnemental nécessite un engagement de toute la chaîne d'approvisionnement", constate Florian Précigout, directeur des services et des concepts chez Nexus Automotive International.
Précurseur sur le sujet de l'après-vente durable, le groupement d'achat international a bien cerné ces nouveaux enjeux grâce à deux études réalisées dans six pays européens, dont la France, auprès notamment de 2 300 chefs d'entreprise réparateurs. "90 % des garages se disent déjà engagés dans une démarche écologique, affirme Florian Précigout. Cependant, au-delà de la gestion des déchets, et quelques engagements autour des économies d'énergies et en eau, un véritable fossé s'est creusé entre les attentes des automobilistes, les réglementations et les réelles actions mises en place par les réparateurs localement."
Même sur la gestion des déchets, qui représente pourtant le premier levier dans les ateliers pour protéger l'environnement, tous ne sont pas encore rodés comme ils le devraient. "Sur quelque 41 000 garages en France, 38 000 effectuent la gestion dans les règles de l'art d'au moins un déchet. Cela signifie que 3 000 garages ne font toujours rien à ce sujet, ou du moins pas correctement", déplore Aurélien Dumarche, responsable commercial chez Chimirec.
L'inévitable gestion des déchets
Pourtant, la gestion des déchets en atelier devrait être un process plus maîtrisé. "C'est un sujet réglementairement présent depuis les années 1990, rappelle Aurélien Dumarche. Les constructeurs obligeaient les réseaux à traiter leurs déchets, sous peine que leur charte ne soit pas respectée. Désormais, il y a un principe de traçabilité : le producteur est responsable de son déchet dangereux de sa production jusqu'à son élimination finale, y compris quand le garagiste l'a en sa possession." Pour accompagner la filière, les pouvoirs publics ont mis en place l'outil Trackdéchets, qui suit et permet de dématérialiser cette traçabilité lors du traitement final du déchet. "L'État a donc une vision informatique de tous les déchets des garages, résume le responsable commercial. Si l'un d'entre eux souhaite faire traiter ses déchets en déchetterie sans collecteur, ce n'est légalement pas possible car il ne pourrait pas justifier qu'il a fait traiter ses déchets."
Avec quelque 22 000 clients issus de l'automobile, soit la moitié de son portefeuille, Chimirec travaille autant avec les réseaux de distribution que les MRA. Le spécialiste du traitement des déchets collecte 85 000 tonnes d'huile par an en France. C'est le premier déchet généré dans les garages. Le groupe dispose notamment d'outils de traitement des filtres à huile. Il peut les envoyer dans des unités d'incinération, ou bien différencier les matières (huile, ferraille et papier filtrant) pour un meilleur recyclage. Chimirec peut aussi régénérer les liquides de refroidissement à hauteur de 99,5 %. "Un garage produit en moyenne une quinzaine de déchets différents, mais cela peut monter jusqu'à une trentaine. C'est une charge que le réparateur peut refacturer, précise Aurélien Dumarche. Chimirec peut s'occuper de tous les déchets. Nous distinguons les déchets dangereux et non dangereux, ceux issus des fontaines de dégraissage, qui concernent l'assainissement, le retraitement des eaux usées…"
Dans le process, Chimirec, à l'instar des sociétés concurrentes, signe des accords de référencement avec un groupe ou un réseau. Ce dernier ne pouvant pas imposer de prestataire, les garages font leur choix en âme et conscience. Mais ce type d'accord porte généralement ses fruits : au moins 60 % des ateliers d'un réseau partenaire choisissent Chimirec comme collecteur de déchets. "C'est plus simple pour eux, cela leur assure que nous sommes en règle pour collecter leurs déchets, remarque le responsable commercial. Nous réalisons des études de volumétrie au cas par cas dans les garages et proposons des solutions adaptées, que l'on revoit chaque année."
