La Piec, un marché qui tourne rond
Qu'elle soit de réemploi, remanufacturée ou reconditionnée, la pièce issue de l'économie circulaire (Piec) bénéficie aujourd'hui d'une conjoncture favorable. À la faveur d'une offre mieux structurée et de prescripteurs plus volontaires, ce marché a enfin trouvé sa place dans le paysage de l'après-vente. Mais les acteurs de la filière ne crient pas victoire, tant les défis restent nombreux à relever.
Démonter des pièces de réemploi pourrait être demain plus facile pour les centres de traitement de véhicules hors d'usage (VHU). C'est du moins l'ambition de la Commission européenne qui a présenté, le 13 juillet dernier, son règlement sur les véhicules en fin de vie. Ce texte propose de nouvelles exigences en matière de collecte des épaves et de recyclage pour soutenir la "transition de l'écosystème industriel automobile vers la circularité", selon Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur.
Parmi ses propositions, le règlement entend faciliter le démontage des VHU en obligeant les constructeurs à fournir aux démolisseurs des instructions claires sur les processus à suivre pour enlever les pièces susceptibles de connaître une seconde vie. Cette mesure pourrait donner un sérieux coup de pouce aux déconstructeurs qui peinent encore trop souvent à traiter certains modèles entrant dans leur atelier, faute de données disponibles.
"Aujourd'hui, nous démontons entre 17 et 18 pièces en moyenne par véhicule. Pour aller plus loin, il faudrait que nous arrivions à accéder à plus de données. Les constructeurs doivent nous aider pour que nous puissions élargir nos gammes", confirme Johan Renaud, directeur de GPA.
Dans les rangs du réseau de centres VHU Caréco, le directeur général adjoint, Jean-François Grimaldi, dresse le même constat : "Nous faisons face à un problème d'identification des voitures. Nous changeons d'ailleurs en ce moment de partenaire sur ce sujet. Nous avons choisi les solutions du spécialiste du chiffrage automobile DAT, qui nous donneront une véritable nomenclature avec l'intégralité des données à partir du VIN des véhicules."
Confronté à cette même contrainte, le groupe Surplus Recyclage n'a pas hésité à constituer, grâce à son équipe R&D, sa propre nomenclature de véhicules et de pièces. Idem pour le deux-roues, marché sur lequel Laurent Hérail, fondateur du groupe, confie n'avoir trouvé aucun catalogue dédié…
Une demande en croissance
Le sujet de l'accès à la donnée est d'autant plus sensible pour les déconstructeurs qu'ils font l'objet d'une demande de PRE toujours plus importante depuis quelques années. Un contexte porteur qui s'est confirmé ces derniers mois : les difficultés traversées par le marché du véhicule neuf et l'inflation grandissante ont favorisé une accélération du vieillissement du parc automobile. Selon AAA Data, celui-ci atteint désormais 11,3 ans d'âge moyen, contre 11 ans en 2022 et 10,8 ans en 2020.
Près de 52 % des voitures roulant en France ont aujourd'hui plus de 10 ans, soit près de 27 millions d'unités. Et 12 % d'entre elles sont même âgées de plus de 20 ans. Cette situation est évidemment favorable à la pièce de seconde main. "Le marché du réemploi profite d'un phénomène d'aubaine avec l'état du parc roulant", observe Odette Dantas, directrice générale adjointe de Gipa France.
Résultat : le recours à la pièce e réemploi ne cesse de croître ans les ateliers. L'association SRA a publié cet été son étude portant sur les PRE employées dans le cadre de réparation de sinistres (collision en circulation et en stationnement) pour le premier semestre 2023. Sans réelle surprise, les chiffres ont une nouvelle fois à la hausse. Le taux de rapports d'expertise contenant au moins une PRE s'élève sur cette période à 15,1 % (contre 11,3 % pour l'exercice 2022 et 9 % pour 2019). Quant à la part de pièces d'occasion dans le total des pièces remplacées, elle grimpe également pour atteindre 4,7 % (3,5 % en 2022 et 3 % en 2019).
Pour la Piec, la tendance est donc positive. D'autant que, rappelons-le, les chiffres de SRA ne tiennent pas compte des réparations faites sans expertise et sans passer par l'assureur. Sur le terrain, les spécialistes de la déconstruction, qui disposent d'une vision plus globale du marché, confirment sa bonne tenue. "L'activité se porte bien pour la pièce de réemploi, reconnaît Jean-François Grimaldi. En 2022, nous avons mis en place un gros travail d'animation qui porte ses fruits."
Même constat chez GPA, où Johan Renaud confie avoir enregistré un début d'année très positif pour la PRE, aussi bien en volume qu'en valeur, à l'image du précédent exercice. "Le chiffre d'affaires était très satisfaisant, comme nos marges. Tous nos indicateurs étaient bons, bien alignés avec nos objectifs. Nous avons atteint nos objectifs en avance."
