La climatisation a le vent en poupe
De toutes les gammes de produits sur le marché de la rechange, la climatisation fait sans doute partie de celles qui ont connu le plus bel essor ces trente dernières années. Il faut rappeler que cette famille de pièces a profité d'un contexte favorable. Si moins d'un véhicule sur cinq était équipé d'un système de climatisation à la fin des années 1990, la situation a évidemment bien changé depuis. "Nous estimons que 92 % du parc roulant est équipé, confirme Michaël Rhé, directeur France de Nissens. Le marché progresse, ce qui est logique compte tenu de cette augmentation."
L'équipementier danois évalue à un peu plus de 6 % la croissance, en volume, de ce marché en 2023 en France. Un chiffre plus faible qu'il a pu l'être par le passé. "Forcément, à un moment donné, le parc sera mature, pose Michael Rhé. Mais nous continuons d'avoir des développements et de la croissance sur des catégories de produits matures, comme le radiateur. Nous n'attendons donc pas de stagnation sur la climatisation, notamment dans les cinq prochaines années." Pas de stagnation, mais un ralentissement de la croissance, à terme.
D'ici là, les professionnels veulent profiter du vieillissement du parc roulant. "Le parc vieillit, ce qui va entraîner des phases de maintenance encore plus régulières, remarque Michel Gilbert, directeur commercial France de NRF. Les utilisateurs prennent de plus en plus conscience de la nécessité d'entretenir régulièrement leur climatisation pour éviter le phénomène de panne lors des premières grosses chaleurs."
Trois pièces phares
Preuve que ce marché de la climatisation reste porteur, de nouveaux acteurs y font leur apparition. Bosch, qui propose depuis des années des stations d'entretien de climatisation, a décidé en 2024 de développer une nouvelle offre pour cette gamme de pièces de rechange. Environ 200 références de condenseurs et de compresseurs seront mises sur le marché dès cette année, pour couvrir 30 à 35 % des besoins du parc en France, qui fait partie des premiers pays concernés par ce lancement. Une expansion de cette gamme est prévue pour 2025. "Ce sont les deux grosses pièces de la boucle climatisation, celles qui portent le plus le marché en termes de chiffre d'affaires, confie Kevin Gourven, spécialiste produits de climatisation Europe chez Bosch. Le compresseur est le cœur du système et a une forte valeur, quand le condenseur est une pièce de casse pour laquelle il y a plus de remplacements."
Le compresseur occupe en effet une large place dans les gammes des spécialistes de la climatisation. Nissens compte plus de 740 références pour cette pièce sujette aux pannes. Si elle reste celle avec la plus forte valeur, son prix a cependant diminué depuis la fin de la décennie précédente. De plus, une offre reman a émergé pour cette famille de produits.
Valeo, qui couvre entre 85 et 90 % des besoins du marché en compresseurs, dispose en effet d'une offre neuve sans consigne, mais aussi d'une gamme de produits rénovés, baptisée Regen. "Elle est notamment dédiée au marché français, très attaché à l'échange standard. Ces pièces rénovées sont accompagnées d'une consigne, précise Jeffry Chevalier, directeur marketing aftermarket pour l'Europe de Valeo Service, qui a connu une croissance à deux chiffres sur les compresseurs en 2023. Nous avons étendu cette offre début 2024 avec de nouvelles applications, notamment pour les marques Renault et Peugeot."
Moins coûteux, le condenseur est la pièce de la boucle de climatisation la plus remplacée, car elle est particulièrement sensible aux chocs. "C'est une pièce très exposée, située juste derrière le pare-chocs. Une pierre qui passe par les entrées d'air, un contact avec le véhicule devant, et le condenseur est endommagé", prévient Michael Rhé. Nissens dispose de plus de 1 200 condenseurs dans son catalogue, dont 80 % bénéficient d'un traitement anticorrosion. L'équipementier danois ne lésine pas sur les nouveautés pour cette pièce qui lui a de nouveau valu une forte croissance en 2023. "Nous essayons de proposer le trio de face avant, condenseur, radiateur et intercooler, dans les trois ans suivant la sortie du véhicule", liste le directeur France.