De nouveaux labels pour des ateliers vertueux
Outre la gestion des déchets, les garages peuvent bénéficier aussi de recommandations et d'un accompagnement de leur réseau ou de leur groupement pour les aider à "verdir" leur activité. "C'est important pour un atelier MRA, confirme Pascal Brethomé, président régional de Mobilians en Pays de la Loire, qui dirige notamment deux ateliers. Un réseau apporte des choses au garagiste, notamment en termes de formation, de services, de financements, de contrats d'entretien, etc."
Cet accompagnement, Alternative Autoparts le propose pour ses 160 garages Technicar Services et 38 Relais Techniques répartis sur le territoire. Le groupement a notamment lancé, fin 2022, son label Expert Éco Mobilité. Une certification à laquelle peuvent prétendre les ateliers démontrant leur démarche écoresponsable. Parmi les prérequis, on retrouve le recyclage des déchets, la proposition de pièces de réemploi, les opérations de protection et de nettoyage des moteurs thermiques, les écorévisions, la rénovation de l'électronique embarquée ou la prise en charge des véhicules électriques et hybrides. Le garage doit aussi être équipé d'un analyseur 5 gaz. Dans les réseaux de centres autos, le sujet de la durabilité semble également devenir une priorité.
C'est le cas notamment de Norauto, qui collabore avec le collectif Génération Responsable pour labéliser ses centres "Commerçants responsables". Zone de collecte pour le recyclage (batteries, lampes, essuie-glaces…), pneus reconditionnés et écorévisions sont des critères décisifs. Le réseau dispose aussi du label "Enseigne responsable" depuis six ans. "Ces labels illustrent notre démarche de progrès, les efforts et l'engagement des équipes. Nous voulons emmener tout le réseau dans cette démarche, confie Anne-Danièle Fortunato, leader développement durable chez Norauto. Le fait d'être certifié par un organisme indépendant permet de ne pas avoir de doute sur nos démarches."
Si les labels représentent la garantie du respect d'un cahier des charges, d'autres acteurs du marché veulent aller plus loin en amorçant une démarche plus structurante. C'est le cas de Nexus Automotive qui a dévoilé en 2023 son projet "AA Repair For Good", en collaboration avec une quinzaine de partenaires. "Nous avons rédigé un référentiel pour identifier et structurer ce que peut être un réparateur durable, entre empreinte carbone, économie circulaire et considérations sociales, détaille Florian Précigout. Nous avons créé un outil d'audit avec 25 indicateurs pour positionner un réparateur sur ces trois domaines, avec pour objectif de l'accompagner en lui proposant des solutions adaptées sur ce qu'il n'a pas encore mis en place." D'ici la fin de l'année, Nexus Automotive espère pouvoir faire partie d'une future association qui prendrait la responsabilité de cette initiative et déploierait les outils développés au-delà des frontières de son groupement, pour en faire un "standard pour le marché".
L'essor du marché de l'après-vente durable
Ambitieuse, l'initiative portée par Nexus Automotive répond pourtant à des attentes de plus en plus fortes du côté des automobilistes. L'enquête réalisée par le groupement révèle notamment que les consommateurs français sont prêts à payer 5,7 % plus cher dans un garage respectueux de l'environnement, et même à parcourir huit kilomètres de plus pour s'y rendre.
Avec cette prise de conscience, c'est un nouveau segment de marché qui émerge. Selon le cabinet Roland Berger, le business de l'après-vente durable devrait atteindre 15 milliards d'euros en 2040, soit entre 10 et 15 % du chiffre d'affaires global du secteur. "Il y a, ces derniers temps, une prise de conscience sur le fait que notre métier peut contribuer à limiter la pollution. Nous ne sommes pas parfaits sur tout, mais nous avons la volonté de faire bouger les lignes, martèle Anne-Danièle Fortunato. Il faut travailler nos argumentaires de vente, car cet aspect responsable était auparavant à côté du business, et en fait désormais partie intégrante."
