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Equipementiers

Le filtre n'a pas dit son dernier mot

Publié le 17 juin 2022
Par Florent Le Marquis
8 min de lecture
Malgré les pénuries, le marché de la filtration reste moins impacté par la crise que d'autres gammes de produits, et a de nouveau performé en 2021. Si l'électrification du parc promet, à terme, la disparition de plusieurs filtres, l'ensemble des familles fait de la résistance.
Toutes les familles de filtres continuent de bien se porter. Ainsi, l'usine française de Misfat a battu son record de production en 2021.
Toutes les familles de filtres continuent de bien se porter. Ainsi, l'usine française de Misfat a battu son record de production en 2021.

Un retour à la normale plus rapide que la moyenne. C'est le premier constat que l'on peut tirer pour le marché de la filtration. Un retour à la normale et surtout à la croissance, après une année 2020 perturbée par la crise sanitaire, mais qui n'avait pas empêché les équipementiers d'afficher des chiffres d'affaires stables. "La pandémie a joué en faveur de l'ensemble des familles. Elles ont toutes progressé en 2021", constate Yvon Granier, directeur général de MGA. Les différents acteurs estiment le marché en hausse de 5 à 10 % sur l'année. "Les filtres sont des produits de nécessité, rappelle Régis Thomas, directeur commercial aftermarket France chez UFI Filters. Malgré la non-utilisation par certains automobilistes de leur véhicule, nos ventes ont augmenté. Les gens, ayant plus de temps pour eux, en ont probablement profité pour effectuer leur révision."

Marie-Jo Faivre, ex-directrice IAM France et Benelux de Mann+Hummel France, abonde : "La filtration fait partie de la maintenance du véhicule, ce qui explique que les circonstances aient moins impacté notre produit que d'autres. Même s'il y a eu une baisse du nombre de kilomètres, le parc vieillit et c'est une aubaine pour la filtration." Un point corroboré par Régis Thomas, qui souligne que la baisse des immatriculations VN et l'essor récent du VO ont bénéficié à l'aftermarket : "La rechange est le secteur de l'industrie automobile qui résiste le mieux à la récession, car sa croissance dépend de la taille du parc automobile plutôt que de la production de nouveaux véhicules."

Face aux pénuries

UFI Filters a introduit Argentium sur le marché en 2021 : un filtre d'habitacle avec 99 % d'efficacité antibactérienne et d'une durée prolongée.

UFI Filters a introduit Argentium sur le marché en 2021 : un filtre d'habitacle avec 99 % d'efficacité antibactérienne et d'une durée prolongée.

Autre preuve de la bonne tenue du marché filtration : les équipementiers affirment avoir dopé leurs ventes auprès de leurs clients habituels sur cette période. "Ce qui est très intéressant, c'est de constater une croissance en conservant les mêmes clients, sourit Marie-Jo Faivre. C'est le cas chez Mann+Hummel." Riadh Abdelkefi, directeur commercial export du groupe Misfat et directeur général de Solaufil France, l'a également relevé : "Nous avons bien progressé avec nos clients, qui ont augmenté leurs demandes de 5 à 15 %. Avec certains, nous réalisons un million d'euros de chiffre d'affaires en plus sur l'année. Plus important encore : nous avons pu les servir et donc conserver un taux de service maximal."

Ce qui n'était pas chose aisée. Car si la demande ne s'est pas effondrée, la famille filtration n'a pas échappé aux affres de l'actualité, et la gestion des stocks a causé des maux de tête à de nombreux responsables. "Il n'y avait aucun souci de production, mais nous avons vécu une pénurie de matières premières, pointe Marie-Jo Faivre. Et si vous n'avez pas de matière, vous avez beau avoir tous les outils, vous n'avancez pas." Pour pallier ces difficultés d'approvisionnement, les solutions ne sont pas légion. "Avoir plusieurs fournisseurs", soumet Riadh Abdelkefi.

Ainsi, Misfat a su tirer profit de son organisation industrielle et logistique : "Nos fournisseurs de matières premières sont européens, aucun ne vient d'Asie, précise le dirigeant. Tout arrive donc par voie terrestre, ce qui nous a évité de subir la pénurie de conteneurs. Nous pouvons constituer des stocks de matières premières pour être sûrs de faire tourner les usines." Le groupe a d'ailleurs battu son record de production dans son usine de Crépy-en-Valois (60) l'an dernier, fabriquant trois millions de filtres à air et d'habitacle. Finalement, les ruptures de stock ne semblent pas avoir trop pénalisé le marché français de la filtration en 2021. Contrairement à 2022, peut-être, où se jouera "la bagarre de la disponibilité", selon le directeur général de Solaufil France.