À ces deux pièces phares, Jeffry Chevalier cite un troisième élément porteur pour la famille climatisation : le pulseur d'air. "À eux trois, ils représentent près de 50 % du marché global en valeur", estime-t-il. Ce pulseur d'air gère la ventilation de l'air froid dans l'habitacle, et est donc essentiel au bon fonctionnement de la climatisation. "Certains pulseurs sont très porteurs en termes de CA, note Michel Gilbert. C'est un vrai produit de panne où l'électronique est parfois sensible."
Dans cette large famille, on recensera aussi le filtre déshydrateur, régulièrement intégré au condenseur. Cette pièce fait d'ailleurs partie des futures cibles de Bosch. "Nous voulons ajouter ce très important filtre déshydrateur à notre gamme en 2025, puis le détendeur, l'évaporateur, etc. L'objectif est d'avoir toute la boucle de climatisation", annonce Kevin Gourven. Les capteurs se développent également. NRF a sorti des capteurs de température de liquide de refroidissement, de niveau de liquide de refroidissement, ou encore de température de gaz d'échappement.
L'importance pour les garages de s'y mettre
Si les gammes se développent, c'est aussi parce que la rechange indépendante s'intéresse de plus en plus à la maintenance et à la réparation des systèmes de climatisation. "De plus en plus de garages indépendants sont équipés de stations de charge et font l'effort d'avoir une certification, remarque le directeur France de Nissens. Encore récemment, on voyait beaucoup d'a priori négatifs sur le fait que l'agrément coûte cher, est compliqué à obtenir. Mais chez Nissens, tout le monde a l'agrément, même notre comptable. Si lui l'a, c'est qu'un garagiste doit pouvoir l'obtenir. C'est une question de volonté et d'investissement."
Cet agrément est indispensable pour travailler avec le gaz R134, mais ne l'est pas pour le R1234yf. Dans les deux cas, une station (spécifique pour chaque gaz ou bi-gaz) est requise pour recharger le système. Si la prestation est rentable, certains se refusent encore à l'investissement. Ces ateliers peuvent procéder aux remplacements d'un compresseur usé ou d'un condenseur cassé, mais la recharge leur est impossible à opérer. "En France, souvent, un garage non équipé en station a un accord de sous-traitance pour cette prestation avec un confrère", explique Jeffry Chevalier.
Un process qui permet de se passer de machine, mais qui peut avoir ses limites. "Je ne vois pas la sous-traitance d'un bon œil, reconnaît Michael Rhé. La communication entre les deux n'est pas toujours optimale. Or, le fait de changer une pièce ne veut pas dire que vous avez réglé tous les problèmes. On peut vite se retrouver avec des problèmes en sortie d'atelier si les informations n'ont pas été bien transmises." Nissens insiste ainsi auprès des garagistes sur la nécessité de maîtriser certaines opérations, tel le rinçage du circuit de climatisation, qui doit être un réflexe en cas de remplacement du compresseur. "Il faut nettoyer l'intégralité du circuit pour éviter de remettre en circulation des débris qui pourraient casser le compresseur qui vient d'être changé", détaille le directeur France.
Plus les années passent, plus il apparaîtra indispensable pour les ateliers d'être aussi équipés que possible pour intervenir sur ces systèmes de climatisation. La raison : la part grandissante de véhicules électrifiés sur le parc roulant. "Les opérations de maintenance, recharge et vérification des systèmes de climatisation vont être encore plus importantes, car le moindre problème peut mettre le véhicule à l'arrêt. Les maintenances devront être régulières", prévient Jeffry Chevalier. En effet, si la climatisation est un élément de confort dans un véhicule thermique, elle devient aussi un moyen de refroidir la batterie. "Nous avons la chance de travailler sur deux systèmes : la boucle de refroidissement et la boucle de climatisation", note Michel Gilbert. Et "un compresseur en panne sur un VE, c'est une voiture en panne", résume Michaël Rhé chez Nissens.