La communication est effectivement essentielle pour promouvoir auprès de l'automobiliste une consommation plus écologique, plus juste et plus responsable. "Le savoir-faire est important, le faire savoir l'est tout autant", confirme Sandra Henric, responsable de Technicar Services. Le réseau de MRA d'Alternative Autoparts est invité à mettre en lumière toutes ses prestations favorables à la préservation de l'environnement, et ceux qui ont décroché (ou décrocheront) le label Expert Éco Mobilité à le valoriser. Sandra Henric reconnaît que "le démarrage est compliqué : 50 garages ont initié la démarche, mais seulement trois ont déjà le label. L'inflation peut freiner certains garages à investir. Mais nous sommes optimistes : cela se rééquilibrera avec le temps. D'autant qu'en tant que groupement, Alternative Autoparts peut mutualiser les investissements importants." "Il y a des réticents dans toutes les entreprises", rappelle Anne-Danièle Fortunato, pour qui "la prise de conscience est réelle" dans la majorité des cas.
L'inflation laisse penser que le déploiement des garages plus durables sera hétérogène, selon leur capacité à réaliser les investissements nécessaires pour verdir leur activité. Mais parfois, l'incitation est tout ce qu'il manque. Auprès du client, déjà  : en novembre 2022, Carter-Cash a mis en place un bon d'achat de 10 € pour toute batterie usagée ramenée en magasin. Résultat : en juillet 2023, le réseau en avait déjà collecté 45 000. L'intérêt financier peut aussi être un facteur de motivation chez les productifs. "Pour baisser la consommation de mes ateliers, j'ai augmenté mes salariés, en les prévenant que tous devraient faire des efforts pour effectuer des économies au quotidien, expose Pascal Brethomé. C'est un travail pédagogique à réaliser, mais c'est avant tout un esprit d'équipe."
Priorité à la sobriété énergétique
Un effort collectif de tous les jours qui s'est accéléré avec la crise énergétique, et qui aide à faire des ateliers des lieux plus responsables : réduction du chauffage et de la climatisation dans le garage et les bureaux, extinction des enseignes lumineuses la nuit, etc. Chez Carter-Cash, on a ainsi remplacé le papier essuie-tout par des lingettes lavables. Passer ses éclairages en Led, peindre ses murs en blanc ou ajouter des vitres peut aussi contribuer à la baisse de la facture énergétique. Chez certaines enseignes, les plans de sobriété énergétique peuvent aller plus loin. Encore en phase pilote, Norauto étudie par exemple l'autoconsommation à l'aide d'ombrières et de panneaux photovoltaïques.
L'étude de Nexus Automotive montre que seuls 3 % des garages en sont équipés. "Des aides gouvernementales existent pour ce type de travaux, mais beaucoup de garagistes ne sont pas au courant, regrette Florian Précigout. Ils disposent de sites avec de larges toits, c'est dommage de ne pas avoir ce réflexe d'investir, ce qui, de plus, est bénéfique sur le long terme." Outre les efforts sur la consommation énergétique, les organisations s'adaptent aussi dans les ateliers pour devenir plus sobres. En termes de gestion de déchets, par exemple, disposer d'une presse à balles plutôt qu'une simple benne permet de réduire l'espace pris par une même quantité de déchets, et d'optimiser leur transport.
Pascal Brethomé a de son côté réorganisé son fonctionnement : l'ouverture globale reste identique, mais les heures d'atelier ont été réduites de 2h30 par jour. "Nous avons fait cela pour éviter d'ouvrir l'atelier et mettre en route le compresseur pour une seule personne." Autre initiative intéressante : le président régional de Mobilians en Pays de la Loire a décidé de réduire les livraisons de son fournisseur de pièces détachées. De trois par jour actuellement, le nombre de tournées passera à deux mi-2024, puis à une seule en 2025.