Pour ce qui est des prix, en revanche, tout le monde est logé à la même enseigne. Avec la flambée du cours des matières premières, les équipementiers doivent se résoudre à relever leurs tarifs. “Le coût du métal a doublé, voire triplé, depuis début 2021, souligne Marie-Jo Faivre. Cela continuera en 2022. Selon le mix de matière dans la production, nous sommes obligés de répercuter ces augmentations sur nos tarifs." Ces inflations peuvent atteindre deux chiffres. "Le prix des filtres avec des métaux a augmenté de plus de 10 %, illustre Yvon Granier. Tout le monde a dû faire des hausses un peu disparates selon les références et les gammes. Ce qui a été pris par les fabricants a été répercuté par les distributeurs, en règle générale."

Pas étonnant, quand Riadh Abdelkefi avance que le coût de revient d'un filtre à huile était de 1 euro avant la crise sanitaire, et de 1,5 euro aujourd'hui. Des pénuries de bois, de papier et même de simples cartons d'emballage ont été constatées. "Cette situation est intéressante car elle nous force à nous creuser la tête, relativise le dirigeant. Il faut à la fois répercuter la hausse des coûts le moins possible, tout en maintenant notre rentabilité et en restant productifs."

Plus récemment, la hausse du prix du carburant est venue s'ajouter à toutes ces contraintes. Malgré les dix succursales régionales de MGA, lui permettant d'être au plus proche de ses clients, Yvon Granier alerte : "La logistique du dernier kilomètre dans notre métier va devenir de plus en plus cruciale, car nous sommes sur des valeurs produits faibles. Il ne sera plus possible de livrer pour 7 euros de filtres à 100 kilomètres." Être en rupture de stock peut même apparaître moins contraignant que de devoir honorer son contrat et livrer un filtre à huile à 2 euros. "Le service est important, mais à quel prix ? Jusqu'où faut-il ne pas aller ? " questionne le directeur général de MGA, selon qui le contexte ne va pas s'améliorer dans les mois à venir.

Toutes les familles performent

MGA dispose d'une large gamme dédiée à la filtration.

MGA dispose d'une large gamme dédiée à la filtration.

Si d'autres hausses sont à attendre, 2022 devrait néanmoins continuer de s'avérer prospère pour la filtration. "L'année démarre bien, assure Riadh Abdelkefi. Le carnet de commandes est bien rempli, tant sur le marché français qu'à l'étranger, où nous avons de belles opportunités." Le groupe Misfat espère dépasser les 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, après avoir réalisé 90 millions en 2021.

Autre bonne nouvelle, les difficultés de livraison de VN vont une nouvelle fois porter le marché VO. "Le véhicule d'occasion va continuer de prendre de l'ampleur, prévoit Marie-Jo Faivre. C'est un gros consommateur de filtres puisque les contrôles sont effectués avant la vente." Un avantage pour des filtres dont les années semblent comptées, mais qui continuent de performer. "Compte tenu de la moyenne d'âge du parc automobile sur le marché secondaire, le filtre à diesel est toujours important, et le sera encore pour les trois à cinq prochaines années", estime Régis Thomas, qui a constaté "une augmentation significative des ventes de filtres à carburant en 2021".

Même constat pour les filtres à huile, dont les ventes ont "évolué de manière constante" et retrouvé un niveau similaire, voire meilleur, à 2019, selon le directeur commercial aftermarket France chez UFI Filters. "Le filtre à huile reste la plus grosse artillerie, représentant à lui seul 50 % des volumes de MGA", appuie Yvon Granier. Deux familles encore très présentes, tant en volume qu'en valeur, alors que les acteurs ont constaté que la pandémie a contribué à une plus grande sensibilisation des automobilistes sur leur santé et sur la nécessité de changer régulièrement de filtres. Le filtre à air a donc, lui aussi, continué de progresser chez l'ensemble des équipementiers, tout comme le filtre d'habitacle. "Par rapport aux autres familles, il part de loin en volume, mais son pourcentage de progression est supérieur : plus de 20 % de hausse en 2021", analyse Yvon Granier.

Le filtre d'habitacle grignote des parts de marché par rapport aux autres. "De 14 à 16 %, selon Marie-Jo Faivre. Il faut encore communiquer sur ce filtre, qui a un fort potentiel : on va aller vers un filtre intelligent, qui filtrera en fonction de la qualité de l'air dans l'habitacle." Unanimes, les équipementiers affirment que la demande n'a jamais été aussi forte que depuis le début de la crise sanitaire. "Le Covid est une crise de l'air, il y a eu une prise de conscience", décrypte Riadh Abdelkefi, alors que l'usine française de Solaufil dispose désormais de trois équipes dédiées au filtre d'habitacle, contre une seule avant 2019.

