L'optimisation des stocks, un enjeu capital
Bien piloter son stock : c'est aujourd'hui, incontestablement, la préoccupation majeure des acteurs de la distribution de pièces automobiles. Et pour cause, ces derniers mois, dans un contexte inflationniste et de pénurie de matières premières, le taux de service des distributeurs a souvent été montré du doigt. Pourtant, chacun a conscience de l'enjeu, comme le souligne Olivier Vejdovsky, directeur de la supply chain chez Alliance Automotive Group (AAG) : "C'est un point stratégique qui engage des dizaines de millions d'euros, voire, pour l'ensemble de nos plateformes et de nos filiales, une centaine de millions d'euros." Le groupement a d'ailleurs fortement investi pour améliorer ses performances, en mettant en place un pilotage centralisé de ses stocks.
Depuis notre site Hexagone, près de Rennes, nous pilotons une très importante partie de nos stocks. Pas la totalité, puisque les plateformes nationales ont gardé une certaine autonomie pour des raisons opérationnelles, mais la majeure partie est gérée par une équipe de près de 50 collaborateurs. Toutes ces personnes veillent à l'harmonisation des méthodes, et s'assurent que nos plateformes régionales ainsi que nos filiales de distribution soient bien approvisionnées, qu'elles aient les stocks cohérents pour commercialiser vers l'ensemble de nos clients garagespoursuit-il.
AAG a ainsi renforcé l'ensemble de ses tableaux de bord et de ses KPI (Key Performance Indicator), pour disposer d'une batterie d'indicateurs pour devenir le plus "fin" possible dans l'analyse de ses stocks. Le groupement a notamment équipé ses deux plateformes centrales du progiciel Slim4 de Slimstock. Certaines plateformes régionales devraient bientôt en bénéficier également, dans le but de communiquer aux fournisseurs les prévisions et d'être plus réactives.
Les spécificités de la pièce de rechange
Sur le papier, la promesse paraît simple. Pourtant, dans les faits, la gestion des stocks et de la logistique de la pièce de rechange est loin d'être aisée. Pour de nombreuses raisons, à commencer par la profondeur des gammes. "Dans d'autres industries, on parle de 10 000, 20 000 ou 30 000 références en stock. Alors que dans l'auto, nous sommes à minima autour de 50 000 références, et cela peut très vite monter à 200 000", détaille Jean-Michel Guarneri, président de l'association France Supply Chain International.
Un avis partagé par Gilles Charpille, ingénieur commercial grands comptes, et Jérôme Jennepin, directeur commercial zone France du domaine d'expertise logiciels pour la supply chain de Savoye, un éditeur mais aussi un intégrateur de solutions technologiques pour l'intralogistique des entrepôts de distribution ou de production, qui travaille notamment avec PHE (maison mère d'Autodistribution).
"C'est un marché où il faut être réactif sur une profondeur importante de produits, avec jusqu'à 500 000 pièces différentes si l'on souhaite adresser toutes les voitures de toutes les gammes. Et même si, au niveau de l'entrepôt, le distributeur n'a pas les 500 000 pièces disponibles à l'instant T, il est capable de les trouver assez vite pour pouvoir distribuer ses clients à partir de fournisseurs internes", complètent-ils.
Ainsi, la distribution automobile fonctionne selon deux types d'attentes : d'un côté, les commandes de stock, c'est-à-dire les produits qui sont écoulés en quantité chaque mois par les garages, et de l'autre, les commandes urgentes/ de dépannage, où le temps d'immobilisation du véhicule chez le réparateur doit être le plus court possible. En général, la promesse client est le J+1 depuis les plateformes nationales et le H+2 ou H+4 depuis les plateformes régionales vers les MRA.
Enfin, une dernière difficulté s'ajoute : la grande disparité des produits, comme l'explique Gilles Charpille : "Il y a les pièces mécaniques, le vitrage, la carrosserie, les pneumatiques etc. Bien évidemment, un colis contenant un joint ou un étrier de frein ne se prépare pas de la même manière, ce qui suppose des process logistiques différents."
ERP et WMS : les pros du pilotage
Face à ces spécificités, les distributeurs de pièces s'équipent d'outils pour améliorer leur gestion. C'est le cas des ERP (Enterprise Resource Planning) et des WMS (Warehouse Management System). Complémentaires, ils permettent d'optimiser les stocks en travaillant sur la rotation.
Authentic Group distribue et intègre le logiciel Infor CloudSuite Distribution Enterprise de la société Infor, et s'est spécialisé depuis deux ans sur le secteur de la pièce de rechange automobile, avec son vertical ADS PR (Authentic Distribution Solution Pièces de Rechange). Cet ERP, qui assure toute la gestion de l'entreprise : planification, achats, prévisions, prise de commande, module de vente comptoir, finance, etc. intègre également un WMS pour piloter la logistique amont et aval.
"Pour gérer les stocks, notre outil permet de construire des modèles et des règles, permettant notamment de trouver le meilleur sourcing pour l'approvisionnement ou de définir le meilleur circuit de traitement de commandes, qui sera différent par exemple dans le cas d'une commande unique ou de gros volumes", indique Magalie Labur, architecte solution chez Authentic Group.
Grâce à des analyses statistiques très précises, les logiciels permettent de connaître la consommation des références, de les catégoriser par jour, mois, et ainsi de pouvoir réorganiser la plateforme logistique en fonction des pièces qui "sortent le plus". L'outil doit s'adapter à toutes les situations, comme une promotion sur une famille de produits, ou la saisonnalité, en prenant compte des pics de commandes de batteries avant l'hiver.
Et ce d'autant plus dans un contexte de pénurie, comme l'explique Baudouin de Martène, consultant solution pour le déploiement du WMS Reflex, d'Hardis Group. "Nous avons développé des fonctionnalités qui permettent, à réception d'une pièce, d'être alerté pour une commande et de préparer la pièce immédiatement sans faire de mise en stock. C'est ce que l'on appelle du cross-dock opportuniste, et cela représente un gain de temps précieux."
Et demain ?
Autre point d'attention : la gestion des retours. Un attribut essentiel dans l'automobile, quand on sait que ces derniers représentent environ 10 % des commandes. Pour Hardis Group, la fiabilisation du stock est essentielle. "Auparavant, les retours étaient le parent pauvre de la gestion de stock. Or, il est impératif de les traiter rapidement, de pouvoir décider d'une remise en stock, ou encore de saupoudrer, c'est-à-dire de répartir équitablement les pièces entre plusieurs entités de distribution en attente, des plateformes régionales, par exemple", ajoute Baudouin de Martène.
D'autres pistes de réflexion sont au cœur des stratégies des groupements. C'est le cas de la mécanisation/automatisation des entrepôts, qui séduit les acteurs, à l'instar d'AAG. L'électrification des véhicules, avec la logistique de retour des batteries, sera un des enjeux de demain, tout comme l'intégration du sourcing des PIEC, et les consignes de plus en plus présentes sur certaines pièces pour des questions de recyclage et développement durable.
Et l'IA (intelligence artificielle) dans tout cela ? C'est assurément l'avenir. Chez Authentic, c'est une réalité : "Nous pouvons d'ores et déjà construire des modèles pour faire de l'analyse prédictive", annonce Magali Labur. Même son de cloche du côté de Savoye, qui a récemment intégré le machine learning dans son module dédié au "labour management", la planification du travail des opérateurs. Demain, "l'idéal serait de pouvoir coupler les analyses de stock à la météo, pour savoir quand la neige est annoncée, et donc quand les clients vont venir au garage acheter des pneus hiver", conclut Jérôme Jennepin. Une chose est sûre, la course est lancée !