Des prestations toujours plus vertes
Si les réparateurs n'hésitent plus à adopter une gestion plus écoresponsable de leur entreprise, leur activité peut également avoir un impact favorable sur la décarbonation du parc roulant. Sur ce sujet, Florian Précigout rappelle le rôle primordial que doit jouer le diagnostic. "La systématisation du diagnostic des véhicules entrant en atelier permettrait d'avoir un vrai impact sur les émissions carbone du parc roulant, estime-t-il. Des démarches intéressantes existent autour de l'éco-entretien, de la partie injection moteur, etc." Côté outils et consommables, là aussi il importe de faire évoluer les habitudes. Chez les fournisseurs, les catalogues évoluent vers des produits plus respectueux de l'environnement. À l'instar de Clas qui propose notamment un aérosol rechargeable haute pression adapté aux lubrifiants, dégrippants ou nettoyants freins.
Dans la pièce de rechange aussi, les équipementiers répondent aux enjeux actuels. Valeo vient de lancer sa gamme écoresponsable Canopy avec des balais d'essuie-glaces dont la conception a nécessité 61 % d'émissions de CO2 en moins que pour un modèle traditionnel. Chez Norauto, on propose aussi de plus en plus de produits en marque propre dotés de pictogrammes "Automobiliste et responsable". Pour réduire l'empreinte carbone de certains produits (remorques, porte-vélos, etc.), l'enseigne promeut aussi la location au détriment de la vente. Autre réseau du groupe Mobivia, Carter-Cash mise de son côté sur l'économie circulaire avec le pneu reconditionné, la batterie et les huiles régénérées, etc. Les groupements y vont aussi de leurs offres autour du réemploi, comme Alliance Automotive avec sa marque Back2Car. Ces initiatives sont soutenues par les fabricants de pièces qui développent de plus en plus leur offre "seconde vie" (Bosch eXchange, etc.)
Notons dans ce domaine les efforts de ZF qui propose plus de 5 500 références remanufacturées (étriers de frein, systèmes de direction, etc.) et Valeo qui veut reconditionner jusqu'à deux millions de produits chaque année dès 2030. "Les équipementiers ont de nouvelles contraintes souvent liées à leur rapport annuel environnemental, ce qui les pousse à mieux maîtriser l'usage final de leurs produits", souligne Florian Précigout. C'est sûr, la recyclabilité des pièces et produits va jouer un rôle majeur dans le développement durable de la filière. Mais aussi vertueux soit-il, le recyclage ne doit pas être un objectif à tout prix. "La philosophie générale actuelle est : consommer, changer, recycler. Mais le recyclage ne doit être que la dernière option envisagée, prévient Florian Précigout. Pour le limiter au maximum, il convient d'appliquer une approche circulaire : diagnostiquer, nettoyer, entretenir, remanufacturer." Parce que le produit le plus responsable reste le plus durable, entretenir son véhicule est, encore aujourd'hui, la meilleure façon d'optimiser sa longévité.
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Sobriété : un enjeu plus important dans les carrosseries que dans les garages ?
Quand il s'agit de réduire leur empreinte environnementale, carrossiers et mécaniciens ne sont pas logés à la même enseigne. "Les ateliers mécaniques génèrent une typologie de déchets plus large, mais en plus petite volumétrie. Les carrosseries ont moins de typologies, mais de plus grosses volumétries", rappelle Aurélien Dumarche. Outre une gestion plus complexe de leurs déchets, les carrosseries ont "moins de solutions alternatives en termes de pièces", selon Florian Précigout. Ce dernier note néanmoins que des avancées ont été faites sur les consommations d'énergie.
Les spécialistes de la réparation-collision s'organisent pour se montrer plus responsables. "Avant, dans les cabines de peinture, on peignait à 22 °C. Désormais, on peint à 20 °C. On étuvait à 60 °C, maintenant à 45-50 °C, et plus forcément à chaque fois, détaille Pascal Brethomé, qui y gère aussi une carrosserie. Quand il fait froid, on essaie de peindre en début d'après-midi pour gagner quelques degrés et consommer moins. Enfin, ça paraît bête mais les salariés n'ouvrent plus la cabine pour réchauffer la carrosserie." Avec des mesures aussi simples, Pascal Brethomé a abaissé sa consommation annuelle de fioul de 3 000 à 2 000 litres par an.