La hausse des Vrades, une mauvaise et bonne nouvelle
Le dirigeant du recycleur drômois reste toutefois prudent, rappelant que les perturbations du marché VN et VO ont également des conséquences défavorables sur l'activité des centres VHU. "Nous avons souffert d'une baisse des véhicules hors d'usage", révèle Johan Renaud. Chez Caréco aussi, les centres VHU doivent composer avec une réduction du nombre d'épaves. "Cette baisse de volume est notamment due à l'absence d'opération de type « prime à la casse » et à une sinistralité en baisse", analyse Jean-François Grimaldi.
Ce n'est pas tout : cette situation est aussi liée à la forte hausse enregistrée par les "valeurs de remplacement des véhicules" (Vrade). Selon BCA Expertise, elles ont bondi de 15 % en moyenne en 2022 et devraient se maintenir à des niveau x élevés cette année. Plusieurs facteurs conjoncturels peuvent justifier ce phénomène : la baisse des immatriculations VN, l'augmentation de la part des motorisations électriques et hybrides dans le parc, etc.
Conséquence directe de la hausse des valeurs de remplacement, le nombre de véhicules économiquement irréparables (VEI) est orienté à la baisse. Le taux de VEI a ainsi diminué de 0,7 point par rapport à 2021. Pour mémoire, une voiture est considérée irréparable quand le montant des réparations est supérieur à la valeur du véhicule au moment du sinistre.
Selon BCA Expertise, ce recul du nombre de VEI est également lié à des alternatives plus économiques en matière de réparation de véhicules. Et notamment au développement de l'offre de pièces de réemploi… "Nos ateliers fonctionnent très bien, se félicite le dirigeant de Caréco. Nous montons beaucoup de pièces de réemploi et une large part de véhicules d'occasion font leur entretien dans nos centres."
Une offre qui se diversifie et un accès qui se simplifie
Outre ce contexte, le marché de la pièce issue de l'économie circulaire doit son dynamisme à l'élargissement de son offre – et ce, malgré les difficultés d'accès aux informations constructeurs, évoquées plus haut. Pièces remanufacturées, reconditionnées, d'occasion, etc.
Depuis quelques années, les catégories de produits et le nombre de références ne cessent de croître pour répondre aux besoins du secteur. Un mouvement que les centres de recyclage ont accompagné en augmentant le volume de pièces collectées sur chaque VHU et en industrialisant leurs process.
"Nous sommes sur un rythme soutenu de pièces démontées avec environ 17 à 18 produits par véhicule, contre 12 auparavant", confirme Johan Renaud. GPA veut aller encore plus loin et travaille sur la constitution d'une gamme de pièces électroniques rénovées. Après l'automobile et la moto, le recycleur drômois s'est, en outre, lancé dans la construction d'un atelier de démontage de poids lourds, qui devrait être opérationnel dans "quelques mois".
A lire aussi : Moteurs et boîtes de vitesses : GPA étend sa garantie à deux ans
Parmi les déconstructeurs, Surplus Recyclage s'est aussi illustré en investissant 30 millions d'euros sur dix ans pour moderniser et agrandir son complexe de recyclage de VP, VI, deux-roues, engins agricoles et de BTP à Gaillac (81). S'étendant sur 36 000 m², ce site peut démonter jusqu'à 60 000 véhicules au total pour un catalogue de PRE pouvant s'élever à 1,5 million de références.
"De la collecte des véhicules hors d'usage à la gestion des pièces, nous avons industrialisé tout le process en nous appuyant sur plusieurs sociétés supports, dont GSR Logistics (transport des véhicules sinistrés) et GSR Repair (reconditionnement de véhicules)", étaye Laurent Hérail.
Pour rendre leur offre plus facilement disponible, les centres VHU ont également su s'adapter aux demandes des professionnels. Aujourd'hui, une large partie d'entre eux commercialisent leur offre à travers leur site e-commerce. "Nous n'avons plus de magasins. Nous vendons tout à distance. À nos débuts, 80 % de notre activité était réalisé avec les particuliers et 20 % avec les professionnels. Aujourd'hui, c'est l'inverse", confie le dirigeant du groupe Surplus Recyclage.
Au-delà de leur propre activité en ligne, les démolisseurs collaborent aussi avec de nombreux acteurs du marché (marketplaces, assureurs, etc.) pour élargir la diffusion de leur catalogue. Parmi ces partenaires, notons le récent lancement chez la Maif d'une plateforme dédiée à la PRE. Dans un même souci de rendre la pièce de seconde main plus accessible, Alpha Scale (plateforme d'achats de pièces de Prefikar) intègre depuis juillet dernier l'offre de GPA, qui sera bientôt rejoint par d'autres fournisseurs.