"C'est un véritable acteur de marché, tant en cette période de pandémie qu'à l'avenir, soutient Régis Thomas. Il sera de plus en plus présent dans le programme d'entretien, avec des intervalles de gestion toujours plus brefs, pour améliorer la qualité de l'air à l'intérieur de la voiture." Pour ne pas rater un tournant plus ou moins proche, les investissements sont donc nécessaires. Les ingénieurs d'UFI Filters se concentrent ainsi sur des solutions de traitement de l'air pour les véhicules tout électriques. Le groupe Misfat investit massivement dans la production de filtres d'habitacle. "La nouvelle Tesla dispose de quatre filtres d'habitacle, note Riadh Abdelkefi, confiant pour l'avenir. Leur valeur est supérieure aux quatre filtres d'une voiture thermique aujourd'hui."

Un avenir encore serein

L'électrification progressive du parc roulant, qui semble s'accélérer depuis deux ans, pourrait au premier abord inquiéter plus d'un équipementier quant à l'avenir des filtres. Beaucoup analysent néanmoins la situation autrement. Le directeur général de Solaufil France reprend : "Je pense que nous avons encore vingt ans pour voir venir les choses, car l'électrique n'est pas prêt niveau infrastructures." La rechange s'occupe des véhicules d'un parc roulant qui est encore loin de sortir des énergies fossiles, même si on les "diabolise", selon Yvon Granier.

Le directeur général de MGA poursuit : "On se focalise sur le filtre d'habitacle car c'est le seul qui restera dans les véhicules électriques… Mais le thermique n'a pas dit son dernier mot. Il sera toujours utilisé, tout comme les carburants alternatifs." L'hydrogène continue de se développer en tant que tel, le bioéthanol aussi. "La majorité des véhicules roulera encore longtemps avec un moteur à combustion, le reste étant constitué de différents types de véhicules hybrides qui sont également équipés d'un tel moteur", note Régis Thomas.

A lire aussi : Bosch améliore sa gamme de filtres d'habitacle

Les hybrides nécessitent encore des filtres, à l'usure peut-être moins rapide selon leur utilisation. Pour beaucoup, ces véhicules représentent une transition lente vers l'électrification du parc, qui amènera, à terme, le marché des filtres à huile et à carburants à se rétracter. Avec forcément un temps de retard pour la seconde monte par rapport à la première monte. Le moment venu, les acteurs devront être prêts, même si le directeur commercial aftermarket d'UFI Filters y voit "plus une évolution qu'une révolution pour le marché de la rechange". En effet, selon l'industriel transalpin, les véhicules auront toujours besoin de filtres. UFI n'hésite pas d'ailleurs à mobiliser sa R&D sur le développement de composants destinés à la mobilité du futur. "Nous sommes en mesure de proposer des refroidisseurs de batterie de haute qualité, assure Régis Thomas. La transition électrique représente une opportunité d'expansion dans le domaine des nouvelles technologies de gestion thermique et de l'hydrogène."

Le filtre à poussière de freins, positionné au niveau de l'étrier pour collecter directement les particules fines, pourrait aussi se développer. "Ce n'est pas vrai de dire qu'il n'y aura plus de filtration, s'exclame Marie-Jo Faivre. Dès que vous avez un fluide extérieur qui entrera dans la voiture, il faudra le filtrer. Il y aura donc toujours des filtres à fabriquer. Pour les boîtes de transmission par exemple, et bien sûr les filtres d'habitacle." Mais Riadh Abdelkefi prévient : "Il faut se préparer pour ne pas être largué le moment venu." Misfat entend ainsi travailler de plus en plus sur la filtration pour motos et, surtout, pour poids lourds, où l'électrification massive sera plus longue à intervenir. Le groupe table aussi sur la diversification des activités. "Nous investissons sur du matériel pour fabriquer des filtres hydrauliques, ce que l'on ne faisait pas avant", explique le directeur commercial export de Misfat.

Mais les acteurs du marché restent prudents et le "tout électrique" n'est pas pour demain, comme le martèle Yvon Granier : "D'ici quinze ans, beaucoup de choses peuvent se produire." L'ex-directrice IAM de Mann+Hummel France l'appuie : "Pour les moteurs thermiques, j'ai entendu il y a dix ans que l'on ne changerait plus le filtre à huile mais que l'on travaillerait plutôt sur la qualité des huiles, et que le filtre resterait sur le véhicule à vie… Cela ne s'est jamais fait. Entre ce qu'il se dit aujourd'hui et ce qu'il se fera demain, nous verrons bien ! " Autrement dit, wait and see

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