Cette tendance n'est pas étrangère à l'intérêt de Bosch pour cette famille… "Nous fabriquions déjà des pièces en gestion thermique pour le refroidissement moteur, notamment pour les VE : vannes de refroidissement, pulseurs, etc. Cela faisait sens d'ajouter cette gamme de produits de climatisation. La boucle est bouclée", se réjouit Kevin Gourven. En anticipant l'électrification du parc, l'équipementier allemand pourra équiper les véhicules thermiques. En effet, les pièces de climatisation ne vont pas disparaître. Compresseurs, condenseurs, pulseurs seront toujours là, et en nombre. "Ces pièces vont être en usage quasi permanent sur le véhicule et seront donc plus consommées. Même s'il nous faudra plusieurs années pour avoir de vraies statistiques sur la fréquence de remplacement", tempère Jeffry Chevalier.
Les avantages de l'électrification du parc
L'indispensable condenseur sera toujours de la partie, quand un condenseur de chaleur remplacera le chauffage des véhicules thermiques. "On trouvera aussi des systèmes d'évapo-condenseur intégrés en module tout-en-un, ajoute le directeur marketing aftermarket de Valeo Services. On ne sait en revanche pas encore s'ils seront généralisés ou pour certains cas." Le pulseur aura toujours sa place également. Mais cette pièce de friction va changer, comme le rappelle Jeffrey Chevalier. "Le véhicule électrique est silencieux, donc toutes les pièces doivent l'être. Le pulseur va passer sur un modèle sans friction. Nous verrons s'il se remplace toujours autant."
Pour la troisième pièce majeure de la famille, le compresseur, une mutation est à l'œuvre du modèle mécanique vers l'électrique. Les volumes ne sont pas conséquents, mais les équipementiers ont embrayé sur le sujet. Dès fin 2021, Valeo a lancé ses premières références. "La gamme est encore courte, mais sera complétée en 2024. Nous l'avons ouverte assez vite car nous considérons qu'il faut donner les mêmes armes à tous les acteurs du marché, déclare Jeffry Chevalier. L'accompagnement est important, car on ne remplace pas un compresseur électrique comme un mécanique : il n'y a pas de courroie, pas de calibrage à effectuer… En revanche, il y aura de l'électronique et du logiciel à mettre à jour."
Pour les VE, Nissens a déjà lancé 40 références de compresseurs haute tension. Au total, sur les 12 000 références de sa famille climatisation, 725 sont dédiées à ces modèles. Et ce n'est pas fini. "Les composants se complexifient un peu. On a des filtres accumulateurs, beaucoup de vannes qui gèrent les flux chauds et froids, différents capteurs, des systèmes de détente supplémentaires… liste Michael Rhé. On peut aussi retrouver des petits refroidisseurs comme des chillers."
Cet échangeur thermique met en relation le liquide réfrigérant et le liquide de refroidissement pour permettre le maintien à température de la batterie. "Nous allons très bientôt introduire les premiers chillers sur le marché de la rechange indépendante, où ils sont actuellement quasi inexistants", annonce Jeffry Chevalier pour Valeo, qui commercialisera aussi prochainement un premier système de radiateur chauffage haute tension pour certains VE. Des pièces plus nombreuses et plus onéreuses : le compresseur électrique est, par exemple, deux à trois fois plus cher que le mécanique.
L'avenir de la famille climatisation apparaît assuré. D'autant que sa saisonnalité traditionnelle avec les véhicules thermiques – la climatisation étant plus utilisée en été – sera moins marquée avec l'électrification du parc. La demande pour ce type de pièces devrait donc être plus régulière tout au long de l'année. "Y a plus de saisons, ma bonne dame…"