A lire aussi : Caréco lance sa place de marché en ligne
Outre une garantie de 2 ans, la plateforme propose des délais de livraison de 24h avec un retour gratuit, un franco de port, et un suivi assuré par une équipe ADV renforcée. Pour préserver les marges des réparateurs, Alpha Scale propose aussi une tarification dynamique à la pièce, destinée à garantir un niveau de marge abondé en comparaison de celui des pièces d'origine.
Un label pour la Piec ?
Pas de doute, (presque) tous les signaux sont au vert pour la pièce issue de l'économie circulaire. Mais en dépit de ces avancées, ces évolutions restent encore timides aux yeux de certains acteurs de la filière, qui rappel lent not a m ment que la PRE ne représente qu'une faible part du marché de la pièce neuve (environ 5 %). Chez Surplus Recyclage, Laurent Hérail cite pour exemple certains de nos voisins européens, en particulier la Suède ou l'Espagne, bénéficiant d'une offre beaucoup plus importante.
"Nous avons pris du retard… Sur ces marchés, on atteint jusqu'à 50 pièces démontées par véhicule, ce qui permet de proposer des gammes de produits beaucoup plus étendues. On y vend de tout, notamment des amortisseurs ou des disques de frein."
Estimant que les "chiffres ne disent pas tout", Johan Renaud préfère rester prudent sur la manière dont les pièces de réemploi sont référencées chez nos voisins européens. En revanche, le dirigeant de GPA reconnaît que le marché tricolore peut aller encore plus loin, et se heurte encore à des seuils de résistance culturels.
A lire aussi : Pièces de réemploi : Élisabeth Borne affiche ses ambitions
"On touche un plafond de verre. Il est temps de passer à la vitesse supérieure en faisant notamment reconnaître la qualité de nos pièces. Ce pourrait être à travers un label qui rassurerait l'expert, le réparateur et l'assuré dans le cadre d'une réparation."
Une observation partagée par Laurent Hérail, qui pointe du doigt la place qu'occupe la Piec aujourd'hui sur le marché de l'après-vente. "En France, la pyramide est inversée : on propose de la pièce constructeur, puis de l'adaptable et enfin, du réemploi. Aux USA, c'est l'inverse !", regrette le président du recycleur tarnais.
Pour faire avancer l'acceptation et le recours aux pièces de réemploi, les centres VHU comptent beaucoup sur les assureurs, incontournables prescripteurs. Ces derniers se montrent aujourd'hui très favorables à la PRE, qui contribue à protéger l'environnement et (surtout) à maîtriser le coût de réparation des véhicules à la suite d'un sinistre. Sur ce sujet, la Maif se montre logiquement très volontaire puisque 16 % de ses dossiers de réparation automobile intègrent désormais au moins une pièce de réemploi. Ce taux s'élève même entre 25 % et 30 % pour les véhicules âgés de 8 à 10 ans.
Autre cheval de bataille des déconstructeurs : l'accès aux VHU. Alors que la loi Agec pourrait bouleverser leur activité, ces derniers s'interrogent sur la pérennité de leur accès aux flux d'épaves vis-à-vis des principaux détenteurs que sont les réseaux de constructeurs et les assureurs. Une crainte renforcée par – rappelons-le – la récente hausse des Vrades, qui risque de restreindre encore le nombre d'automobiles envoyées à la destruction…
Sur ce sujet, plusieurs recycleurs interrogés nous ont indiqué qu'outre la filière illégale (qui attire chaque année environ 500 000 véhicules), de nombreuses voitures échappent aujourd'hui aux centres VHU. "Un très gros assureur du marché écoule encore la moitié de ses véhicules en appel d'offres. C'est une vision à très court terme, avec une logique financière. C'est contre-productif ! Si les assureurs veulent que la pièce de réemploi se généralise, les véhicules doivent partir dans des centres VHU", insiste un déconstructeur qui préfère garder l'anonymat.
Définir l'empreinte carbone de la "réparation durable"
S'émanciper du cadre de la pièce de réemploi pour évoquer le sujet de l'économie circulaire dans sa globalité, c'est le plaidoyer de Johan Renaud qui appelle les acteurs du marché à se questionner sur l'empreinte carbone réelle d'une réparation.
"On parle beaucoup de réparation durable mais quelque part, c'est un pléonasme ! Il faudrait aujourd'hui mesurer ce que représente, concrètement, une réparation avec une pièce de réemploi en termes d'émissions de CO 2 et d'économies d'extraction de matière. C'est un sujet sur lequel nous devons nous pencher."
La question est complexe mais elle permettrait à l'automobile, selon le dirigeant de GPA, de s'inventer un avenir plus circulaire.